Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Myopie, mémoire courte, électoralisme… l’énergie n’est pas le point fort des candidats

Il y a bientôt deux ans, en août 2022, la dernière crise énergétique connaissait son apogée avec un prix du MWh électrique qui dépassait, dans les cotations du jour pour le lendemain (day-ahead), 900 euros sur les marchés de gros européens. La France et l’Europe traversaient leur quatrième grande crise énergétique depuis le 1er choc pétrolier de novembre 1973 et cette crise était sans doute la plus grave car elle était directement associée à la guerre en Ukraine. Le pétrole était relativement peu affecté mais le gaz et l’électricité la subissaient de plein fouet.

Et puis, comme toujours après chaque crise, au bout de 18 mois environ, les vents se sont calmés, la fièvre est retombée, les Français ont oublié qu’ils avaient traversé une crise majeure et sont repartis vers d’autres préoccupations. Les candidats qui aspirent aujourd’hui à gouverner la France devraient s’en souvenir et proposer des politiques qui aillent au-delà de leur propension, au demeurant légitime, à tenter de s’attirer les bonnes grâces des électeurs.

Mais non, on ne trouve aucune vision stratégique dans les programme des grandes formations politiques – si l’on peut parler de programmes, car il ne s’agit que de listes d’actions non stabilisées, dont ni le chiffrage, ni la cohérence sont assurés. Le court-termisme est de rigueur et chaque formation y va de son couplet pour tenter de convaincre qu’ils pourront offrir aux Français, sur un plateau d’argent, une baisse des prix de l’énergie.

Il faut dire que le Gouvernement s’est mis de lui-même dans de beaux draps. Face à une crise d’ampleur inédite, il a décidé de surprotéger les consommateurs par des mécanismes de bouclier tarifaire sur le gaz et sur l’électricité et de remise sur les carburants qui, en cumulé sur 2022 et 2023, ont coûté aux finances publiques, selon l’INSEE, la somme astronomique de 44,6 milliards d’euros. Le Gouvernement, aujourd’hui impécunieux, se trouverait bien d’avoir encore une pareille somme dans son escarcelle. Le voilà contraint, pour reboucher les trous budgétaires et tenter de redonner confiance aux agences de notation, de rétablir la fiscalité qu’il avait imprudemment ramenée à son plus bas niveau. De nouvelles hauses des prix sont prévues, sur l’électricité comme sur le gaz, alors que les prix, sur les marchés de gros, ont retrouvé des niveaux quasi-normaux et que des baisses sur les prix de détail, sont enregistrées dans beaucoup de pays européens.

Quelques chiffres permettent de prendre la mesure de cette valse à contretemps.

Selon Eurostat, les prix de l’électricité TTC, pour un ménage moyen en Europe des 27, ont augmenté en moyenne de 33 % entre le 2ème semestre 2020 et le 2ème semestre 2022, mais ils ont diminué de 0,3 % entre 2ème semestre 2022 et le 2ème semestre 2023. En Suède, pays souvent pris comme modèle et où la composante sociale des politiques publiques est réputée forte, les variations, dans les mêmes périodes, ont été de +35 % pour la première période et de – 21 % pour la deuxième. Les Suédois ont ressenti violemment  les effets de la crise mais ils retrouvent aujourd’hui des conditions plus normales.

En France, la hausse a été limitée à + 13 % sur 2022/2020 mais elle s’est poursuivie sur 2023/2022 (+12,5 %) et de nouvelles hausses sont annoncées sur 2024. Le Français n’est pas reconnaissant à son Gouvernement du bouclier tarifaire mis en place pour le protéger d’une crise dont il n’a même pas perçu l’ampleur. Par contre, constater que les prix de l’énergie rendue consommateur continuent à progresser alors que la crise s’est estompée, suscite un fort mécontentement.

Les formations politiques, dont le courage n’est pas la vertu principale, trouvent là un moyen de flatter l’électeur en proposant des solutions miracles, consistant à continuer à jouer avec les prix, comme l’a fait le Gouvernement et comme on le faisait jadis pour le pain, le charbon ou l’essence.  Chacun y va de sa recette. Le Nouveau Front Populaire (NFP) veut bloquer les prix de l’énergie, abolir l’accise sur l’électricité, annuler les hausses programmées sur le gaz et instaurer la gratuité des premiers kWh…

Le Rassemblement National (RN), qui se sent proche du pouvoir, a des propositions évolutives mais on comprend qu’il voudrait ramener de 20 % à 5,5 % la TVA sur le produits énergétiques, y compris l’essence, n’en déplaise aux règles communautaires dont il ferait litière…

Renaissance y va aussi de son couplet en annonçant, bravache, que les prix d l’électricité baisseront de 15 % d’ici l’hiver prochain.

Aucun n’a le courage de faire remarquer que les prix de l’électricité pour les consommateurs domestiques sont finalement en France, à la fin de l’année 2023, de 8,5 % inférieurs à la moyenne européenne et de 35 %  inférieurs aux prix allemands.

Aucun n’a le courage de dire que si l’on baisse les prix de l’électricité, ce sera autant de ressources en moins, pour EDF qui doit rétablir son bilan et financer un énorme programme d’investissements, pour l’Etat, déjà au bord de la banqueroute, qui a lui aussi besoin de revenus pour continuer à financer la transition énergétique.

