L’impérative nécessité de donner une feuille de route énergie pour la France
Indépendamment des échéances électorales à venir, la France a besoin d’une politique de long terme résolument engagée vers les enjeux bas-carbone.
La France s’appuie aujourd’hui sur un système électrique dont les grandes lignes ont été décidées après la guerre de 1945 et dans les années 1970. Elle en tirera les bénéfices encore pour les 10 – 15 prochaines années. Néanmoins l’avenir se prépare dès maintenant par des décisions incontournables à prendre au regard du cycle long des investissements dans les actifs de production. Ce renouvellement doit impliquer tant les filières renouvelables éolien, solaire, hydraulique que la production nucléaire. Il ne faut pas non plus minimiser l’enjeu de l’adaptation des réseaux et des modes de consommation.
Le cap est donné avec l’objectif de neutralité carbone en 2050 et le jalon du Green deal qui fixe un objectif de baisse des émissions de CO2 de -55% d’ici 2030. Les années à venir seront déterminantes : au niveau européen, avec la négociation du paquet législatif « Fit For 55 », en partie sous Présidence française, et sa déclinaison dans les cadres législatifs nationaux des pays Membres ; en France, en 2023, lors de l’examen de la future loi quinquennale de programmation pluriannuelle de l’énergie.
L’électricité sera un vecteur clé de la décarbonation du système énergétique français et européen, aux côtés d’efforts de sobriété et d’efficacité énergétique.
Véhicules électriques, pompes à chaleur, domotique… La transition vers une économie bas carbone accroît le besoin en électricité décarbonée alors qu’aujourd’hui près des deux-tiers des consommations sont encore basées sur les énergies fossiles. La filière électrique avec ses 600 000 emplois répartis dans les territoires accompagnera cette politique ambitieuse.
Une feuille de route pour la France est indispensable pour donner de la visibilité à l’ensemble des segments de la filière électrique. C’est une condition sine qua non pour permettre aux entreprises de sécuriser leurs plans d’investissements et d’embauches. C’est également une condition de réussite de la réindustrialisation de notre pays.
Pour répondre à la croissance de la demande d’électricité décarbonée, nous devrons réaliser un effort important de réduction de nos consommations finales par l’efficacité énergétique et le déploiement des solutions les plus performantes. Nous devrons pouvoir compter sur le maintien et le renouvellement d’un parc de production durablement décarboné et compétitif.
L’électricité d’origine renouvelable est indispensable pour être au rendez-vous des enjeux climatiques, ce qui implique une politique volontariste pour atteindre nos objectifs ambitieux.
Pour fournir un socle de production décarbonée pilotable, la filière nucléaire est irremplaçable. Elle doit être pérennisée et renouvelée. Pour cela, il convient de prolonger la durée de vie des centrales existantes, dans le respect des exigences de sûreté, mais aussi de lancer rapidement les chantiers de nouvelles installations nucléaires. En effet, nous sommes en retard ! L’éolien terrestre et le solaire atteignaient début aout 2021, respectivement 70 et 57 % des objectifs de la PPE 2023 et malgré une dizaine de projets lancée, il n’y a toujours aucune installation éolienne maritime en fonctionnement à ce jour. Pour le nucléaire, la PPE actuelle prévoit les fermetures des 12 réacteurs nucléaires d’ici 2035 et il est impératif d’engager les investissements dans de nouveaux actifs de production nucléaire pour maintenir ouverte l’option nucléaire.
Cessons d’opposer EnR et Nucléaire ! Nous aurons besoin de toutes les technologies décarbonées pour faire face à l’augmentation de la demande d’électricité.
Il ne faut pas non plus minimiser l’enjeu de l’adaptation des réseaux et des modes de consommation. La transition énergétique aura des conséquences sur les réseaux de transport et de distribution d’électricité, en termes d’investissement, selon les différents schémas de développement des productions variables diffuses ou centralisées, d’intensité de raccordement et de pilotage. Il conviendra d’examiner, dans cette perspective, la pertinence des tarifs de réseau et les incitations qu’ils envoient. La planification doit retrouver plus que jamais sa place dans l’action publique.
Les systèmes électriques européens sont interconnectés, c’est à l’échelle européenne qu’il faut s’intéresser au dimensionnement des capacités de production qui constituent un des déterminants de la sécurité d’approvisionnement. Or, on peut faire le constat des limites de la coordination politique existant entre les pays européens.
D’ici 2035, selon France Stratégie, c’est un solde de 80 GW de puissance pilotable qui pourrait être retiré du réseau interconnecté, constitué par les systèmes électriques de la France et de ses six pays frontaliers, du fait des fermetures programmées des centrales à charbon et nucléaires que l’essor des EnR, des flexibilités et des interconnexions ne pourra pleinement compenser, réduisant ainsi les marges de sécurité.
Certes les pays de l’UE ont un objectif commun avec le Fit For 55, mais des voies différentes sont possibles pour y parvenir. Chaque pays membre est responsable de son mix avec des écarts de vision importants ; cf contrat de programme de la nouvelle coalition en Allemagne et les pays qui, comme la France, les Pays Bas, la Finlande, la Suède ou la République tchèque, prônent la prise en compte des situations de départ différentes des pays membres et incluent le nucléaire dans les technologies leur permettant d’atteindre la neutralité carbone.
Le volume annuel d’investissement va changer d’échelle avec la transition énergétique. Le cadre de marché actuel devra être amélioré pour inclure des signaux prix moyen long terme pour encourager les investissements dans nouveaux actifs. Des tensions durables sur les prix renforcent la nécessité de pérenniser l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique pour permettre aux consommateurs français de bénéficier de la compétitivité du parc historique en préservant les intérêts économiques de l’exploitant. Une grande vigilance doit être apportée aux outils européens communs proposés par la Commission européenne (finance durable, lignes directrices sur les aides d’Etat, accès aux Fonds européens et aux projets d’intérêt commun) afin qu’ils rendent possible une approche de neutralité technologique misant sur la complémentarité des technologies bas carbone.
Sur tous ces enjeux la France doit faire valoir ses atouts et porter sa voix au niveau européen.
Gérer nos risques, et préparer l’avenir, requiert en effet de combiner aux technologies renouvelables variables des technologies décarbonées pilotables et c’est garder comme principe directeur de garder le maximum d’options ouvertes, au regard des incertitudes et de la maturité des technologies, et pour intégrer la dimension sociale et économique des transformations.
Présidente de l'Union Française de l'Electricité (UFE)
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