«On me disait : ne fais pas ton Pascal Praud !» : la colère d’un présentateur de LCP face à l’arrêt de son émission de débats

Paul Sugy
Article publié dans le Figaro le 02.10.2025
Après sept ans, l’émission de débats «Ces idées qui gouvernent le monde» s’arrête sur La Chaîne Parlementaire. Emile Malet – Le Pont des idées
Après sept saisons, l’émission «Ces idées qui gouvernent le monde» d’Émile Malet sur LCP s’arrête brutalement, et avec elle sa liberté et son impertinence. Simple évolution naturelle des programmes, ou volonté d’écarter une émission jugée trop clivante ?
C’est au tour d’une autre chaîne publique de se voir reprocher une décision jugée attentatoire au pluralisme des idées représentées à l’antenne. La chaîne parlementaire – Assemblée nationale (LCP), chaîne financée par le budget du Parlement et qui se partage l’antenne avec sa cousine Public Sénat, a décidé de déprogrammer l’émission de débats politiques qu’animait depuis sept ans Émile Malet, «Ces idées qui gouvernent le monde». L’intellectuel et journaliste, connu pour son franc-parler et son souci de débattre sans tabou de sujets polémiques, mobilise ses réseaux contre la chaîne (à qui il demande, par voie d’avocat, d’importants dommages et intérêts). Ses soutiens dénoncent une volonté de sacrifier la liberté éditoriale longtemps laissée à l’animateur, au profit d’un ton davantage «politiquement correct».
LCP annonçait en effet ce lundi les nouveautés de sa grille de rentrée, avec l’arrivée d’un nouveau magazine culturel, baptisé «Le Banquet» – en référence, au choix, à Platon ou Astérix. Le retour d’une émission culturelle en lieu et place d’une émission de débats signe ainsi une volonté de rompre, de l’aveu même de la directrice de la communication de la chaîne, Bénédicte Gosset, avec «les sujets trop clivants». Celle-ci précise au Figaro l’esprit de cette évolution éditoriale : «On est dans une situation politique qui se polarise, on le voit d’ailleurs à l’Assemblée nationale. Les clivages sont de plus en plus violents, et nous pensons que certaines thématiques exigent plus de nuances». Émile Malet, lui, dit n’avoir appris l’arrêt de son émission qu’en juin, par des propos rapportés indirectement par un technicien deux mois après un comité d’entreprise auquel il n’était du reste pas convié. «On m’a coupé le sifflet sans me prévenir», dénonce-t-il.
Le propre de «Ces idées qui gouvernent le monde» était d’aborder sans fard les sujets qui divisent l’opinion en faisant dialoguer des «esprits éclectiques» sans s’encombrer «d’ornières idéologiques», à en croire la notice de présentation du programme, entièrement conçu, piloté et présenté par Émile Malet depuis l’origine. «J’estime que sur une chaîne publique, on doit pouvoir être libre de dire ce que l’on veut !» exprime avec vigueur celui-ci auprès du Figaro, ajoutant : «Je n’ai jamais caché mes idées, elles sont toutes dans mes livres. Elles ont pu en déranger certains, mais je n’ai jamais invité que des personnes que j’estimais utiles au débat.»
«Il faut forcément sucrer un ou deux programmes»
Fils d’un rabbin marocain installé en France et auteur de plusieurs essais, dont un récent dénonçant «la haine des Juifs» (paru en 2025 chez Campagne Première), Émile Malet incarnait à l’antenne une ligne laïque et républicaine, assumant son inquiétude face à l’immigration incontrôlée ou la prégnance de l’islamisme politique, et rétive aux pulsions totalitaires des nouveaux mouvements progressistes. La «désoccidentalisation» du monde, l’estompement des racines chrétiennes de l’Europe, la déconstruction des repères anthropologiques ou encore les revers de la diplomatie française en Afrique figuraient parmi les préoccupations de l’animateur et de ses invités.
Lancée avec le concours de Bertrand Delais, l’ancien président de LCP, l’émission consacrait une complicité entre les deux hommes qui se retrouvaient également autour d’un club de réflexion, «Le Pont des idées». «Je voulais faire monter en gamme la chaîne et j’avais recruté Émile Malet pour lui redonner une identité», se souvient Bertrand Delais. «Je ne partageais pas toujours l’avis d’Émile sur les dérives identitaires contemporaines. Mais je voulais avoir à l’antenne des personnes qui pensaient différemment».
