Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Elections législatives et Transition énergétique

La baisse de la TVA sur l’électricité cible l’angle mort de la politique énergétique, l’acceptation sociale de la transition. Pour la production électrique et le nucléaire, les positions électorales sont claires.

Le Rassemblement National se déclare pronucléaire sans réserve. Il ralentirait les projets d’ENR (éolien et photovoltaïque), sans doute pour se différencier des écologistes et peut être pour contenir les prix.

Le Front populaire se lancerait dans les ENR sans trop de considération des coûts, en masquant par là son double langage sur le nucléaire.

 Ensemble pour la République affiche sa confiance retrouvée pour le nucléaire (6 EPR et plus) en passant sous silence son changement de pied sur la question.

Finalement les programmes électoraux se différencient surtout par le rythme du développement des ENR et le nucléaire retrouve un soutien très large.

Mais une question s’est invitée dans la campagne, celle du prix de détail de l’électricité.

Cette question comporte deux facettes : la variabilité du prix, conséquence directe du marché européen, et la soutenabilité, c’est-à-dire le montant de la facture.

La variabilité des prix

Ensemble et les LR s’inscrivent dans le marché européen. Le marché de détail a donné à chaque consommateur l’illusion de la responsabilité individuelle en lui donnant accès au prix de gros qui change toutes les 15 minutes. Et les consommateurs doivent passer par des grossistes qui lissent les variations de prix après avoir pris leurs marges. Un peu comme les banquiers vendent des produits structurés aux petits épargnants.

Le Front Populaire et le Rassemblement National rejettent tous deux le marché européen, mais sans préciser si cela concerne le marché de gros ou de détail. Prise au pied de la lettre, leur proposition consiste à un retour au traité de Rome, qui excluait l’électricité de la concurrence, avant l’acte unique et Maastricht. Difficile de savoir ce qui ressortirait de négociations avec l’Union Européenne.  

La soutenabilité des prix

Avec la baisse de la TVA de 20% à 5% sur l’énergie et en particulier sur l’électricité, le Rassemblement National crée la surprise.

De nos jours, la question de la soutenabilité des prix de l’électricité a pris une importance nouvelle.

Comment en est-on arrivé à une telle situation de tension et d’incertitude, devenue essentielle pour les faibles revenus et restée secondaire pour les autres ?

Si on s’était contenté de gérer les besoins courants, le prix de l’électricité n’aurait pas bougé.

 Or la déconstruction du système électrique, préalable à la concurrence, et aussi la fuite en avant écologique ont engendré des surcoûts durables. Leur montant est difficile à chiffrer mais bien supérieur à 25% : surcoûts d’organisation et de transactions commerciales, investissements inutiles car construits sans optimisation ni réel besoin, nombreux profiteurs capitalistes de la précipitation créée par la pression écologiste et, enfin, laxisme social.

Comme l’électricité représente une part du budget d’un ménage d’autant plus grande que le revenu est faible, un nouveau champ de précarité a été créé.

Une nouvelle perspective sur le financement de l’électricité

La hausse des couts, appelée à s’accentuer, pourrait alors déboucher sur un changement de perspective sur le financement du système électrique. Celui-ci pourrait basculer de son statut actuel de « vache à lait » fiscale ( taxes locales, TVA et financement des ENR par une dette à 20 ans)  pour déboucher sur  un besoin de soutien fiscal net. .

Le Rassemblement National se distingue en traitant l’énergie comme un bien essentiel, au même titre que l’alimentation. Il passe outre à la doxa économique et déclasse le signal prix dans la hiérarchie des outils de la politique climatique. Il déclasse aussi la taxe carbone. La question de l’élasticité prix est écrasée par la question sociale et devient secondaire.

Ce transfert fiscal contredit l’expérience récente. Le « tout nucléaire, tout électrique », avait été financé en totalité par le consommateur d’électricité sans recours au contribuable. Il était porté par du nucléaire pas cher et un environnement international exceptionnel avec des prix du pétrole multipliés par dix. Le « miracle » de l’autofinancement ne se reproduira pas.

Pour l’avenir, l’électricité sera couteuse et la transition reposera sur un transfert d’argent de l’économie carbonée (taxe carbone ou autre) vers l’économie décarbonée.

On subventionne déjà les pompes à chaleur et les véhicules électriques, etc. Mais le co-financement direct de l’électricité par le contribuable reste tabou alors qu’il permettrait une transition sans bureaucratie et tout aussi efficace que les mesures ciblées.

A l’avenir, la répercussion des couts sur le seul consommateur deviendra insoutenable, d’autant plus que le système a été très endetté.

Entre l’augmentation de la dette de EDF et les engagements hors bilan pour financer les ENR, le système, qui fait face à un mur d’investissement, a déjà été lesté de l’ordre de 300 milliards d’engagements financiers.

La proposition de baisse de la TVA sur l’électricité peut alors être vue comme un premier pas vers un cofinancement électrique partagé entre le consommateur et le contribuable.

Une électricité chère à produire ne sera socialement acceptable que si le prix est avantageux pour le consommateur.

Les infrastructures électriques seraient alors subventionnées et l’usage de l’électricité facilité par des prix bas et, pourquoi pas, un jour, quasi gratuits, comme l’usage du téléphone aujourd’hui. Les marges sont grandes (d’abord suppression de la fiscalité spécifique puis prise en charge par l’impôt des réseaux de transport RTE et ENEDIS en tant que routes de la transition électrique, et filière électriques vue comme bien commun essentiel, etc.).

En Conclusion 

Depuis 20 ans, incitée par l’Union européenne, la politique a ignoré l’intérêt des consommateurs d’électricité. Le retour du refoulé est violent. L’illusion d’une transition indolore s’est dissipée.

 Juger la baisse de la TVA sur l’électricité comme une simple mesure clientéliste non financée ne fait pas avancer le débat. Cette proposition inattendue éclaire un angle mort de la transition énergétique, celui de son acceptation sociale et de la cohérence entre les mots et les actes. Une question se pose à tous. Après des années de dopage par la dette, le retour de la contrainte économique dans la transition électrique est devant nous.  

Note technique

Quand la France a passé le seuil des 1000 milliards d’euros de dette publique (rapport Pébereau) le système électrique n’était pas endetté. Quand le seuil de 2000 milliards a été atteint, la dette électrique qui n’est pas compatibilisée en dette publique (EDF et dette hors bilan liée aux productions ENR) s’élevait à 200 milliards (les producteurs d’ENR ont connu une période euphorique). Et aujourd’hui des hypothèses raisonnables de prix estimeraient à 300 milliards l’endettement total électrique et rajoute environ 10% non comptabilisés à la dette publique.

Le soutien à la transition énergétique finira alors par imposer un système de co-financement de la filière électrique par la fiscalité ou alors conduire à un brutal ralentissement

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Ancien directeur du gaz et de l’électricité au Ministère de l’Industrie

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