Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Hommage : Christian Stoffaës (1947-2025)*

Une carrière exemplaire au service de l’État, de l’énergie et des sciences économiques

Né le 9 mai 1947 à Rouen, Christian Daniel Vital Stoffaës a marqué profondément le paysage économique français en tant qu’économiste brillant et visionnaire, haut fonctionnaire dévoué, cadre dirigeant à EdF et professeur d’université respecté.

Sa carrière professionnelle s’est principalement déroulée entre deux institutions majeures : le ministère de l’Industrie absorbé par celui de l’Économie et Électricité de France. Ingénieur général des mines, Christian Stoffaës a commencé son parcours au ministère de l’Industrie dès 1972, où il a occupé successivement les fonctions de directeur du sous-arrondissement minéralogique DE pARIS, inspecteur général des carrières d’Île-de-France, puis en 1974, chargé de sous-direction au service des affaires industrielles internationales de la prestigieuse Direction générale de l’Industrie (DGI) dirigée alors par Hugues de l’Estoile (X 1951). Il est devenu en 1978, le chef du Centre d’études et de prévision, en 1982, directeur adjoint des industries électroniques et de l’informatique, puis chargé de mission auprès du ministre de l’Industrie, des Postes et Télécommunication et du tourisme, Alain Madelin. Son expertise dans les grands contrats d’exportation pendant la période du choc pétrolier a été particulièrement remarquée. De 1974 à 1978, il est rapporteur de la commission Industrie du Plan.

Sa carrière s’est ensuite poursuivie chez Électricité de France, à partir de 1988, d’abord sous la présidence de Pierre Delaporte, où il a exercé les fonctions de rapporteur du comité général stratégique, directeur adjoint de la direction de l’économie, de la prospective et de la stratégie, directeur de l’inspection générale, et directeur de la prospective et des relations internationales à la présidence et à la direction général d’EdF et finalement délégué général auprès du directeur général adjoint participations internationales et gaz. A EdF il a été étroitement associé à l’évolution de la régulation en Europe et au développement international de l’industrie électrique. Il a participé à la fondation du groupe E7 des plus grandes compagnies d’électricité du monde. Etant à EdF, il fut Président de la commission Réseaux 2010 du Commissariat général au Plan.

Depuis 2006, jusqu’à sa retraite, il fut au Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies. Le Président Nicolas Sarkozy l’avait chargé d’une mission pour le coopération franco-allemande dans l’énergie. Dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, il avait participé à la mise en place du Plan Solaire Méditerranéen et de MEDGRID, son véhicule pour développer des interconnexions. 

Parallèlement à ses responsabilités administratives, Christian Stoffaës a mené une brillante carrière universitaire. Il a été professeur d’économie des entreprises à l’internationale à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, mais aussi enseignant à Sciences Po et à l’Université Paris-Dauphine notamment sur la gouvernance mondiale du climat. Son enseignement, nourri par son expérience de terrain, a inspiré des générations d’étudiants.

Jusqu’à récemment, il occupait plusieurs fonctions : membre du conseil d’administration et président d’honneur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales – CEPII ((un service du Premier ministre dont il a été le président de 2004 à 2010), vice-président du Cercle des économistes, membre du comité de la fondation Maurice-Allais, membre du Kuratorium de l’institut de Genshagen et délégué général à Paris de la Fondation Getulio Vargas (une université privée brésilienne de renom).

Christian Stoffaës a profondément marqué la réflexion française sur l’économie, les services publics et la politique industrielle à travers ses idées, ses nombreux rapports officiels et ses ouvrages. Outre de nombreux développements en économie internationale, en régulation économique, en économie de l’entreprise, en politique industrielle et en énergie, il a développé le concept d’« utilité publique » qui marie le souci du maintien d’un service public fort à la nécessité d’aménagements pour rester compétitif. Il s’est très précocement intéressé aux questions environnementales. Il était très présent et influenceur également sur ce sujet et a participé à toutes les conférences du changement climatique, de l’acte fondateur à Rio, en 1992, à Kyoto, en 1997 jusqu’à Marrakech, en 2016.

Parmi ses contributions majeures figure le pilotage de nombreux rapports. Nous en citons quelques-uns pour illustrer la largeur, la force et la finesse de son esprit et de sa capacité à mobiliser l’expertise, les experts, la connaissance et les savoirs : L’économie face à l’écologie, rapport dans le cadre de la Préparation du 11e Plan en 1992 ; L’Europe à l’épreuve de l’intérêt général, rapport pour le Commissariat général au plan en 1993 ; L’Europe et les service publics, rapport au Ministre de l’économie en 1995 ; L’Europe : avenir du ferroviaire, rapport au Ministre des transports en 1996 ; Vers une régulation européenne des réseaux, rapport à la ministre déléguée aux affaires européennes 2002 ; Mittelstand : notre chaînon manquant, rapport au ministre des Entreprises 2008 ; Rapport sur la sécurité gazière de l’Europe : de la dépendance à l’interdépendance, rapport de la Commission Sécurité gazière du Centre d’analyse stratégique en 2010 ; Le mécanisme d’accès à l’Énergie durable, rapport remis en 2012 à la ministre de l’Écologie. En un mot pour lui le but de la prospective, c’est le développement durable dans un monde qui change.

