Énergie : les dernières nouvelles de demain (octobre 2024)
Pétrole, gaz, et fossiles
La campagne pour les élections aux Etats-Unis et l’évolution de la guerre entre la Russie et l’Ukraine éclairent de façon complexe et parfois contradictoire les perspectives dans le domaine des énergies fossiles. A noter que les Républicains insistent sur les investissements à réaliser pour exploiter pétrole, gaz naturel et charbon. A noter également l’impact de la guerre entre l’Ukraine et la Russie sur les infrastructures d’exportation de gaz vers l’Ukraine donc vers l’UE ; et cela au moment où les accords de transit par l’Ukraine du gaz russe qui arrivent en fin de validité cette année ne seront sans doute pas renouvelés.
Il convient également de prendre en compte les préconisations du rapport Draghi pour ce qui porte sur la politique énergie de l’UE :
- Le prix élevé de l’énergie en UE, nettement supérieur à ce qu’il est aux Etats-Unis du fait du prix de l’électricité et du prix du GNL importé en UE, et nettement supérieur à ce qu’il est en Chine du fait des subventions et de l’accès à des ressources dites rares et fortement exploitées en Chine et dans d’autres pays par des compagnies chinoises. L’industrie européenne souffre fortement en termes de compétitivité donc d’exportations.
- Le manque d’industrialisation des technologies pour la transition alors qu’elles sont maîtrisées en UE.
- La fragmentation du marché du gaz qui devrait être organisé pour réduire la volatilité du prix, comme cela avait été décidé en particulier par des achats collectifs mais insuffisamment réalisé.
- L’impact du prix du CO2 plus élevé que pour les autres grands pays industriels.
- La nécessaire modification des « règles du jeu » pour favoriser la coopération, pour tenir compte du coût complet de l’énergie et, en particulier, de l’électricité pour le consommateur final, afin de favoriser le développement industriel (innovation, formation des compétences, investissement) sans lequel il n’est pas de succès commercial.
- La nécessité d’une stratégie pour les technologies de la transition, à commencer par les renouvelables pour l’électricité et par les batteries pour les véhicules électriques ; cette stratégie doit être épaulée par des règles ad hoc pour les renouvelables et pour réaliser le développement du réseau électrique au bon niveau.
Pétrole
Les incertitudes demeurent sur le prix du pétrole du fait de plusieurs facteurs :
- L’OPEP+ révise ses prévisions de demande à la baisse du fait de l’anticipation d’une baisse de la demande en Chine, tout en considérant qu’une augmentation est possible si la demande augmente significativement aux Etats-Unis ; mais les prix pourraient augmenter si la demande chinoise repart.
- Certains experts considèrent que la production mondiale pourrait baisser, les réserves mondiales diminuant à cause du ralentissement des explorations et de la baisse du rendement des gisements, tout en s’interrogeant sur une possible baisse des prix qui serait consécutive à une reprise des exportations de Libye.
- Les Etats-Unis ont largement reconstitué leurs stocks et bénéficient de leurs ressources en pétrole non conventionnel tout en s’interrogeant sur la nécessité de nouvelles licences de production.
- La production des gisements de Mer du Nord pourrait être divisée par 2 d’ici 2030 du fait de la baisse de rendement des gisements en exploitation et de la réluctance des investisseurs liée à l’annonce de l’augmentation des taxes.
- La guerre au Proche-Orient est bien entendu un facteur aggravant : réflexions au sein de l’OPEP+ et, en particulier, l’Arabie saoudite n’est plus, peut-être pour un temps, sur une préconisation d’un baril à 100$, la Russie reste un exportateur puissant, l’Iran reste un exportateur majeur vers la Chine, …, et la pression de producteurs non-OPEP incite l’Arabie à augmenter sa production pour maintenir les prix bas qui lui sont favorables. Et qu’en est-il d’une possible coalition des pays africains producteurs de pétrole, annonce ou réel projet ?
Comme cela est bien connu depuis des décennies, le prix du pétrole est largement un prix politique et les incertitudes persistantes restent liées aux équilibres internationaux et aux tensions dues aussi bien à l’aggravation de la situation internationale qu’aux enjeux pour les différents acteurs, et aux ressources mobilisables : va-t-on revenir à un prix aux environs de 80$ le baril, va-t-on vers un nouvel équilibre autour de 70$ le baril, va-t-on vers une augmentation significative ? Les fluctuations récentes et le contexte rendent le pronostic difficile ! Il sera peut-être plus facile à la fin de cette année.
