Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Quand la France s’agite…

Michel Barnier, ancien ministre et européen convaincu, vient d’être nommé Premier ministre après deux mois de tergiversations politiques qui ont alourdi le climat de la France en exacerbant les passions, les polémiques et l’agitation du microcosme médiatico-politique.

Il est toujours intéressant et instructif de contextualiser un événement à ce qu’il fût dans un récent passé. On se souvient du fameux slogan anticipant le mouvement de Mai 1968 : la France s’ennuie (1) ; l’effervescence du moment s’apparente plutôt à une agitation tous azimuts ébranlant les interstices politiques, économiques et culturels d’une société française en perte de repères et en recherche d’avenir. Comparaison n’est pas raison, Macron n’est pas de Gaulle, le macronisme n’a pas la solennité régalienne du gaullisme, la situation économique actuelle est infiniment plus dégradée qu’il y a plus d’un demi-siècle, le gauchisme soixante-huitard n’avait pas les débordements antisémites de l’islamo-gauchisme des Insoumis même si l’expression de la violence demeure, le réchauffement climatique était moins prégnant quoique aussi dommageable, enfin la situation internationale tout en demeurant multiconflictuelle est moins régulée qu’elle ne l’était par un ordre international issu de la « guerre froide ».

Désormais, l’Occident est confronté à des puissances autoritaires et même totalitaires, un terrorisme islamiste secoue les démocraties occidentales (twin towers, bataclan, …) et nos valeurs républicaines issues des Lumières européennes sont battues en brèche par une révolution wokiste qui met à mal les humanités et notre trinité républicaine.

Entre l’ennui d’hier et l’agitation d’aujourd’hui, il y a toutefois ce sentiment commun, cette vive appréhension que nous assistons à un essoufflement moral et vital de la société, à la fin d’un cycle politique, à une quête de sens autant qu’à la recherche d’un élan pour remettre en selle nos jeunes générations et booster une croissance molle. Sait-on que l’Europe fait 30 pour cent de moins que les Etats-Unis en matière de produit national brut au cours des deux dernières décennies ?

La séquence fiévreuse d’aujourd’hui trouve sa source lors de la réélection en mai 2022 d’Emmanuel Macron, victoire obtenue au détriment de la frontiste Marine Le Pen. Ce clivage entre la République et le camp nationaliste avait déjà été à l’œuvre pour la réélection en 2002 de Chirac. Mais son institutionnalisation pervers en 2022, au détriment de la grille politique classique entre la gauche et la droite, souhaitée et même accompagnée par l’actuel Président, a abouti à l’établissement d’une majorité de blocage – majorité négative selon certains politologues – constituée d’extrêmes politiques de droite et de gauche. Il ne pouvait que s’en suivre une déliquescence républicaine et démocratique, à laquelle nous assistons et pour laquelle nous devons faire face dans une société déboussolée à la fois par un manque d’autorité, des inégalités persistantes, une insécurité culturelle et des fractures territoriales. Sans oublier un pouvoir d’achat gravement entamé pour une partie de la population du fait de l’aggravation de la situation économique et financière de la France.

Après les élections européennes gagnées par le Rassemblement national, une dissolution aussi insensée qu’improvisée et des législatives sans résultat probant pour l’ensemble de la classe politique, Emmanuel Macron s’est retrouvé complétement isolé et à devoir affronter partis et syndicats, la rue et un microcosme réduit à des exhortations et des spéculations sans lendemain. La réussite éclatante de l’organisation des Jeux Olympiques n’aura apporté qu’un moment de répit à ce qui constitue une véritable crise politique. Crise politique que Jean-Luc Mélenchon et son parti LFI souhaiteraient convertir en crise de régime pour précipiter un chaos généralisé et des élections présidentielles anticipées. Jusque-là, la classe politique exceptée LFI et ses proches alliés mais le RN inclus, n’a pas succombé à un réflexe boulangiste en soutenant une procédure totalement inappropriée de destitution du Président de la République. Malgré cette avalanche de désordres politiques et quand bien même la France vacille, la Constitution de la Ve République tient bon et amortit les mauvaises actions des fauteurs de trouble. Jusqu’à quand ?

Les partis de gauche et écologique, regroupés dans un Nouveau Front Populaire sous la houlette de Jean-Luc Mélenchon ont obtenu au cours des législatives de juillet dernier le plus grand nombre de députés, subvertissant de facto les pratiques de la Vème République, ils ont cherché à imposer une Première ministre en la personne de Lucie Castets sur la base d’un programme accroissant les dépenses sociales et publiques. Et cela, alors que notre situation économique est à encéphalogramme plat. La droite républicaine en la personne de son nouveau leader Laurent Wauquiez a proposé un pacte législatif, à la vérité elle attend son heure en nourrissant l’espoir de faire baisser le score électoral du Rassemblement national en vue de constituer à son profit une hypothétique union des droites. Mais Marine Le Pen reste solidement enracinée dans la France périphérique et au sein d’un électorat populiste et précarisé par des décennies de crise et d’insécurité. La macronie et ses alliés forment un conglomérat centriste et libéral mais qui peine à convaincre politiquement tant l’usure du pouvoir est abyssale et le macronisme à la ramasse. Dans ce contexte d’émiettement politique, de sédimentation socio-culturelle et de ralentissement économique, Emmanuel Macron a nommé comme Premier ministre Michel Barnier, avec la charge d’éteindre l’incendie politique et de mener quelques réformes sans toucher aux grands équilibres socio-économiques. On voudrait croire un sursaut possible mais le challenge s’avère périlleux. A moins que les augures du redressement accompagnent Michel Barnier dans son action gouvernementale. Cet ancien ministre a l’égalité d’un homme d’Etat, souhaitons-lui bonne chance pour le bien de la République et de la France.

 

(1) En référence à l’article de Pierre Viansson-Ponté dans le Monde du 15 mars 1968 : Quand la France s’ennuie…

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Journaliste, directeur de la Revue Passages et de l’Association ADAPes, animateur de l’émission « Ces idées qui gouvernent le monde » sur LCP, président de Le Pont des Idées

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