Les perspectives du secteur nucléaire nécessitent un effort industriel et économique
Ces dernières années, nous pouvons noter un regain d’intérêt certain pour le nucléaire qui se diffuse en Europe. J’étais en Pologne la semaine passée où un programme très important va se mettre en place. Cependant, certains États membres souhaitent eux sortir du nucléaire. Il faut donc garder un bon équilibre et avoir une idée claire de ce qu’il va se passer.
À ce stade, nous avons besoin de mobiliser tous les éléments du système énergétique pour faire face à l’agression russe en Ukraine. L’énergie nucléaire ne fait pas exception, nous avons plusieurs réacteurs en Europe de l’Est, de conception soviétique et russe qui dépendent de la fabrication du combustible et du cycle du combustible en provenance de Russie. Et il faut se débarrasser de cette dépendance le plus vite possible. C’est un enjeu industriel important : il faut remplacer la fabrication du combustible. Mais il faut penser aussi à la partie en aval du cycle, c’est-à-dire l’enrichissement et la conversion. On ne peut pas se débarrasser de la fabrication et rester dépendant pour les autres parties du cycle du combustible.
C’est une opportunité. Si l’on considère « l’Ouest Global » (l’Europe, les Etats-Unis, la Corée, le Japon), nous avons besoin de remplacer des filières qui ici, en Europe et aux États-Unis sont en ce moment partagées avec la Russie. Nous avons du combustible pour un certain nombre d’années. Mais si nous voulons que le marché nous offre de nouveaux combustibles, il faudra aussi du temps pour établir des garanties de sûreté.
Cet aspect est bien souligné par la Commission européenne dans son plan d’action REPowerEU adopté au mois de mai dernier. Depuis lors, nous y travaillons avec toutes les parties impliquées de la chaîne industrielle. Vous savez que la politique européenne en matière de climat-énergie est fixée sur les objectifs de 2050. L’objectif de neutralité carbone ou « net zéro » est fixé à 2050. Mais nous avons également un objectif intermédiaire très fort car il demande une réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990.
Et dans ce contexte la demande d’électricité va augmenter. Car vous ne pouvez pas décarboner l’économie si vous ne poussez pas l’électrification. Nous avons développé depuis des années des scénarios pour voir quel serait l’équilibre entre les différents types d’énergie en 2050 -scénarios basés sur des analyses économiques et sur les intentions des différents États membres. Toute la politique européenne qui est basée sur le Traité de fonctionnement de l’Union Européenne a deux facettes : d’un côté l’article 194 du Traité pousse vers l’efficacité énergétique et le renouvelable dans le mix énergétique et de l’autre, il y a l’indépendance des États membres dans leur choix des sources énergétiques. Et il est clair qu’à l’horizon 2030, nous aurons un important mouvement d’un grand nombre d’États pour des programmes électronucléaires qui monteront en importance.
Le nucléaire est reconnu comme une source à bas carbone. L’Union européenne l’a bien compris dans son ensemble. Mais des doutes ont subsisté qui ont été discutés longuement quand l’Acte délégué sur la taxonomie a été mis en place -notamment en ce qui concerne la gestion des déchets radioactifs et les progrès des États membres à cet égard.
La sécurité énergétique est devenue le grand axe de la politique énergétique européenne. Nous pouvons imaginer un fort développement du parc nucléaire dans le futur. L’âge moyen du parc nucléaire européen s’élève à 30 ans et plus. Sans investissement cohérent et immédiat, une proportion importante des réacteurs sera fermée en 2030. Pour maintenir la capacité actuelle, il a été estimé qu’à l’horizon 2050, entre 350 et 450 milliards d’euros devront être investis, pour pouvoir atteindre une capacité électrique nette autour de 100 gigawatts. De plus, il faudra penser considérer un investissement supplémentaire de 45 à 50 milliards d’euros à investir dans les exploitations existantes pour faire le lien avec les nouveaux réacteurs. C’est pourquoi le coût du financement joue un rôle essentiel dans la production d’une électricité électronucléaire compétitive. Tous les États membres, qui aujourd’hui exploitent des réacteurs, pensent à prolonger leur vie. On peut cependant noter également un mouvement plus important de remplacement d’un certain nombre de réacteurs.
