Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Énergie : les dernières nouvelles de demain

Pétrole, gaz, et fossiles

La campagne pour les élections aux États-Unis et l’évolution de la guerre entre la Russie et l’Ukraine éclairent de façon complexe et parfois contradictoire les perspectives dans le domaine des énergies fossiles. Les Républicains insistent sur les investissements à réaliser pour exploiter pétrole, gaz naturel et charbon, en tenant compte des délais entre découverte et exploitation d’un gisement ; ils considèrent que ces ressources dont les États-Unis sont particulièrement dotés sont un atout pour très longtemps, quelqu’en soit l’impact sur la transition énergétique, d’autant plus que des retards dans les investissements prévus par l’IRA (Inflation Reduction Act) sont signalés, notamment pour la fabrication de panneaux photovoltaïques et d’électrolyseurs. L’offensive ukrainienne en Russie touche probablement les infrastructures d’exportation de gaz vers l’Ukraine donc vers l’UE ; et cela au moment où les accords de transit par l’Ukraine du gaz russe qui arrivent en fin de validité cette année ne seront sans doute pas renouvelés.

Pétrole

Le pétrole reste au cœur des préoccupations économiques et des enjeux géopolitiques. Peu de changement sur son prix, toujours dans la zone des 80-85 $ le baril. La demande ralentit du fait du ralentissement de l’économie mondiale, notamment dans la plupart des pays de l’OCDE ; elle augmente toujours en Asie notamment en Chine et en Corée du Sud. La production suit la courbe de la demande.

Cette production est un enjeu majeur et les experts focalisent leur attention sur le partage de cette production entre les membres de l’OPEP+ et les non-membres de cette organisation. Plusieurs enjeux : le maintien des prix par la baisse de la production chez les membres de l’OPEP+ et la baisse de leurs exportations, l’augmentation de la production de pétrole non conventionnel aux États-Unis, l’arrivée de biocarburants chinois sur le marché européen, la mise en exploitation de nouveaux gisements.

A noter l’émergence sur la place publique de divergences entre l’AIE d’une part et l’OPEP et les États-Unis d’autre part sur les perspectives de demande de pétrole : le pic de demande aura-t-il lieu en 2030, les renouvelables et le nucléaire contribueront-ils à la transition énergétique dans le monde selon les scénarios de l’AIE ?

Les incertitudes persistent donc sur les prix et les équilibres internationaux, comme cela avait été signalé en juin dernier.

Gaz

Le contexte est marqué par une légère baisse de la demande : baisse en UE, maintien en Asie et augmentation au Pakistan et au Bangladesh largement satisfaite par le Qatar ; en conséquence, le GNL devient de plus en plus le vecteur adapté, ce qui profite en particulier aux États-Unis qui développent leur parc d’usines de liquéfaction, et à la Russie. Les États-Unis sont maintenant un fournisseur majeur de l’UE, devant le Qatar ; cela conduit à la poursuite de la construction de terminaux de regazéification en particulier en Allemagne qui vise la construction de 12 GW de centrales gaz à cycle combiné dont un premier lot de 5 GW vient d’être l’objet d’appel d’offres, cela pour répondre à la demande d’électricité et palier les effets de l’intermittence des renouvelables PV et éolien. Par ailleurs, l’UE s’intéresse au gaz azéri dont le transport n’est pas évident : est-ce possible de transiter par l’Ukraine ? Cela rejoint ce qui est signalé plus haut. De plus, les opérateurs craignent des attaques russes sur les installations de stockage en Ukraine.

A noter que les experts du secteur gazier envisagent sans certitude une augmentation de la demande de l’ordre de 50% entre 2025 et 2040 : les perspectives de retour sur investissement seraient meilleures que pour les renouvelables, mais l’apparition de surcapacités conduirait à une baisse des prix ; sujet à suivre !

La mise en œuvre de plusieurs projets dans la relation entre la Russie et la Chine se poursuit mais les experts considèrent que Gazprom, qui a vu ses revenus fortement diminuer du fait de la baisse drastique des exportations vers les pays européens, retrouvera l’équilibre au mieux en 2035.

Marché du CO2

Le Royaume-Uni envisage toujours de se rapprocher du marché de l’UE pour aboutir à un fonctionnement similaire et à des prix proches, mais plusieurs défis sont à relever : l’écart de prix est important et les méthodes de calcul très différentes, les réglementations ne sont pas homogènes, l’harmonisation des taxations aux frontières paraît difficilement réalisable à ce jour.

A noter que plusieurs experts préconisent une refonte du marché du CO2 par une prise en compte plus importante des externalités liées au changement climatique, ainsi que des subventions sur la durée pour favoriser la mise en œuvre rapide de technologies propres à réduire les émissions en particulier dans les pays émergents.

Le nucléaire

Le développement du nucléaire dans le monde fait toujours l’objet d’annonces dont certaines se concrétisent.

