Bernard Accoyer et Morgane Auge en débat au séminaire Passages-ADAPes *
Le 11 mars 2024, la revue Passages et son association ADAPes ont organisé un colloque sur le renouveau du nucléaire en Europe. Dans le cadre de la préparation de ce colloque, Bernard Accoyer (PNC) et Morgane Auge (ORANO) sont intervenus le 12 octobre dernier pour une approche en profondeur des conditions de succès de ce renouveau nécessaire et attendu. Ce séminaire était animé par Emile H. Malet directeur de la revue Passages et président de l’ADAPes, et du Pont des Idées.
Bernard Accoyer a mis en évidence la primauté de l’accès à l’énergie dans un monde où les tensions se multiplient. Le renouveau espéré est une « bonne nouvelle » pour l’Europe qui s’est mise en danger par rapport au reste du monde : l’échec de la voie dangereuse impulsée par l’Allemagne est maintenant évident, échec pour la sécurité d’approvisionnement, échec dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, échec dans la maîtrise des prix ; en un mot, mise en danger de la souveraineté. En Europe, le prix de l’électricité est 2 à 4 fois ce qu’il est en Amérique du Nord et en Asie. De plus, aux Etats-Unis, les réserves d’énergies primaires prouvées et exploitables ne cessent de croître, et la Chine qui ne dispose que de peu de ressources est devenue le premier producteur de panneaux photovoltaïques, sera très bientôt le premier producteur d’éoliennes, et est en passe de devenir numéro 1 mondial pour le nucléaire civil et pour le transport d’électricité à longue distance qui en fera un exportateur net d’électricité.
Il est donc temps que l’Europe se réveille : sous la pression allemande, elle a promu le remplacement du nucléaire par les renouvelables intermittentes ainsi que la croissance démesurée de l’utilisation du gaz naturel importé de Russie ; on sait ce qu’en ont été les conséquences, le prix subi par les ménages comme par les industries, et l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Cela a conduit progressivement à un retournement des opinions publiques en France comme dans l’Union européenne, et une proportion importante de la jeunesse est maintenant favorable à l’utilisation du nucléaire pour maîtriser le changement climatique. Il faut rappeler que ce sont les Verts qui ont imposé en Allemagne la sortie du nucléaire, aussi bien à une coalition conduite par le SPD en 2000 qu’à une coalition conduite par la CDU en 2011 ; conséquences politiques et sociales en Allemagne : les industriels sont de plus en plus préoccupés par le prix de l’énergie, les prix élevés et les incertitudes sur le niveau de l’activité économique contribuent à favoriser le vote extrême. L’échec est moins important en France, même si le parc de production nucléaire n’a pas été développé : le patrimoine est toujours là ainsi que les savoir-faire, et EDF a su réagir rapidement pour remédier aux conséquences de la corrosion sous contrainte détectée dans plusieurs réacteurs ; pendant cette période tendue sont apparus le prix très élevé des importations et la faiblesse structurelle que constitue le manque d’environ 14 GW de production pilotable d’électricité.
En France, une impulsion majeure pour le renouveau du nucléaire a été donnée par le discours du Président de la République à Belfort en février 2022, et le gouvernement a su rassembler 14 Etats membres et le Royaume-Uni pour engager un bras de fer avec l’Union européenne afin de mettre fin à la politique de l’échec. L’opinion a maintenant compris que le nucléaire est la première source décarbonée et Europe. Le nucléaire n’est pas une énergie de transition, et il y a urgence à construire de nouveaux réacteurs et à allonger la durée d’exploitation des réacteurs existants.
Le renouveau espéré nécessite l’expression d’une volonté politique qui devra se manifester dans la campagne pour les élections au Parlement européen en 2024. Et cette expression devra intégrer les conditions de succès du renouveau du nucléaire, en premier lieu la réforme de fond du marché européen de l’électricité pour en faire un service d’intérêt général, et le rappel que les traités européens confèrent à chaque Etat membre la responsabilité de sa politique de l’énergie et du choix des technologies de production de l’électricité ; il convient donc de s’organiser pour mettre en œuvre les politiques industrielles nécessaires, pour disposer d’un cadre stratégique ad hoc, et pour intégrer le temps long. Tout cela est prévu par les traités européens, notamment le traité de Lisbonne ; un travail concerté est donc possible et à faire monter en puissance notamment par des coopérations structurées permanentes dans le respect de la subsidiarité.
Morgane Auge a rappelé que le nucléaire représente 25% du mix électrique européen. Le vent a tourné en faveur du nucléaire qui est désormais perçu par beaucoup comme facteur d’indépendance, levier d’électrification des usages pour atteindre l’objectif zéro émission en 2050, source de compétitivité de l’économie. De nouveaux projets voient le jour dans plusieurs Etats membres (Pologne, peut-être Italie, …) alors que les principaux opposants (Allemagne, Autriche, Luxembourg) restent bloqués sur leurs positions.
Un soutien réglementaire et économique est indispensable et un cadre propice doit être mis en place. L’initiative positive du gouvernement français a conduit à une alliance de 15 Etats qui visent à conserver la part de 25% du nucléaire dans le mix en 2050, alors que la Commission s’arcboute sur une part de 15%. La prise de conscience s’est faite dans l’opinion publique et une feuille de route couvrant tous les aspects est requise : construction des capacités nécessaires pour conserver cette part de 25%, développement de petits réacteurs SMR et AMR, maintien et développement des compétences, mécanismes de financement adaptés, gestion de l’aval du cycle, … Mais les trois principaux opposants bloquent toute avancée au niveau européen : la BEI ne s’implique pas, les fonds européens dédiés à la transition énergétique ne font pas de place au nucléaire contrairement à ce qui existe aux Etats-Unis avec le projet Phoenix, les programmes de R&D d’Euratom ne sont pas coordonnés avec Horizon, …
Pour réussir, des orientations et des décisions simples et claires sont nécessaires : respecter la neutralité technologique pour les choix des Etats membres, faire de la sécurité énergétique le cœur de la politique, mettre en place la politique industrielle transversale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, inclure le nucléaire dans la taxonomie et en faire une technologie stratégique, offrir les moyens financiers cohérents avec la nécessaire vision de long terme, mettre en place le soutien réglementaire nécessaire en réformant le marché européen de l’électricité.
ORANO apporte sa contribution sur toute la chaîne de valeur, amont et aval du cycle : diversification des sources d’approvisionnement en uranium, investissements massifs dans les usines de conversion et d’enrichissement, élaboration des nouveaux combustibles pour SMR et AMR, maîtrise des technologies de l’aval du cycle, travaux de recherche pour la réduction de la durée de vie des déchets ultimes, etc. Des signaux politiques forts sont nécessaires pour réussir à maintenir et à développer ces atouts, 2024 est la bonne occasion.
Bernard Accoyer est ancien Président de l’Assemblée Nationale et Président de PNC
Morgane Augé est directrice des Affaires publiques d’ORANO
*Séminaire du 12 octobre 2023 de Passages-ADAPes et Le Pont des Idées à Paris 75006, Mairie du VIème arrondissement, salle David d’Angers.
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Sylvain Hercberghttps://lepontdesidees.fr/author/shercbergauteur/
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