Le Pont

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Avec la dissolution de l’Assemblée Nationale, Emmanuel Macron a dissous le macronisme

  • Du point de vue institutionnel, quel regard portez-vous sur la décision prise par Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée Nationale après la sévère défaite de son camp aux élections européennes ?

Il s’agit de l’expression la plus brutale de l’exercice solitaire du pouvoir tel que le pratique Emmanuel Macron, en faisant prévaloir sur les autres institutions une forme d’hyper présidentialisme sans véritable précédent depuis les débuts de la Ve République.

En témoignent les conditions dans lesquelles la décision a été prise, dans la précipitation et sans respecter réellement les consultations prescrites par l’article 12 de la Constitution, puisque le Président du Sénat, la Présidente de l’Assemblée Nationale et le Premier ministre ont été purement et simplement placés devant le fait accompli, comme d’ailleurs l’ont fait savoir Yaël Braun-Pivet et Gabriel Attal.

En témoigne aussi et surtout la raison invoquée pour motiver sa décision, à savoir la nécessité d’une « clarification » de la situation politique, à la suite du désastre électoral survenu le soir du 9 juin. Cet argument n’a en réalité aucun sens, puisque la dissolution risque au contraire de déboucher sur une confusion bien pire, au cas où aucun parti ou aucune coalition de partis n’obtiendrait la majorité absolue des sièges à l’Assemblée. A moins qu’Emmanuel Macron ne souhaite secrètement la victoire du Rassemblement National et une cohabitation, ce qui serait un autre scénario possible, mais non moins problématique.

Bref, cette sixième dissolution de la Ve République aura été la pire des solutions, prise au pire moment. Une décision injustifiée sur le plan institutionnel et injustifiable sur le plan politique, qui pourrait avoir de lourdes conséquences dans tous les domaines, notamment en ce qui concerne la situation économique et sociale de la France.

  • Précisément, quelles solutions s’offrent au Président de la République si au soir du 7 juillet, aucun des trois blocs parlementaires ne dispose d’une majorité absolue ?

La Constitution de 1958 a été précisément élaborée en réaction aux errements de la IVe République pendant laquelle les majorités parlementaires étaient pratiquement introuvables et où la notion de majorité absolue était même totalement inimaginable ! Les mécanismes de ce que l’on appelle le « parlementarisme rationalisé » ont donc été mis en place pour qu’un gouvernement puisse agir sans disposer d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale.

Ces mécanismes sont nombreux, tant en ce qui concerne la nomination du Premier ministre et la formation du Gouvernement, qui n’est pas obligé d’obtenir un vote de confiance de l’Assemblée pour entrer en fonction, qu’en ce qui concerne le vote des lois, à commencer par les lois de finances, facilité par l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 ou d’autres dispositions qu’il serait trop long de détailler mais qui ont prouvé leur efficacité tout au long de la Ve République.

D’ailleurs, la pratique institutionnelle suivie depuis 1958 prouve qu’un Gouvernement peut gouverner sans majorité absolue : cela a été déjà le cas de 1988 à 1993 et depuis 2022. Notre Constitution a été, en quelque sorte, confectionnée « sur mesure » pour gérer ce type de situation et ce ne sont pas les solutions qui manqueront au Chef de l’Etat pour y faire face. 

La seule condition, néanmoins, est que le Gouvernement ne soit pas confronté à une majorité parlementaire systématiquement hostile, ce qui pourrait provoquer un blocage institutionnel insurmontable et une véritable crise de régime. Emmanuel Macron pourrait alors être contraint, tels Mac Mahon ou Millerand par le passé, de démissionner.

  • Au cas où ce blocage institutionnel se produirait, une deuxième dissolution serait-elle envisageable ? Et est-ce cela qui pourrait pousser à la démission d’Emmanuel Macron ?

L’article 12 de la Constitution est formel : il est impossible de procéder à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit les élections législatives provoquées par une dissolution. C’est en quelque sorte un « fusil à un coup », et même en cas de changement de Président de la République pendant ce délai d’un an.

