Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

De la Démocratie

A propos de Cartledge, Paul, Demokratia, une histoire de la démocratie, Passés/composés, 2023.

A n’en pas douter, nous tenons là une véritable somme sur l’histoire, Ô combien paradoxale de la démocratie, régime politique plus que millénaire et qui a connu tant d’adaptations selon les pays qui l’ont adoptée Cette somme volumineuse a été excellemment   traduite de l’anglais, ce qui en facilite la lecture et la compréhension.

Les développements sont menés de main de maître mais sans apporter une conception révolutionnaire de ce que l’on savait déjà ; simplement, c’est plus fourni, plus documenté et plus discuté que précédemment. L’auteur, l’un des meilleurs spécialistes de la question, a dispensé son enseignement à Cambridge, l’un des fleurons, comme chacun sait, des établissements universitaires d’Outre-Manche.

Le terme même de démocratie ne laisse pas d’être ambiguë quand on l’examine sous certains aspects. A le traduire littéralement, il signifie remettre le pouvoir au peuple. Mais comment définir la notion de peuple ? S’agit-il de l’autochtonie ou du plus grand nombre qui, de ce fait, impose sa loi aux autres, notamment aux plus faibles et aux minoritaires. Et puis, nous nous souvenons tous des démocraties dites populaires, termes derrière lesquels se dissimulaient les régimes communistes totalitaires ayant privé des millions d’Européens des libertés les plus fondamentales comme la liberté de penser, de voyager, de vivre conformément à sa propre volonté, à leurs convictions les plus intimes… d’où l’appellation de « régimes populaires ». Et ces mêmes démocraties se réclamaient du peuple. Dans ce sens précis, cela signifie qu’une nomenclature réduite s’empare du pouvoir au nom d’un peuple, de la majorité, qu’elle prétend défendre et représenter. On parle aussi de démocraties libérales ou il libérales et de leur opposé, la démocratie autoritaire. Exemple, la Hongrie actuelle ou même la Pologne, toutes deux membres de l’Union européenne, accusées de ne pas respecter les normes démocratique et l’état de droit, en cours au sein de l’Union. Enfin, on parle aussi de démocraties bourgeoises, auxquelles il est reproché de priver le peuple d’un vrai régime démocratique… Comme on peut le constater, le cheminement de l’idée démocratique n’est pas le parcours d’un cheminement long et tranquille.

Ces derniers développements ne sont que l’écume de cette enquête qui remonte, elle, à l’an 700 avant notre ère, l’époque d’Homère. Les tableaux chronologiques à la fin de ce volume permettent de parcourir en un clin d’œil près d’un millénaire et demi de l’histoire de la Grèce antique, des guerres du Péloponnèse, les affrontements armés entre Athènes et Sparte, la chute de la tyrannie dans des iles grecques, bref tous les détails permettant de voir les méandres suivis par la démocratie athénienne au fil des siècles.  De tous les états, membres de l’ONU, qui prétendent être des régimes démocratiques, les plus nombreux se forgent leur propre idée sur la question. L’auteur prend l’exemple de la Chine qui représente à elle seule une importante part de l’humanité et qui s’intitule elle-même République populaire démocratique de Chine…alors qu’elle menace physiquement la survie de Taïwan. Il est évident qu’un tel régime ne serait pas qualifié de la sorte, à l’aune des démocraties occidentales. On le constate aisément, le concept est difficilement définissable de manière univoque.

Voyons à présent ce que l’on nomme la démocratie directe par opposition à la démocratie parlementaire ou représentative.

En effet, est-ce que le caractère démocratique d’un état se limite aux élections politiques tenues à intervalles réguliers ? Il faut bien plus que cela, par exemple la séparation des pouvoirs, l’indépendance avérée de la justice, la condamnation du recours à la violence, etc… On n’arrivera pas à placer sous un dénominateur commun les différentes conjugaisons de ce terme, en raison justement de sa polysémie.

On peut dire en feuilletant ce volume que toutes les problématiques ont été examinées sans que l’on parvienne à une contextualisation qui soit indiscutable. Certains spécialistes ont volontairement choisi le paradoxe en se demandant, par exemple, au terme de longs développements si la cité athénienne a réellement constitué un modèle de démocratie. Il y eut des passages plus proches de la tyrannie que du libre choix des citoyens dans l’existence politique d’Athènes

Nous parlons là des défis à relever par l’historiographie qui rêve de parvenir à l’objectivité alors qu’elle ne peut écrire qu’une histoire, qu’un passé et non l’histoire et non le passé. Même en pleine possession des sources, il n’existe pas de sources garanties vraies et authentiques à cent pour cent. Même le stagirite Aristote n’échappe pas à cette contrainte alors qu’il est la colonne vertébrale de la pensée occidentale depuis son temps (IVe siècle) jusqu’à nos jours. Écrire l’histoire de la démocratie ou d’Athènes comporte l’insertion d’une certaine vision de cette histoire. Je reprends l’exemple des origines du christianisme selon Ernest Renan qui a reconstitué sa propre vision des choses, en donnant une trop grande importance aux «paroles d’Évangile» qu’il aurait fallu plonger dans le creuset de la critique…   Et cela vaut même pour le fameux écrit d’Aristote, La politique… qui ne résume peut-être pas entièrement refléter les idées politiques du grand philosophe. Et puis, il y a la distance séparant la Grèce archaïque du reste de la Grèce continentale.

 

*Professeur des Universités

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philosophe, exégète et historien français

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