Il a rédigé de nombreux livres dont Nationalisations, en collaboration avec Jacques Victorri, en 1977, La Grande menace industrielle en 1978, Fins de Mondes en 1987, Services publics: questions d’avenir en 1995, Soleils rouges : une histoire du ministère de l’énergie atomique de l’Union soviétique, en collaboration avec Maria Vasilieva en 2000 et Psychanalyse de l’antilibéralisme en 2006.

Il a préfacé deux très beaux livres : Pierre Guillaumat : la passion des grands projets industriels en 1995, Georges Besse : des grands projets aux restructurations industrielles en 1998,

Avec Jacques Lesourne (X1948) il signe un grand classique de l’enseignement La prospective stratégique d’entreprise : De la réflexion à l’action en 1996, deuxième édition en 2001

Ses dernières années ont été consacrées à plusieurs missions, notamment en tant que chargé de mission pour la Fondation Énergies pour l’Afrique et président exécutif d’Africagrid, témoignant de son engagement permanent pour le développement énergétique durable.

Christian Stoffaës était veuf de Brigitte Stoffaës, née Sauzay (1947-2003). Ils ont eu trois enfants : Madeleine (née en 1983), Joanny (né en 1986), Louis (né en 1989). Brigitte Sauzay a été l’interprète pour l’allemand du ministère des Affaires étrangères et directrice du service d’interprétation et de traduction (1985/ 1998). Interprète des présidents de la République Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, Brigitte Sauzay fut ensuite conseillère pour les affaires franco-allemandes auprès du chancelier fédéral Gerhard Schröder à Bonn puis à Berlin (1998-2003). Auteure de Le Vertige allemand (1985) et « Retour à Berlin » (1992), elle a cofondé en 1993 avec le professeur Rudolf von Thadden l’institut de Berlin-Brandebourg pour la coopération franco-allemande en Europe (fondation Genshagen depuis 2005) qui fut un lieu important de dialogue au moment de l’unification et du transfert de la capitale fédérale.

Il nous a quittés dans la nuit du lundi 19 mai 2025 au mardi, à l’hôpital Broca, à Paris 13e, des suites d’une longue maladie. Christian Stoffaës nous laisse l’héritage d’une pensée économique rigoureuse, d’un engagement sans faille pour le service public et d’une vision humaniste du développement industriel. Il a inspiré de nombreuses personnes. Sa disparition laisse un vide immense dans le monde de l’économie et de l’énergie en France.

À sa famille, ses proches, ses collègues et ses anciens étudiants, nous présentons nos plus sincères condoléances.

 

 

On peut noter son futur livre

Au service de l’atome: une histoire d’EDF


https://www.amazon.fr/Au-service-latome-histoire-dEDF/dp/2415010324

https://www.odilejacob.fr/catalogue/documents/temoignages-actualite-enquetes/au-service-de-l-atome_9782415010324.php


– L’histoire d’EDF se lit comme un roman, comme une page de l’histoire de France, depuis sa création en 1946. Christian Stoffaës raconte une grande institution française qui s’est adaptée aux défis et aux idéologies de chaque époque : la libéralisation de l’économie, la globalisation, l’intégration européenne, la transition énergétique. Ce feuilleton français de l’énergie nous fait découvrir la diplomatie de l’électricité européenne, les revirements autour du nucléaire, les enjeux de la planification industrielle.


– EDF témoigne de l’évolution des valeurs de la société, des modèles économiques. Hier, EDF représentait l’entreprise-symbole de la Reconstruction et des Trente Glorieuses, la synthèse de l’État-Providence et du progrès technique, du plan et du marché. Aujourd’hui, à l’inverse, EDF défend la dérégulation de l’économie globalisée et la finance de marché, l’écologie politique

– EDF ne laisse personne indifférent. Qu’on la vénère pour être l’incarnation la plus achevée du service public à la française, la plus grande compagnie d’électricité dans le monde, la plus nucléaire, ou qu’on la vilipende comme monopole coupable de greenwashing : les choix énergétiques construisent le monde de demain, et nous sommes tous concernés.

 

*(X 1966, IEP 1970, IM1971, Harvard Kennedy School of Government 1972) / Ingénieur général des Mines / Chevalier de la Légion d’honneur, Officier de l’ordre national du Mérite, Commandeur de l’ordre des Palmes académiques.

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Ingénieur général des mines

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