Xe Forum Européen Franco Allemand

Le 9 octobre 2025 à l’Université de Strasbourg
Amphithéatre Beretz, bâtiment Le Patio, 20A Rue René Descartes, Strasbourg
Entrée libre
Jean-Claude Perraudin *
Le tandem franco-allemand : éclaireur ou fardeau pour l’Europe ?
Au début des années 2000, choisir un tel sujet de réflexion pour un Forum tenu entre les murs de Strasbourg, la ville la plus européenne de France, aurait paru déplacé, voire provoquant.
Le consensus qui régnait alors entre les deux nations, qui permettait de régler sans heurts les différents entre partenaires de bonne compagnie, a fait place à de vives tensions sur des dossiers stratégiques dont la liste ne cesse de s’allonger. La première fracture est apparue en 2011, quand la chancelière allemande a décidé unilatéralement de renoncer à l’énergie nucléaire sans même en informer préalablement ses partenaires européens. La suspicion a peu à peu envahi la relation, et la gestion des nombreux différents est devenue plus âpre, sans toutefois remettre en cause la désignation de l’ex-ministre allemande Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne en 2019 puis en 2024, malgré l’agacement de nombreux Etats-membres face au projet « Green Deal » visant à imposer une transition énergétique à marche forcée inspirée du modèle allemand.
Les tensions se sont exacerbées à la fin du gouvernement d’Olaf Scholz, lorsque sont apparus les dossiers de défense européenne et de réarmement, parmi lesquels les très médiatisés choix sur l’avion de combat du futur, du nouveau char de combat ou la stratégie d’utilisation des drones. Sur la taxonomie verte du nucléaire, il aura fallu toute la détermination des dirigeants français et les efforts d’une large coalition de nations pour obtenir enfin des avancées significatives face à l’influence allemande au sein de la Commission européenne et au recours autrichien rejeté le 15 septembre dernier.
Depuis l’installation du gouvernement de Friedrich Merz en mai 2025, les efforts sont partagés pour renouer une relation distendue, avec notamment la tenue à le 29 août à Toulon du symbolique Conseil des ministres franco-allemand, mais tous les acteurs sont conscients que la marche vers une nouvelle confiance sera longue, même si le conflit armé à nos portes nous oblige.
Face à une situation de pénurie d’énergie qu’elle n’a pas anticipée, l’Allemagne souffre, dépendante du gaz russe et d’un Energiewende qui a atteint ses limites et ne peut plus cacher ses faiblesses, mais l’asymétrie économique et industrielle des deux pays persiste.
Pourtant, on pourrait trouver dans ce déséquilibre un moteur de complémentarités, pour peu que la transparence, la confiance et le consensus soient de rigueur.
En effet, si on dépasse les questions d’énergie et de défense, les préoccupations communes aux deux pays sont légion : ciblage des financements, adaptation de la recherche aux besoins légitimes des populations (le modèle des Fraunhofer a montré son efficacité), réduction de la bureaucratie. La souveraineté numérique, l’agriculture, la biodiversité ou l’hydrogène figurent parmi les technologies où les marges de progrès restent énormes. La généralisation de l’électrification, est aussi un chantier plébiscité par les acteurs de l’énergie, moins par les industriels des transports qui redoutent la concurrence chinoise.
Un autre sujet commun pourrait être l’approche de la relation entre décideurs, industriels et citoyens. L’Allemagne en a l’expérience avec le difficile et contesté développement des lignes HT nord/sud.
La notion de « tandem » figurant dans le titre du Forum doit être comprise avec lucidité et prudence. Un tel attelage devrait logiquement être source de progrès, notamment en matière de partage de compétences et de coûts, mais doit être apprécié dans le cadre d’une Europe qui comporte 27 Etats-membres.
Les inconvénients d’un partenariat bilatéral sont bien connus : nous ne citerons que l’allongement des délais de réalisation, grevés par les négociations visant à préserver ou à faire prévaloir les intérêts nationaux. Mais un autre obstacle s’y ajoute désormais : l’instabilité politique. Les récents verdicts des urnes en Allemagne et l’incertitude des prochains scrutins en France montrent des tendances qui ne peuvent être ignorées. L’instabilité politique est le pire ennemi des alliances pour les projets à long terme. Des exemples de gâchis technologique et financier existent, comme la centrale nucléaire de Zwentendorf en Autriche, arrêtée en 1978 alors qu’elle était presque terminée.
Nonobstant ces aléas, la France et l’Allemagne sont et seront appelés à collaborer pour esquisser des perspectives d’avenir à l’Europe.
Comment s’engager et investir dans un projet sans la certitude qu’un changement politique ne viendra pas l’annuler en cours de réalisation ?
Quelques pistes méritent d’être évoquées.
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Se doter d’une capacité de production forte et diversifiée. Une industrie qui peut répondre aux besoins de ses citoyens tout en offrant à ses partenaires étrangers une production de qualité reste la meilleure garantie face aux aléas de la géopolitique. L’Allemagne, qui l’a compris depuis des décennies, tire aujourd’hui les bénéfices de son Mittelstand, même si le succès n’est pas toujours au rendez-vous. La filière des panneaux photovoltaïques en a fait l’expérience, incapable de lutter contre l’offensive chinoise.
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Pour les projets de grande ampleur, obtenir une garantie de l’Union européenne qui, en retour, devrait veiller au respect des engagements des acteurs.
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Au plan national, inscrire des besoins fondamentaux dans la Constitution, notamment dans le domaine de l’énergie, limitant les risques de retour en arrière d’un gouvernement qui n’adhérerait pas à un projet déjà engagé.
La question posée au Forum appelle une réponse plus complexe que les simples mots « éclaireur », « fardeau » ou « autant des deux ». Un retour à l’idyllique situation passée parait irréaliste, tant les besoins et les attentes de citoyens et la situation internationale ont évolué. Un axe entre les deux pays reste toutefois possible et souhaitable, dans un équilibre respectant les atouts de chacun d’eux, mais il ne saurait vivre sans l’apport des autres nations européennes, en premier lieu nos voisins directs et partenaires de première heure que sont l’Italie, l’Espagne et la Belgique, une puissance nucléaire comme la Grande Bretagne et tous ceux qui contribuent à la stabilité et à la prospérité de l’Union. La crise en matière de mix énergétique a montré l’intérêt de tels rapprochements face au jusqu’auboutisme idéologique.
En conclusion, aucune alliance, quelle qu’elle soit, ne peut être garantie dans le contexte géopolitique mouvant d’aujourd’hui. La réponse la plus évidente aux aléas est une industrie forte. La réindustrialisation française ne pourra se faire sans un effort national ambitieux et bien ciblé. La faiblesse de plusieurs pans de son industrie est une occasion d’anticiper, d’innover et de s’ouvrir à de nouvelles technologies. Encore faut-il trouver les finances, les partenaires et la volonté.
* Docteur en physique des plasmas
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Ancien adjoint à la Direction des Relations Internationales, CEA
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Jean-Claude Perraudinhttps://lepontdesidees.fr/author/jcperraudin/
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