Le Renouveau du Nucléaire en Europe
Yves Desbazeille
Directeur général de NuclearEurope
Grâce au travail de nucleareurope et de ses membres, nous avons obtenu plusieurs résultats positifs pour le nucléaire au cours des dernières années. L’année 2023, en particulier, a été très importante pour le nucléaire avec la création d’une Alliance nucléaire des États membres dirigée par l’ancienne ministre française de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. En plus de faire tout son possible pour garantir une approche technologiquement neutre des dossiers politiques pertinents négociés au niveau de l’UE, l’Alliance a également fixé l’objectif ambitieux de disposer d’une capacité nucléaire installée de 150 GW dans l’UE d’ici à 2050.
#150GWnuclear2050
Il ne sera pas facile d’atteindre cet objectif, car même si nous pouvons prolonger la majeure partie de notre parc existant, cela ne fournira que 35 GW. Il nous reste donc un peu plus de 25 ans pour construire 115 GW de nouvelles capacités.
Pourquoi 150 GW de capacité nucléaire ? Tout d’abord, parce que l’un des meilleurs moyens de décarboniser l’économie européenne est d’électrifier le plus possible son système énergétique (et bien sûr, cette électricité devra être à faible teneur en carbone). À cet égard, nous pensons que 25 % de cette électricité devra provenir du nucléaire.
En même temps, nous devons être réalistes : tous les secteurs ne peuvent pas être électrifiés à 100 %, comme les industries à forte consommation d’énergie. Par conséquent, la chaleur à faible teneur en carbone et l’hydrogène devront jouer un rôle important pour ces secteurs en particulier et, là encore, le nucléaire est nécessaire pour assurer un approvisionnement constant de ces sources d’énergie.
Enfin, parce que nous devons avoir une vue d’ensemble : L’Europe est en pleine crise énergétique. Et l’un des meilleurs moyens d’éviter qu’une telle crise ne se répète à l’avenir est de s’assurer que nous disposons d’un système énergétique robuste qui réduit au minimum la dépendance à l’égard des pays tiers. Ce que l’Europe doit faire, c’est renforcer sa souveraineté énergétique et soutenir TOUTES les sources d’énergie à faible teneur en carbone – électricité, hydrogène, chaleur, etc. Pour nous, cela signifie clairement le nucléaire et les énergies renouvelables.
Examinons de plus près à quoi ressemblent les 150 GW de capacité nucléaire installée :
– environ 1/4 devraient provenir de l’exploitation à long terme du parc nucléaire existants
– environ 1/3 devraient provenir de petits réacteurs modulaires (SMR)
– entre 5 et 10% de réacteurs modulaires avancés.
– le reste sera couvert par de nouveaux grands réacteurs.
La réalisation de cet objectif ambitieux nécessitera des efforts considérables de la part de toutes les parties : industrie, décideurs politiques, institutions financières, etc.
Si l’on considère l’industrie, il est clair que nous devons être à la hauteur. L’augmentation de la capacité nucléaire va nécessiter un investissement massif dans la main-d’œuvre, tout au long de la chaîne de valeur. La première chose à faire est de nous rendre plus attractifs aux yeux des jeunes, afin de les encourager à envisager un avenir dans le secteur nucléaire. Mais nous devons aussi identifier clairement les compétences dont nous avons besoin pour nous assurer que nous mettons en place les bons programmes d’éducation et de formation.
La chaîne d’approvisionnement est également essentielle. En construisant une chaîne d’approvisionnement européenne – et en démontrant qu’il existe un marché pour les composants et les services qu’elle fournit en Europe – nous pouvons nous assurer que nous avons accès à ce dont nous avons besoin, ce qui pourrait réduire les retards des projets.
Nous devons également nous rendre plus attractifs pour les organismes de financement. L’argent existe, mais nous devons prouver que le nucléaire est un investissement rentable.
Sur le plan politique, il est essentiel que la législation soit clairement alignée sur les objectifs énergétiques de l’Europe en termes de décarbonation, d’accessibilité financière et de sécurité d’approvisionnement. Cela signifie que les politiques doivent respecter le principe de neutralité technologique et donc inclure le nucléaire au même titre que les énergies renouvelables. Les dossiers importants à cet égard comprennent toutes les politiques relatives à l’hydrogène, la loi “Net Zero Industry Act” et les différents mécanismes de financement de l’UE.
Soyons clairs : l’UE doit jouer son rôle. Tout d’abord, en s’en tenant aux principes fondamentaux du traité Euratom, ce qui implique d’adopter une approche pragmatique en matière de nucléaire. Ensuite, en veillant à respecter le principe de neutralité technologique. Enfin, en fondant les décisions politiques sur la science et en reconnaissant ainsi que, tout au long de son cycle de vie, le nucléaire est une technologie durable.
Des opinions qui évoluent
La fixation de cet objectif témoigne de l’engagement renouvelé d’une majorité d’États membres en faveur du nucléaire, compte tenu de son rôle dans la souveraineté énergétique, la sécurité d’approvisionnement et la réalisation des objectifs de l’UE en matière de décarbonisation.
En effet, beaucoup de choses ont changé pour le nucléaire au cours des dernières années, avec un changement positif de l’opinion publique – et même politique – en faveur du nucléaire. Un nombre croissant de parties prenantes basées à Bruxelles sont devenues plus ouvertes au nucléaire, ce qui se reflète dans les résultats positifs de plusieurs dossiers politiques clés.
Parler d’une seule voix
Cette évolution ouvre de nombreuses nouvelles portes à notre industrie et nous devons nous y préparer. Les réalisations de ces dernières années sont principalement dues à la solide relation de travail entre nucleareurope et ses membres. Nous avons démontré ce que nous pouvons accomplir en travaillant ensemble et en agissant d’une seule voix au niveau de l’UE.
Cette année, il y aura beaucoup de changements à Bruxelles. Tout d’abord, les élections du Parlement européen auront lieu en juin. Comme nous l’avons vu l’année dernière lors du vote sur le rapport d’initiative du Parlement européen sur les SMR, une majorité de députés européens actuels est favorable au nucléaire. Nous nous préparons également à accueillir les députés européens nouvellement élus lorsqu’ils commenceront leur mandat à Bruxelles.
Dans la foulée, à l’automne, les États membres présenteront leurs commissaires. Nous espérons que ces commissaires prendront en compte le regain d’intérêt pour le nucléaire ou, à tout le moins, qu’ils veilleront à se concentrer sur une politique neutre sur le plan technologique et orientée vers des objectifs tels que
– Réduire les émissions de CO2
– Garantir la sécurité de l’approvisionnement en énergie
– Soutenir la compétitivité de l’industrie européenne.
Comme je l’ai déjà mentionné, bon nombre de nos succès découlent de notre collaboration en tant qu’industrie sous l’égide de nucleareurope. Et ces victoires apportent des avantages évidents à l’ensemble de notre secteur. Prenons par exemple la taxonomie : si le nucléaire avait été exclu, cela aurait pu avoir un impact significatif sur notre accès au financement privé, qui est essentiel pour beaucoup de nos entreprises. Nous savons que ce dossier n’est pas parfait, notamment du fait que le nucléaire n’y est considéré que comme une énergie « de transition », mais au moins nous y figurons et nous pouvons maintenant travailler à l’amélioration des critères que nous devons respecter.
Directeur général de Nucleareurope
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