Gaz
La demande reste quasiment stable, mais en légère augmentation. La Chine augmente sa demande en visant une accélération du remplacement du charbon pour la production d’électricité ; ses importations devraient augmenter, en provenance notamment de l’Australie, du Qatar et peut-être de la Malaisie, avec une interrogation sur la mise en service en 2025 d’un nouveau gazoduc pour importer de Russie. Le Canada et le Mexique deviennent des exportateurs significatifs de GNL vers l’Asie du fait de la moindre demande des Etats-Unis, ce qui conduit à réaliser de nouveaux équipements sur la côte Pacifique. Le Royaume-Uni souhaite développer la production d’électricité à partir de gaz, tout en sachant la réduction de la production du gaz de la Mer du Nord. Les stocks de l’UE sont largement reconstitués, avec toutefois deux incertitudes : sont-ils suffisants si le prochain hiver est particulièrement froid ? Quel impact d’une fin du transit de gaz russe et des difficultés pour le transit de gaz azéri via l’Ukraine ?
A noter la place croissante de la Norvège dans les importations de gaz par l’UE.
Marché du CO2
Le Royaume-Uni envisage toujours de se rapprocher du marché de l’UE pour aboutir à un fonctionnement similaire et à des prix proches, mais plusieurs défis sont à relever : l’écart de prix est important et les méthodes de calcul très différentes, les réglementations ne sont pas homogènes, l’harmonisation des taxations aux frontières paraît difficilement réalisable à ce jour.
A noter que l’OMC examine la possibilité d’un prix mondial du CO2 ; cela pourrait être débattu à la COP29.
Bientôt la COP29
Plusieurs thèmes de discussion commencent à émerger dans la presse :
- Le respect des engagements pris pour soutenir les pays émergents, à hauteur de 100 milliards de $ par an et le possible décuplement de cette aide.
- Les bénéficiaires de ces soutiens : la Chine, l’Arabie et quelques autres pays sont-ils toujours des pays émergents ?
- Comment gérer le dilemme des pays émergents qui souhaitent avancer dans la transition tout en devant rester, pour leur économie, exportateurs de ressources fossiles ?
- Mais alors, comment financer la transition dans les pays émergents endettés, notamment en Afrique (la Banque mondiale rappelle qu’il y a toujours 600 millions d’Africains sans électricité) ? Comment accélérer la transition ?
- Les actions spécifiques de la responsabilité des entreprises privées.
Et bien entendu, la trajectoire des émissions qui ne conduit pas au respect des objectifs de l’accord de Paris, les choix technologiques, le marché du carbone, les mesures d’adaptation et leur financement restent au cœur des débats de novembre prochain à Bakou.
Le nucléaire
Le développement du nucléaire dans le monde fait toujours l’objet d’annonces dont certaines se concrétisent.
Au Royaume-Uni, un soutien de 5 milliards de £ a été décidé pour la construction de 2 EPR (3,2 GW) à Sizewell.
La Chine a décidé la construction de 11 nouveaux réacteurs répartis sur cinq sites, leur construction devrait durer 5 ans.
En Europe, la Pologne s’engage sur un programme de plusieurs réacteurs sur la côte Baltique, opérationnel en 10 ans et dont le coût serait de 16 milliards de $ dont 1,2 sur l’année 2025 ; la Slovaquie envisage également un programme de 2,4 GW ; les discussions se poursuivent pour la construction de SMR notamment au Royaume-Uni et en République tchèque, avec une forte intensification de la concurrence. Il convient de noter, en ce qui concerne l’UE, qu’un accord majoritaire s’est fait pour inclure le nucléaire dans la liste des technologies qui n’émettent pas de gaz à effet de serre, et pour pousser les travaux sur neuf projets de SMR ; cet accord est issu de l’engagement de la France, des pays de l’Est de l’UE et des Pays-Bas, mais qu’il se heurte toujours à l’opposition de l’Allemagne, de l’Autriche et du Danemark. Et reste à concevoir les mécanismes de financement au-delà des décisions déjà prises dans le cadre de la récente réforme du marché intérieur de l’électricité ; on est en droit de penser à une réforme plus profonde de ce marché qui pourrait être basée sur une approche du coût de développement de long terme afin d’offrir aux investisseurs et aux opérateurs une visibilité de longue durée, cohérente avec la durée de vie industrielle des installations nucléaires.
Le Kenya envisage un programme à mettre en œuvre dans la prochaine décennie.
Microsoft annonce l’achat d’au moins un réacteur de la centrale de TMI en Pennsylvanie pour ses besoins liés à l’intelligence artificielle.