Mais l’arrivée à la tête de LCP d’Emmanuel Kessler, qui avait auparavant présidé l’autre chaîne parlementaire Public Sénat, a rebattu les cartes. «Si vous voulez marquer de votre empreinte un mandat à la tête d’une chaîne, il faut forcément sucrer un ou deux programmes», reconnaît d’ailleurs son prédécesseur Bertrand Delais. «Une chaîne de télévision, ça vit, ça se renouvelle, ça se modernise en permanence… Nous voulions faire place à des innovations», explique Emmanuel Kessler au Figaro, en rappelant que l’émission d’Émile Malet bénéficiait déjà d’une rare ancienneté sur la grille.
Place donc aux nouveautés. Mais pourquoi décider de l’arrêt de «Ces idées qui gouvernent le monde», alors même que Bénédicte Gosset reconnaît que celle-ci faisait de «bonnes audiences» ? Plus que cela : en replay sur YouTube, l’émission cumule même des millions de vues, loin devant la plupart des autres programmes de LCP, portée par le succès de plusieurs numéros consacrés notamment aux relations entre la France et l’Afrique ou la France et l’Algérie, et qui ont parfois attiré jusqu’à 2 millions de spectateurs pour un visionnage en différé.
Certains de nos interlocuteurs pointent également l’âge avancé de l’ex-présentateur, mais l’argument là encore résiste mal à l’examen : à 78 ans, Gérard Holtz qui signe son retour à l’antenne pour prendre avec Anna Cabana les rênes du magazine culturel en remplacement de l’émission d’Émile Malet, est plus âgé encore que ce dernier.
D’autres mettent en cause une divergence de style entre Emmanuel Kessler et Émile Malet. «Emmanuel a des idées parfois proches de celles d’Émile, mais justement, il considère que les idées doivent rester son domaine : c’est lui-même un intellectuel, auteur d’un livre sur Bergson», croit savoir un proche des deux hommes : «il n’y avait pas de place pour eux deux». Émile Malet, quant à lui, jure que son éviction de l’antenne avait été annoncée par Emmanuel Kessler à un petit cercle d’intimes dès son arrivée à la tête de LCP. Un fin connaisseur des coulisses de l’antenne commente : «Kessler n’aime pas les conflits, ça lui fait peur. Il voudrait plaire à tout le monde et s’inquiète dès que des polémiques éclatent. Il préfère se protéger et protéger la chaîne. Et Émile, qui est tout feu, tout flamme, exposait trop la chaîne.»
«Je n’avais pas à avoir d’idées personnelles»
Emmanuel Kessler se défend néanmoins de tout renoncement éditorial, et réaffirme solennellement les trois maîtres-mots de la ligne de LCP : «Indépendance, pluralisme, impartialité». Il ajoute au demeurant avoir rencontré Émile Malet dès le mois de mars, pour lui signifier son souhait de «ne pas reconduire l’émission sous sa forme actuelle» : «Je lui ai dit que je voulais quelque chose de différent, pour développer les formats digitaux sur la chaîne : un podcast, avec un mode de production plus léger».
Émile Malet assure de son côté qu’au cours de cet échange, ni l’arrêt de l’émission ni son remplacement par un podcast n’auraient été évoqués. Surtout, il dénonce des incursions éditoriales de plus en plus fréquentes, directement de la part d’Emmanuel Kessler, ou de ses subordonnés. «J’ai été harcelé par la chaîne, des techniciens qui ne sont pas censés avoir leur mot à dire sur le contenu de l’émission repassaient sur mes conducteurs pour me changer mes titres, on me disait “ne fais pas ton Pascal Praud”, il y avait un climat de défiance !». En cause, le fait qu’il exprime à l’antenne ses propres idées, au lieu de se contenter de distribuer la parole aux invités : «On m’a fait des remarques sur mes supposées prises de position concernant le nucléaire, le wokisme, les soins palliatifs et la fin de vie, le conflit israélo-palestinien, la psychanalyse… sous prétexte que ’je n’avais pas à avoir d’idées personnelles’». Après l’enregistrement d’une émission jugée trop défavorable à la loi sur le suicide assisté, la chaîne avait ainsi exigé qu’une seconde émission soit enregistrée pour aller au contraire dans le sens des promoteurs du texte.
Dans un courrier envoyé ce mercredi aux centaines d’invités reçus dans son émission, Émile Malet s’emporte : «notre pays a besoin, en ces temps d’instabilité politique et de malaise socio-culturel, de mise en perspective éditoriale ouverte sur le monde». Persistant donc dans sa conviction que les idées qui «gouvernent le monde» sont aussi, bien souvent, des idées qui dérangent.
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