Lorsque l’on considère la prolongation de vie des centrales nucléaires, il faut rappeler l’importance de planifier celle-ci en temps utile. Si vous avez un parc nucléaire très important, comme en France, il est clair que l’effort industriel permettant cette prolongation va être très important. Des obligations sont prévues au titre de la Directive européenne sur la sureté nucléaire, telles que les objectifs de sureté et les révisions décennales. L’application de ces obligations est assurée par les autorités de réglementation nationales mais celles-ci sont également bien encadrées par la réglementation européenne. Je rappelle la nécessité de notifier à la Commission européenne ce type de projet ainsi que l’état de la progression sur les enjeux de gestion des déchets radioactifs et du démantèlement.
Des objectifs ambitieux pour le climat sont une chance pour toutes les technologies bas carbone. Depuis quelques années, nous notons une tendance pour les petits réacteurs modulables, les « SMR ». À la Commission, nous réfléchissons aux questions posées par cette tendance : les enjeux industriels, la chaîne de valeur, la compétitivité, le financement…Si l’on choisit la modularité, peut-on se permettre d’avoir en Europe le même type d’autorisation actuellement en vigueur ? Nous menons une réflexion sur ces thèmes dans un cadre créé pour préparer le lancement de partenariat européens pour les « SMR ». Nous poursuivons cette réflexion avec toutes les parties concernées : l’industrie, les chercheurs, les clients et les autorités nationales. Je voudrais souligner le projet de SMR « Nuward » porté en France par EDF et ses partenaires. Car il est important de voir qu’à côté des réacteurs du Canada et des Etats-Unis, il y a aussi une filière européenne qui se développe et doit se développer si on espère voir ce type de réacteurs diffusés dans les pays européens intéressés.
Un autre élément va jouer un rôle important dans les années à venir (mis à part ces « SMR » qui feront probablement aussi l’objet d’applications industrielles pour la production de chaleur ou d’hydrogène). Il s’agit du projet d’entreposage géologique profond de combustibles usés qui devrait être mis en service en Finlande en 2025. Ce sera la première fois qu’un traitement industriel pour l’enfouissement profond des déchets nucléaire à haute activité verra le jour. Cela changera la perception car nous serons alors capables de gérer ce type de déchets.
Par ailleurs, la fusion nucléaire est devenue récemment un sujet très à la mode. Dans l’Union européenne, nous travaillons sur la fusion depuis des décennies. Le projet ITER à Cadarache est l’un des projets de fusion parmi les plus ambitieux et prometteurs au monde sur la fusion. J’ai pu lire qu’il y avait des délais et des difficultés industrielles mais il faut dire que nous poussons la barre de six ordres de grandeur : la fusion permet d’aller un million de fois plus loin par rapport à ce qui se fait maintenant. Des difficultés industrielles et scientifiques subsistent, qu’il faudra régler.
Juste avant de terminer, je voulais rappeler qu’à travers la taxonomie, qui mobilise et encourage le secteur privé dans les technologies bas carbone ou de transition, le nucléaire a été qualifié de technologie de transition à ce stade. En mars 2022, la Commission a adopté un acte délégué complémentaire qui reconnait le rôle du nucléaire dans la transition jusqu’en 2050 et il permet de donner confiance aux investisseurs dans la mesure où il s’agit d’une technologie retenue dans le mix énergétique européen. L’acte délégué est entré en vigueur depuis le 1er janvier 2023. Nous sommes conscients que les projets d’amélioration de l’organisation dans le marché de l’électricité sont fondamentaux pour adresser les signaux adéquats pour l’investissement. La Commission y est attentive.
Il faut également dire que les perspectives du secteur nucléaire ne sont pas acquises et nécessitent un effort industriel et économique. Il faut savoir construire et l’Europe souffre d’un manque. La filière doit être renouvelée en termes de personnels et encourager les jeunes à y venir. Un cadre politique stable est également nécessaire pour garantir cette technologie dans la durée et pour qu’elle soit acceptable par la société. Enfin, il faut garder comme priorité pour les États membres qui souhaitent utiliser le nucléaire, comme pour les autres, la sûreté nucléaire : c’est un atout que nous avons en Europe et qu’il faut considérer avant toute chose, lorsque l’on parle du nucléaire. ♦
Directeur général adjoint en charge de la coordination de la politique Euratom, Direction Générale de l’Energie, Commission européenne. Communication faite lors du Forum: “Le nucléaire, une chance pour l’Europe” qui s’est tenu au Palais du Luxembourg à Paris le 23 janvier 2023 et dont les actes seront publiés dans le prochain numéro de Passages.
Directeur général adjoint à l'Energie, Commission Européenne
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Massimo Garribbahttps://lepontdesidees.fr/author/mgarribaauteur/
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