Le temps long ne semble plus intéresser nos politiques, à moins que ce soit la fièvre du moment qui altère leur capacité de vision et rapproche leur punctum remotum. Ils pensent pouvoir jouer avec les fondamentaux de l’énergie comme on joue aux quilles. L’exemple a été donné au cours du précédent quinquennat par la fermeture de Fessenheim : exemple insensé de destruction de valeur. Aujourd’hui, les éoliennes déplaisent au RN, qu’à cela ne tienne, il se fait fort d’imposer un moratoire. Mais dans le même temps  le NFP veut faire de la France le leader européen des énergies marines, avec l’éolien en mer et les hydroliennes.

Les LR – traditionnellement moins sujets aux emballements mais que la fébrilité a également envahi – sont prêts à renoncer à la logique économique et à faire un gros clin d’œil à certains de leurs électeurs en remettant en cause l’objectif de fin de commercialisation des voitures particulières à moteur thermique fixé par l’Europe à 2035. L’industrie automobile s’y est préparée et ne le demande plus, les gigafactories de batteries voient le jour, en France et en Europe, au risque de surproduction, et les nouveaux modèles de véhicules électriques font légion. Mais il faut, nous dit-on, protéger notre industrie du réseau compresseur chinois. Bien courte vue, car la migration vers le véhicule électrique est une révolution schumpétérienne et elle se fera, avec l’industrie française ou sans elle, comme les bateaux à vapeur ont fini par l’emporter sur la marine à voile.

La baguette magique des candidats  fonctionne dans les deux sens : le RN veut instaurer un moratoire sur l’éolien et le solaire mais se voit en mesure de construire pas moins de 20 nouveaux réacteurs d’ici 2036, mais sans s’appesantir sur la question de leur financement,  sans prendre conscience des contraintes industrielles, du besoin de trouver la main d’œuvre et de faire accepter un tel programme par les populations.

Renaissance, lui-même, est prêt, tout d’un coup, à lancer la construction des 8 réacteurs supplémentaires évoqués par le Président dans son discours de Belfort, après avoir tant attendu et tant tergiversé.

 Dans un grand élan patriotique, nos candidats veulent libérer la France du carcan insupportable que font peser sur elle les dictats européens. On veut, dit-on,  « reconquérir la liberté de fixer les prix » et « retrouver un prix français de l’électricité » (RN). Mais, comment peut-on être aussi loin des réalités en ignorant qu’en 2023, les échanges d’électricité aux frontières françaises ont représenté plus de 70 TWh, largement au bénéfice des producteurs français, et que, se priver de ces moyens de flexibilité par un refus des règles du marché, c’est s’exposer, très concrètement, à des risques de déstabilisation du réseau électrique et de black out. Comment peut-on ignorer que ce qui a commencé à faire l’Europe, c’est l’énergie.  C’était en 1951, avec le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier.

Il n’y a rien de pire dans le domaine de l’énergie que les allers et retours. La politique énergétique a besoin d’opiniâtreté, de persévérance et de stabilité. Toutes les infrastructures de production ou de transport demandent des années pour être réalisées et on sait qu’il n’y a pas de silver bullet. Les marges de manœuvre sont très limitées, mais les erreurs peuvent se payer très cher. Les choix passent nécessairement par un équilibre subtile entre solutions possibles. Les gouvernements qui précèdent ont affaiblit la position stratégique de la France et porté un lourd préjudice à son tissu industriel en refusant, pendant des années, d’admettre qu’il n’y a pas, pour notre pays, d’autre choix qu’un équilibre raisonnable entre énergie nucléaire et énergies renouvelables. L’Allemagne porte aujourd’hui le fardeau, de plus en plus lourd, de son obstination. On aurait aimé trouver dans les programmes des formations politiques quelques principes simples. Celui de la neutralité technologique dans les prises de décision n’est pas l’un des moindres et des plus faciles à faire partager à Paris comme à Bruxelles. Mais, bien sûr, il est plus spectaculaire d’avancer des idées exotiques, miroirs aux alouettes dont il faudra à nouveau faire les frais avant de se rendre compte de leur inanité.

Terminons par une note moins pessimiste. On peut se réjouir que les trois grandes formations politiques reconnaissent la nécessite de bâtir, enfin, une politique de rénovation des logements efficace et réaliste. Nous saluons l’idée d’un fonds de rénovation énergétique lancée par Renaissance qui pourrait venir mettre un peu d’ordre dans l’ordonnancement acrobatique des aides à la rénovation thermique qui n’a fait que se complexifier au fil des années, autour des certificats d’économie d’énergie et de MaPrimeRénov’ notamment. Rendons grâce au RN de son idée de remettre à plat le dispositif du DPE qui, du fait de dispositions abracadabrantesques, fait rentrer dans la catégorie des passoires thermiques, bientôt interdites de relocation, un million de logements, pour la seule raison qu’ils sont chauffés à l’électricité.

Permettre aux Français de réduire leurs dépenses de chauffage et de rénover leur logement, c’est leur redonner du pouvoir d’achat, améliorer leur confort, créer du bien d’être, préserver leur patrimoine et leur permettre de contribuer à la lutte contre le changement climatique. A elle-seule, une telle ambition devrait constituer un objectif majeur pour nos futurs élus, quelle qu’en soit l’obédience.

 

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Président du comité scientifique d’Equilibre des Energies

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