Le Pont

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La ré-élection d’Emmanuel Macron vue d’Algérie

1.-Nos deux pays doivent avoir une vision commune de leur devenir, et ce afin de contribuer ensemble à la stabilité régionale, conditionnée par un véritable co-développement. S’il ne s’agit nullement d’occulter la mémoire, indispensable pour consolider des relations durables entre l’Algérie et la France, il s’agit bien, en ce monde impitoyable où toute nation qui n’avance pas recule, de préparer l’avenir, ensemble et dans le respect mutuel. Pour ma part, au cours de différentes rencontres avec d’importantes personnalités politiques et économiques, j’ai souligné que l’Algérie entend ne pas être considérée comme un simple marché. Et c’est dans ce cadre que doit se déployer un co-partenariat entre l’Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination. C’est dans le contexte de la quatrième révolution économique mondiale que doit être appréhendée une approche réaliste du co-partenariat entre l’Algérie et la France. Au niveau mondial, nous assistons à l’évolution d’une vision purement matérielle, caractérisée par des organisations hiérarchiques rigides, à un nouveau mode d’accumulation fondé sur la maîtrise des connaissances, des nouvelles technologiques et des organisations souples en réseaux comme une toile d’araignée à travers le monde, avec des chaînes mondiales segmentées de production où l’investissement, en avantages comparatifs, se réalise au sein de sous-segments de ces chaînes.

2.- Comme le note justement Jean-Louis Guigou, président de l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen, à Paris), il faut aider à comprendre que, dans l’intérêt tant des Français que des Algériens – et plus globalement des Maghrébins et des Européens ainsi que de toutes les populations sud-méditerranéennes -, les frontières du marché commun de demain, les frontières de Schengen de demain, les frontières de la protection sociale de demain, les frontières des exigences environnementales de demain… doivent être au sud du Maroc, au sud de la Tunisie et de l’Algérie, et à l’est du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie, passant par une paix durable au Moyen-Orient, les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique. Plus précisément, l’Algérie et la France présentent l’une et l’autre des atouts et des potentialités pour la promotion d’activités diverses et cette expérience peut être un exemple de ce partenariat global qui deviendrait l’axe privilégié du rééquilibrage du sud de l’Europe, par l’amplification et le resserrement des liens et des échanges sous différentes formes.

3.-Les échanges entre l’Algérie et la France bien qu’en baisse peuvent être intensifiés dans tous les domaines : agriculture, industrie, services, tourisme et éducation, sans oublier la coopération dans le domaine militaire, où l’Algérie peut être un acteur actif, comme le montrent les efforts de l’ANP et des différentes forces de sécurité en vue de la stabilisation de la région. Par ailleurs, n’oublions pas le nombre de résidents d’origine algérienne en France, qui dépasseraient les 4 millions, dont 2 millions de binationaux. Quel que soit son nombre exact, la diaspora représente un élément essentiel du rapprochement entre l’Algérie et la France, car elle recèle d’importantes potentialités intellectuelles, économiques et financières. La promotion des relations entre l’Algérie et sa communauté émigrée doit mobiliser à divers stades d’intervention l’initiative de l’ensemble des parties concernées, à savoir le gouvernement, les missions diplomatiques, les universités, les entrepreneurs et la société civile. En ce moment de tensions géostratégiques avec le conflit en Ukraine qui entrainera une nouvelle reconfiguration mondiale, des tensions au niveau de la région méditerranéenne et africaine, avec notamment le terrorisme, le rapprochement entre de nos deux pays est nécessaire pour une intensification de la coopération entre la France et l’Algérie via l’Europe, à la mesure du poids de l’histoire qui nous lie. Mais les étrangers ne feront pas les réformes à notre place : l’Algérie sera ce que les Algériennes et les Algériens voudront qu’elle soit, en supposant que les réformes structurelles indispensables se fassent, si elle veut éviter sa marginalisation, personne pouvant faire les réformes à notre place.

4.-L’Algérie peut donc surmonter les difficultés actuelles et être un acteur actif au sein de la région méditerranéenne et africaine. Il faut éviter toute sinistrose dans la vision de l’Algérie, car la situation est différente de celle de 1986 : outre une jeunesse dynamique, la dette extérieure, inférieure à 4 milliards de dollars, et des réserves de change de 44 milliards de dollars au 31/12/2021 offrent un répit.. Pourtant, la réussite du partenariat industriel, national et international, n’est pas réalisable sans une gouvernance centrale et locale rénovée, une vision cohérente se fondant sur des réformes structurelles tant politiques, sociales, économiques – dont le marché financier, le foncier, le marché du travail et surtout la réforme du système socio-éducatif, pilier de tout processus de développement, étant à l’aube de la quatrième révolution technologique. Les tactiques doivent s’insérer au sein de l’objectif stratégique de maximiser le bien-être social de tous les Algériens. Face aux nombreux nouveaux défis qui attendent notre pays afin de le hisser au rang de pays émergents, à moyen et long terme, l’Algérie acteur reconnu par la communauté internationale comme facteur de stabilité de la région, se doit d’engager des réformes structurelles supposant un large front social interne de mobilisation, tolérant les différentes sensibilités. Pour cela, la domination de la démarche bureaucratique devra faire place à la démarche opérationnelle économique, qui aura des impacts positifs à terme.

 En résumé, avec l’élection d’Emmanuel Macron, espérons que ce quinquennat permette le renforcement de la coopération entre les deux pays. L’intensification de la coopération ne sera possible, tout en n’oubliant pas le devoir de mémoire, que si l’Algérie et la France ont une approche réaliste du co-partenariat, un partenariat gagnant-gagnant loin du mercantilisme et de l’esprit de domination, et une vision commune de leur devenir. L’Algérie et la France sont des acteurs incontournables pour la stabilité de la région, et toute déstabilisation de l’Algérie aurait des répercussions géostratégiques négatives sur l’ensemble de la région méditerranéenne et africaine. Les tensions actuelles entre l’Algérie et la France peuvent être surmontées. Il s’agit d’entreprendre ensemble dans le cadre du respect mutuel. C’est dans ce cadre que doit rentrer un partenariat gagnant-gagnant entre l’Algérie et la France, loin de tout préjugé et esprit de domination.

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Professeur des universités, expert international

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