Les leçons de la pandémie de Covid-19
Patrick Berche
La pandémie de Covid-19 a pris au dépourvu l’ensemble des pays imbus de leurs certitudes. Elle nous apprend l’humilité devant le combat darwinien entre un virus inconnu très contagieux qui cherche à survivre et une population qui s’immunise progressivement. La Science a répondu par une mobilisation sans précédent : un virus isolé et décrypté dans les premières semaines, des tests diagnostiques, la caractérisation en temps réel de nouveaux variants souvent plus contagieux, des vaccins très efficaces mis au point en quelques mois, bientôt des anti-viraux. En deux ans, des dizaines de milliers publications, d’innombrables bilans quotidiens de l’évolution de la pandémie dans le monde et dans chaque pays, des modèles mathématiques prédictifs de l’évolution. Du jamais vu lors des pandémies précédentes de grippe depuis 1918. Mais ces avancées se limitent en grande majorité à une approche causale et thérapeutique, certes très utile mais insuffisante pour prendre en charge une pandémie dans toutes ses dimensions, en particulier socioculturelles et environnementales, lesquels ont une influence considérable sur la mortalité globale. C’est ce qu’on appelle les effets collatéraux.
L’histoire des pandémies du passé relève des constantes dans la réaction des populations, que l’on retrouve lors de la pandémie de Covid-19. C’est d’abord l’incompréhension devant une maladie nouvelle qui perturbe l’organisation sociale et les projets à moyen terme. Fait suite la peur, l’angoisse et le stress face à un destin désormais inconnu. À cela s’ajoute une défiance envers les institutions (les masques, les vaccins !), les politiques, les experts, les journalistes… Dès lors, viennent les rumeurs amplifiées sur les réseaux sociaux, paroles anonymes et débridées, d’autant plus écoutées qu’elles sont véhémentes et pleines de pseudo-certitudes. Ainsi apparaissent en autres le déni de la pandémie, le rejet de la science et des vaccins qui cristallisent complotistes, catastrophistes, charlatans, gourous, tous ceux qui chassent en meute pour faire des émules. Force est de constater qu’il existe une absence abyssale de culture scientifique dans le public, ce qui facilite les prises de position irrationnelle. La peur suscite aussi la stigmatisation et la quête de bouc-émissaires (la faute des infectées, des jeunes, des vieux, des politiques, des autres…). On a vu aussi des comportements de fuite des grandes villes, de rebellions refusant les mesures sanitaires et les vaccins (non-respect de la quarantaine, fraude au passe sanitaire…), sous couvert de la Liberté.
La crise sanitaire que nous vivons nécessite une approche globale dans une perspective syndémique, un concept défini dans les années 1990 par un sociologue, Merryl Singer, d’abord appliquée à la pandémie de sida, au paludisme et à la tuberculose. Une syndémie est définie par l’imbrication de plusieurs maladies qui interfèrent entre elles, mais aussi de facteurs biologiques, environnementaux et comportementaux liés à la culture et aux croyances de chacun. L’intrication de ces multiples facteurs tend à accroître la morbidité et la mortalité d’une pandémie. Pour la Covid-19, on connait la forte mortalité observée chez les individus porteurs de comorbidités (diabète, obésité, cancer, malnutrition…). L’importance des effets collatéraux 19 sur la mortalité indirecte causée par les graves perturbations entraînées par la pandémie de Covid-19, a été soulignée en 2020 par l’OMS. Les difficultés de l’accès aux soins et à la prévention (hygiène, vaccinations) des populations pauvres, a entrainé en Afrique une augmentation de plus d’un million de décès par tuberculose, de plus de 600 000 morts du sida, de même pour le paludisme. Dans les pays développés, on note une surmortalité du fait de l’arrêt ou du retard à la mise en œuvre de nombreux traitements à cause à cause de la saturation des systèmes de santé. La pandémie de Covid-19 a mis en exergue l’importance des disparités sociales sur les taux de mortalité qui est beaucoup plus élevée dans les pays pauvres où les populations sont peu vaccinées. Les économistes ont montré que cette pandémie a induit la plus forte augmentation de la pauvreté depuis 1945, à laquelle s’ajoute un accroissement des maladies mentales, notamment de la dépression et des suicides.
L’approche syndémique permet de conduire à des stratégies efficaces de prévention multi-niveaux (prenant en compte mentalités, facteurs socio-économiques, comportementaux, environnementaux, climatiques, pollution…). Cela signifie que la stratégie définie par les décideurs peut varier selon le contexte culturel de chaque pays. Il est clair que la prise en charge de la présente pandémie doit être globale. Pour contrôler la circulation du virus, ne faudrait-il pas vacciner la population dans l’ensemble du monde !
Cette crise sanitaire soulève de nombreuses questions éthiques : qu’est-ce que la liberté ? Est-elle la même dans une société humaine menacée ? Quelles sont les limites de la liberté individuelle par rapport à la vie en société ? Qu’est-ce que la vérité, en particulier la vérité scientifique qui peut varier au fur et à mesure des progrès de la connaissance ? Faut-il vacciner des enfants avec très peu de bénéfices pour eux pour protéger les adultes non vaccinés ? Peut-on accepter la diffusion anonyme de mensonges et de fausses nouvelles, sous prétexte de la liberté d’opinion ? Comment combattre les fake news? Autant de questions que soulève cette crise sanitaire au début du XXIe siècle.
Patrick Berche, professeur des universités, chef de service de microbiologie de l’hôpital Necker-Enfants malades
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