Les États-Unis visent à redevenir leader du nucléaire, thème largement bipartisan ; il s’agit d’éviter que la Chine devienne leader et pour cela il convient non seulement de préserver la situation présente (99 réacteurs pour 100 GW), mais aussi d’accélérer le développement, de soutenir les nouvelles technologies et de favoriser les exportations d’équipements. Il s’agit également de mettre fin aux importations d’uranium enrichi en provenance de Russie d’ici 2027, ce qui conduit à développer les capacités d’enrichissement aux États-Unis.

La Chine entend poursuivre le développement de ses capacités pour remplacer l’usage du charbon dans la production d’électricité : le nucléaire devrait passer de 5% de la production en 2023 à 10% en 2035 et 18% en 2060 ; cela nécessite la formation d’ingénieurs et de techniciens en grand nombre ainsi que le développement de l’industrie par les exportations d’équipements dans le monde (Asie, Afrique, Moyen-Orient).

Le Russie déjà présente dans plusieurs pays (Égypte, Turquie, Inde, Hongrie, Finlande, Bulgarie, …) poursuit sa stratégie de développement et d’influence, notamment en Afrique.

La Corée du Sud va construire deux réacteurs de 1,2 GW en République tchèque, financés dans le cadre d’un contrat pour différence. La Norvège envisagerait maintenant de faire appel au nucléaire, comme l’Australie. Des SMR pourraient être construits en Italie.

Le sujet du financement devient encore plus prégnant et cela pour l’ensemble du cycle, incluant l’allongement de la durée d’exploitation des installations existantes, le retraitement des combustibles usés, le développement de nouvelles technologies (réacteurs à neutrons rapides, AMR, SMR). Et on ne saurait oublier les capacités d’enrichissement.

Il en est de même des besoins en uranium dont le prix est à la hausse ; de nouvelles ressources sont nécessaires pour une demande qui pourrait atteindre 100 000 tonnes en 2040 ; d’où de nouvelles explorations (Australie, Canada, pays d’Europe du Nord), des actions de diversification géographique (Asie centrale), et des interrogations (quid du Niger ?).

Vers la transition énergétique : montée des enjeux internationaux

Les tensions entre l’UE et la Chine se concrétisent par plusieurs mesures dans un contexte loin d’être stabilisé : l’UE souhaite défendre les producteurs européens de turbines pour éoliennes, en taxant les importations de Chine considérant que les industriels chinois reçoivent subventions et soutien de l’État ; l’Allemagne entend défendre ses producteurs de turbines ; la Chine exporte des biocarburants vers l’UE qui envisage une forte augmentation des taxes à l’entrée du marché européen ; la Serbie ne veut plus vendre de lithium à la Chine ; l’UE considère qu’il y a surproduction de panneaux PV alors que les installations ralentissent ; le ralentissement des ventes de véhicules électriques a un effet négatif sur la production chinoise de voitures et de batteries conduisant à une réorganisation industrielle majeure. La Chine a déposé une plainte à l’OMC, considérant que les taxes européennes sur les voitures en violent les règles et conduisent à ne pas atteindre les objectifs climatiques.

Aux États-Unis, le développement des renouvelables est rapide et soutenu par les décisions fédérales ; il en est de même de la production de batteries. A noter que le Qatar investit aux États-Unis pour la recherche de terres rares et de lithium. Plusieurs objectifs : réduire la dépendance à la Chine, limiter l’augmentation du prix de l’électricité, mettre fin au charbon pour la production d’électricité en 2030.

Pour ce qui concerne le nickel, l’Indonésie est de loin le premier producteur avec une présence massive de la Chine, qui vise également un accord avec les Philippines qui préfèreraient un accord large avec les États-Unis incluant terres rares et cobalt pour lesquels les États-Unis sont largement dépendants.

Dans ce contexte, l’Allemagne doit gérer une situation complexe : elle continue d’investir en Chine, notamment pour l’automobile, elle poursuit le développement des renouvelables tout en envisageant la fin des subventions, elle réfléchit à l’accentuation des délocalisations du fait du coût de l’électricité et baisse certaines taxes payées par les industriels, elle entend développer l’hydrogène (mise en place d’un réseau de 10 000 kms en adaptant une partie du réseau gazier, importations, développement de l’industrie des électrolyseurs en concurrence de la Chine), alors que l’UE s’interroge sur la pertinence de ses objectifs hydrogène à 2030.

Et il convient de suivre le Royaume-Uni et les objectifs du nouveau gouvernement : la sortie du charbon sera-t-elle réalisée ? L’objectif de 30 GW d’éolien sera-t-il atteint sachant le défi que représente le raccordement au réseau ? Les moyens sont-ils disponibles pour le développement technologique (captage et séquestration du carbone, hydrogène, …) ?

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