Centrales nucléaires en Ukraine : quel risque ?
Nombreux sont ceux qui s’interrogent légitimement sur la menace réelle que pourrait constituer un accident majeur survenant dans une centrale nucléaire située en Ukraine, compte tenu des combats qui s’y déroulent actuellement. Cet article est destiné à fournir des éléments de réponse factuels, montrant que ce risque est en réalité très faible sans être pour autant totalement nul (par définition, un risque n’est jamais nul)
Rappelons d’abord que la part de la production électrique d’origine nucléaire est majoritaire en Ukraine avec une proportion de plus de la moitié (54 % en 2019) de l’électricité fournie par 15 réacteurs nucléaires repartis sur 5 sites (dont le désormais célèbre site de Zaporojie, le plus grand, qui comporte 6 réacteurs nucléaires de 1000 MWe).
Ce sont tous des réacteurs de type russe dits « VVER » qui sont de conception générale très proches de celle de nos réacteurs à eau pressurisée (REP) avec notamment une enceinte de confinement coiffant l’ensemble de la portion proprement nucléaire du réacteur. Cette enceinte en béton armé très épais (plus d’un mètre) est capable de résister à l’impact d’un gros missile ou même au choc provoqué par la chute d’un avion militaire la percutant à une vitesse de près de 800 km/h. De plus, la cuve contenant le cœur du réacteur est elle-même enfermée dans un « puits de cuve » en béton d’une épaisseur d’environ 2 mètres et elle est surmontée d’une dalle antimissile (amovible) destinée, en temps normal, à protéger la cuve d’une « agression » interne telle que la chute d’un moyen lourd de manutention (typiquement celle du pont « polaire » qui se déplace au sommet de l’enceinte de confinement). Toutes ces dispositions éliminent pratiquement le risque de dégradation directe de la cuve par un explosif même très puissant projeté depuis l’extérieur sur le bâtiment du réacteur.
Il reste que le maintien de l’intégrité du cœur du réacteur nécessite son refroidissement permanent car il dégage pendant très longtemps beaucoup de chaleur (du fait de sa radioactivité très intense) qu’il faut absolument pouvoir évacuer faute de quoi sa température peut augmenter jusqu’à faire fondre le cœur. Ce dégagement de chaleur est tel qu’une évacuation par air est insuffisante pendant très longtemps et qu’il faut donc nécessairement un refroidissement par circulation d’eau assurée par des pompes. Cette eau doit d’ailleurs être elle-même refroidie par des « sources froides » externes qui dans le cas des réacteurs nucléaires en Ukraine (tous éloignés du bord de mer) sont soit des aéroréfrigérants soit des échangeurs avec l’eau d’un fleuve (le Dniepr pour Zaporojie). Mais ces moyens sont extrêmement redondants (par exemple avec plusieurs « diesels » de secours) et diversifiés y compris sur le plan de leur localisation géographique. Dans ces conditions il n’existe pas de scénario crédible d’agression involontaire pouvant conduire à une destruction totale et simultanée de tous ces moyens de refroidissement. Ce même constat est valable pour les piscines de refroidissement dans lesquelles sont stockés les combustibles usés, et qui génèrent également de la chaleur qu’il faut nécessairement évacuer. Mais dans ce cas le dégagement de chaleur est beaucoup moins intense, ce qui laisse au minimum plusieurs dizaines d’heures pour réagir en cas d’endommagement même complet des moyens de refroidissement (par exemple par un apport de moyens de refroidissement auxiliaires constitués simplement de tuyaux et de pompes).
Avant de conclure il convient d’évoquer rapidement le cas particulier du site de Tchernobyl, aujourd’hui occupé par les Russes. Il faut d’abord souligner qu’il N’Y A PLUS DE REACTEUR NUCLEAIRE EN FONCTIONNEMENT puisque le dernier a été arrêté définitivement le 15 décembre 2000. Le réacteur accidenté en avril 1986 est totalement isolé de l’environnement grâce un énorme « sarcophage » en béton dans lequel il est enfermé. Ce sarcophage est lui-même abrité dans une immense « arche » métallique fermée dont le rôle est principalement de confiner les matières radioactives résiduelles et d’abriter diverses installations destinées à décontaminer, démanteler et conditionner les matériaux radioactifs en vue d’un futur stockage définitif. Les combustibles usés des anciens réacteurs qui renferment la plus grande part de la radioactivité sont toujours entreposés sur le site dans des piscines mais ils ne dégagent que très peu de chaleur aujourd’hui du fait de la décroissance radioactive. L’eau de ces piscines est encore légèrement refroidie mais compte tenu du volume de ces piscines une perte totale et durable des moyens de refroidissement (notamment par interruption des alimentions électriques) n’entrainerait pas d’élévation de température dépassant les 70 à 80°c, ce qui élimine tout risque de libération de radioactivité par endommagement du combustible. Il existe enfin de multiples zones d’entreposages de déchets solides de toutes sortes sur le site mais ils sont généralement peu dispersables (ferrailles contaminées par exemple) et de faible activité. Une explosion même violente sur l’un de ces sites ne pourrait donc disséminer localement que de des quantités relativement faibles de radioactivité dans un espace limité dans lequel ne réside quasiment personne puisqu’il existe une zone d’exclusion de 30 km autour du site.
EN CONCLUSION, seule une attaque intentionnelle ou des actions malveillantes visant à provoquer délibérément un accident nucléaire grave peut conduire à un relâchement de quantités importantes de produits radioactifs dans l’atmosphère. Mais ce dans ce cas, même en supposant que Vladimir Poutine ait tous les pouvoirs, une chose est sûre : il n’a pas celui de changer le sens du vent…
Docteur en physique nucléaire, expert international
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Dominique Grenêchehttps://lepontdesidees.fr/author/dgrenecheauteur/
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