Mais effectivement cette impossibilité pour Emmanuel Macron d’utiliser cette arme pour dénouer une grave crise politique ou sociale, ou même une double crise politique et sociale qui pourrait se produire de façon simultanée compte tenu des fractures qui affectent aujourd’hui la société française, serait susceptible de provoquer un blocage qu’il lui serait impossible de  surmonter, l’empêchant d’assumer ses pouvoirs constitutionnels, à moins de mettre en application l’article 16 de la Constitution l’autorisant à s’emparer des pleins pouvoirs… Ce que personne, du moins je l’espère, n’ose imaginer.

  • Pensez-vous qu’à moyen terme la France renouera avec une grille politique classique autour de la gauche et de la droite ? Ou la politique vous parait-elle durablement archipellisée à l’instar de la société française ?

Il est très difficile de répondre à cette question mais ce que l’on peut constater, en tout cas, c’est qu’Emmanuel Macron aura réussi l’exploit de remplacer la bipolarisation entre une droite et une gauche de gouvernement, qui a dominé le système politique de la Ve république pendant près de 60 ans, par une bipolarisation entre une extrême gauche et une extrême droite qui risque de mettre nos institutions à rude épreuve. Il devra en assumer l’entière responsabilité tant sur le plan éthique qu’historique.

Les français auront en tout cas désavoué irrémédiablement le « en même temps » qui n’aura été finalement qu’une forme de schizophrénie politique et institutionnelle. En réaction, Emmanuel Macron n’aura pas seulement dissous l’Assemblée, il aura également, selon toute probabilité, dissous le Macronisme.

  • On invoque la personnalité de l’actuel Président comme cause majeure de son impopularité et de son discrédit politique. Etes-vous d’accord avec cette appréciation ?

Il est certain que la personnalité même du Président, au-delà de son comportement politique, n’est pas absente dans le sentiment de rejet dont il est l’objet de la part d’une très large proportion de nos concitoyens. J’en veux pour preuve, pour revenir à un point de vue qui m’intéresse plus particulièrement en tant que constitutionnaliste, que pour la première fois depuis les débuts de la Ve République, tous les candidats qui se présentent aux législatives au nom de la majorité présidentielle omettent soigneusement toute référence à celui qui prétend pourtant en être le chef : aucune photo d’Emmanuel Macron sur leurs affiches ou professions de foi, et même aucune mention de son nom ! Tous préfèrent se placer sous la bannière de Gabriel Attal, qui lui-même prend ses distances par rapport au Président, ce qui en dit long sur la rupture désormais consommée entre Emmanuel macron et ses propres troupes.

  • Sur un éventuel référendum concernant l’immigration, pensez-vous qu’il serait possible d’enjamber l’obstacle du Conseil Constitutionnel ?

Votre question pourrait en effet être envisagée en cas d’accession au pouvoir du Rassemblement National, car je ne pense pas que telle serait l’intention du Nouveau Front Populaire.

Mais je tiens à rappeler que dans ce cas seul le Président de la République pourrait le déclencher, car c’est à lui qu’appartient la décision d’organiser, ou non, un référendum. En effet, c’est le Gouvernement (ou conjointement les deux Assemblées parlementaires) qui proposent, mais c’est le Président qui dispose. Ce qui serait donc, déjà, un premier obstacle. 

L’article 11 de la Constitution précise qu’il est possible de soumettre au référendum tout projet de loi portant – entre autres – sur « des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Il est donc selon moi parfaitement possible de soumettre au référendum un projet de loi concernant l’immigration, mais à la condition que le texte porte sur ce qui concerne directement, voire indirectement, la politique sociale afférente à celle-ci. Ce qui évidemment réduit le champ des questions qu’il serait possible de poser au peuple français et en limite la portée.

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Professeur de droit public à l’IPAG de l’Université Panthéon Assas

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