Reste la question de la chaîne industrielle du combustible : son prix a plus que doublé en 5 ans, plus de 40% des installations d’enrichissement sont russes et la Russie augmente ses investissements au Kazakhstan et elle envisage des restrictions aux exportations comme une réponse aux sanctions décidées sur le gaz et le pétrole. Les acteurs du secteur considèrent qu’il y a urgence à investir aussi bien dans les mines que dans la chaîne de fabrication du combustible. A noter l’annonce des Etats-Unis de limiter ses importations en provenance de Russie à la simple exécution des contrats en cours, ce qui conduit logiquement à un fort développement de ses capacités d’enrichissement.
Vers la transition énergétique : poursuite de la montée des enjeux internationaux
Les tensions entre l’UE et la Chine se poursuivent : la Chine s’oppose fermement à la taxation des véhicules exportés en UE et entend accroître ses exportations de panneaux solaires et de batteries en profitant de ses faibles coûts de production alors que les industriels européens peinent à investir et à réduire leurs propres coûts de production ; on connaît les inquiétudes allemandes et, plus largement, celles des fabricants de voitures ; les Etats membres sont divisés, la France, la Pologne et les états baltes soutiennent une hausse significative des taxes, l’Allemagne s’y oppose et l’Espagne n’a pas encore trouvé la voie d’un compromis.
Pour ce qui concerne la mise en œuvre des leviers de la transition en UE, on constate un ralentissement des installations de solaire PV, voire d’éoliennes, et de pompes à chaleur ; le Royaume-Uni envisage de nouvelles aides aux consommateurs d’électricité ; en Allemagne et au Royaume-Uni, la nécessité de développer le réseau pour intégrer la production des renouvelables intermittentes est maintenant une évidence mais il convient de dégager les ressources financières nécessaires ; l’Allemagne, en réponse aux inquiétudes des industriels, a mis en chantier une réforme du marché de l’électricité qui devrait aboutir en 2026 avec, entretemps, une augmentation du coût du transport de l’électricité en 2025 après celle de 2024 qui est demandée par les opérateurs, à la suite à l’annulation d’une aide d’Etat.
Des interrogations se font jour pour ce qui concerne l’hydrogène : les crédits diminuent aux Etats-Unis malgré les engagements de l’IRA et les règles y restent floues (qu’est-ce que l’hydrogène vert, ainsi peut-on considérer comme vert celui qui est produit à partir de ressources fossiles dans des équipements munis de CCS ?) ; les investissements dans le monde sont faibles, de l’ordre de 10% par rapport aux annonces des dernières années ; et ces investissements sont majoritairement en Asie cependant que des projets sont retardés ou annulés par les industriels en Australie, en Norvège voire en Allemagne faute de perspectives favorables pour le marché de l’hydrogène.
A noter la perspective de voir le Canada produire et raffiner les terres rares pour les besoins de 500 000 véhicules par an.
Les perspectives de l’Agence Internationale de l’Energie
L’AIE a publié comme chaque année son World Energy Outlook. Quelques conclusions majeures sont mises en évidence dans ce document riche et détaillé. Un nouveau contexte mondial de l’énergie se met en place, marqué par une instabilité géopolitique durable, l’abondance des ressources primaires notamment fossiles, et une possible surproduction dans l’industrie des technologies propres ; contexte est susceptible d’aboutir à une baisse des prix de l’énergie. Par ailleurs, la poursuite de l’accélération durable de la demande d’électricité dans le monde est tirée par le développement des usages (air conditionné, mobilité, multiplication des serveurs, … et, parmi les Etats, par la Chine ; l’augmentation annuelle de la demande pourrait être de 1000 TWh, soit la consommation du Japon, d’où la nécessité de développer de façon cohérente le système électrique, donc d’investir, afin de disposer du réseau et des stockages à même de permettre la poursuite des investissements en renouvelables intermittentes tout en assurant la résilience de ce système face aux aléas. La dynamique de la transition énergétique se poursuit mais l’on reste loin de la trajectoire conduisant à la cible en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour ce qui concerne la transition, le coût élevé de son financement et les risques associés freinent la transition notamment dans certains pays en développement, et, de ce fait, limitent l’accès à l’électricité et plus largement aux équipements les moins polluants. D’une façon générale, le développement des renouvelables devrait se poursuivre pour atteindre presque la moitié de la production d’électricité en 2030 contre 30% en 2023 ; cela est dû en particulier à la baisse du prix des équipements solaire et éolien et aux soutiens massifs notamment en Chine.
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Sylvain Hercberghttps://lepontdesidees.fr/author/shercbergauteur/
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