Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Les territoires, creuset des politiques pour la transition écologique de l’industrie 

La hausse des prix de l’énergie fait peser des risques sur l’ensemble de l’économie et particulièrement sur l’industrie dont les coûts de production explosent. La baisse des cours de l’électricité enregistrée en janvier n’efface pas, loin s’en faut, la hausse de la facture énergétique des entreprises industrielles de 46% en 2021 et de 15% en 2022, alors même que leur consommation diminuait. L’accroissement des coûts de production dégrade la compétitivité internationale des entreprises françaises et explique en partie la hausse des défaillances d’entreprises. Cette nouvelle manifestation d’une crise industrielle commencée voici une trentaine d’années appelle une réaction immédiate, de grande ampleur et coordonnée de la puissance publique ; à défaut, le pays pourrait rapidement se trouver dans une situation de trappe à industrie qui rendrait toute politique publique inopérante. L’enjeu est donc de taille et ne peut être traité à l’aides des recettes habituelles qui consistent à réduire les coûts de production grâce à des mesures de réductions fiscales et sociales accordées tous azimuts, sans objectif particulier apparemment autre que celui de répondre aux attentes en la matière exprimées par les entreprises.  Une voie novatrice tant sur le plan industriel que politique consisterait à regrouper les défis, à la manière du MITI (Ministry of International Trade and Industry) japonais créé en 1949 qui a instauré une véritable discipline industrielle en fixant des règles de bonne conduite pour les entreprises, coordonné leurs efforts et, ainsi, accompagné le miracle japonais. La principale différence, d’importance, consisterait dans l’ajout d’éléments écologiques et environnementaux pour placer ces dimensions au cœur des politiques de transformation de l’économie.

Cette innovation radicale sur le plan politique et institutionnel est urgente et impérative. La situation de l’industrie est alarmante et se lit de part et d’autre du Rhin dans les chiffres de la consommation électrique et de la démographie du secteur. Moins 10% de consommation dans les entreprises industrielles en France, fermeture d’une aciérie à Hambourg, faillites dans l’automobile et, partout, les tentations à la délocalisation attestent des difficultés des entreprises. Les plans nationaux consistant principalement en des boucliers tarifaires et les solutions individuelles reposant sur la baisse de l’éclairage et du chauffage pour passer le gros de la crise, ne sont pas à la hauteur des enjeux. Le renouveau industriel en France et en Europe ne pourra exclusivement reposer sur des stratégies d’entreprises, l’engagement individuel ou des projets conçus à l’échelle des grands groupes. Pour qu’une reconstruction s’opère, la définition d’un cadre et d’un cap national est nécessaire à la combinaison d’un effet d’annonce permettant aux acteurs industriels de déterminer la direction dans laquelle ils doivent évoluer et de dispositifs de soutien conditionnalisés par la réalisation d’investissements ou la mise en œuvre de changements pour renforcer les effets précédents. Rien de tel n’est actuellement en place ou en préparation. Les services de l’Etat en charge de l’élaboration d’une stratégie industrielle restent mobilisés sur le rattrapage économique à accomplir suite à la pandémie de Covid-19 et la recherche de solutions d’urgence pour contrer les effets de ruptures d’approvisionnement et de hausse du coût de l’énergie. Le plan France relance, devenu France 2030 et l’annonce d’une loi sur l’industrie verte pour le printemps reprennent des recettes anciennes (la production d’hydrogène, l’électrolyse, les batteries électriques, le nucléaire) qui, en soi, ne sont ni porteuses d’un changement radical de modèle industriel seul à même de sauver le secteur, ni à même de répondre à l’impératif de souveraineté ou d’indépendance.

La question est désormais de savoir quand et par quel canal ces innovations politiques et stratégiques pourront advenir ?

Le reformatage de la politique industrielle passe par une articulation entre quelques domaines d’activité stratégiques particulièrement prioritaires pour la compétitivité, l’emploi et la position économique de la France d’une part et les choix de localisation et d’organisation de ces activités en tenant compte des logiques de spécialisation et de complémentarité des territoires d’autre part. La principale raison de ce ciblage, à la fois sectoriel et géographique, tient à la nature multi-niveau de la crise qui exige un traitement en parallèle de différents domaines (environnement, industrie, énergie) dont la prise en charge ne peut être que locale en raison de l’hétérogénéité des territoires. Par construction même, les politiques top-down sont peu compatibles avec cette diversité. Les questions économiques, sociales et institutionnelles doivent être abordées par des politiques industrielles intégrées basées sur les lieux et positionnées à l’intersection entre l’évolution technologique, les nouveaux modes de gouvernance, les nouvelles combinaisons de biens publics spécifiques, les compositions appropriées d’acteurs clés hétérogènes et les processus interterritoriaux et multi-niveaux de développement et de gouvernance.

Les quatre piliers clefs de ces politiques sont i) la transversalité de l’action publique pour traiter dans un même ensemble industrie, énergie et environnement, ii) l’ancrage au territoire car la dépendance au sentier reste un élément déterminant de la performance des territoires, iii) l’activation des relations entre acteurs (public-privé, public-public et prive-privé) pour capitaliser sur les synergies et iv) les interrelations territoriales pour renforcer le « made in France » et l’ancrage territorial des entreprises.

Dans ce schéma, les collectivités locales ont un rôle clef à jouer. Il reste à trouver les moyens de leur permettre d’exercer les compétences dont elles sont dotées en matière de soutien à l’économie. L’enjeu est de taille. Il ne s’agit rien de moins que de réaliser simultanément la transition écologique de l’industrie tout en développant de nouvelles activités industrielles nécessaires à la transition.

 

L’auteur est une économiste et directrice de recherche au CNRS

Plus de publications

Chargée de recherche au CNRS et professeur affilié à Kedge Business School (Marseille)

Related Articles

Responses