Qui est Trump ? Le portrait psychologique d’un imposteur


Alain Roy est un écrivain canadien, directeur de la revue L’Inconvénient, et connu pour ses essais mêlant psychanalyse, politique et culture. Dans Le cas Trump, portrait d’un imposteur, qu’il écrit pendant et après les élections américaines de 2024, il s’atèle à dresser un portrait psychologique de Trump à travers une analyse poussée et très documentée. Il alterne entre le récit de son immersion dans un meeting trumpiste, à une analyse psychologique fondée sur de nombreuses sources (biographies, enquêtes journalistiques, etc.) dont les écrits de Mary L. Trump, psychologue clinicienne et nièce de Trump, très hostile à son oncle-président, ainsi que d’autres témoignages de ceux qui l’ont cotoyé.
Alain Roy revient dans ce livre sur ce qu’il considère comme l’imposture, la construction du personnage de Donald Trump et sa psychologie, et discute de sa dangerosité, devenue d’autant plus préoccupante à l’aube de son deuxième mandat. Je reviens sur quelques points clés de ce riche ouvrage.
Le mensonge et l’imposture : construire Donald Trump, de l’héritier au self-made man
Trump l’héritier
Loin de ce qu’il voudrait nous faire penser, Trump est un héritier. Son père, Fred, a fait fortune dans l’immobilier. Donald a un frère plus âgé, qui refusera de suivre la voie de son père, et mettra ce dernier dans une humeur vengeresse, jusqu’à la mort prématurée de ce fils, à 42 ans. C’est ainsi que Donald Trump se présentera comme le dauphin de son père, en se lançant dans l’immobilier. Mais contrairement à son père, Trump est loin de faire fortune, il s’endette massivement et dilapide ses ressources dans un mode de vie fastueux.
Alain Roy fait plusieurs fois allusion au rôle de Fred dans la construction de l’ego de Donald : Fred Trump est très autoritaire, et souhaite que ses fils soient des killers, sans faille, sans faiblesse, à l’inverse des « losers ». Un schéma que Donald reproduira à l’identique. Fred Trump lui lègue non seulement sa fortune et son réseau, mais aussi une certaine brutalité.
Fake news : Trump, le self-made man
Dans la rhétorique de Trump, celui-ci n’est pas un héritier, mais un self-made man. Celui qui crie en permanence aux fake news, s’est créé un personnage bien loin de la réalité, une sorte de meta-mensonge pour reprendre Roy, qui dominerait toutes ses autres affabulations. Ainsi, il construit un storytelling mensonger autour de la réussite individuelle. Dans les années 80, il commence à berner les médias sur le sujet, et renforce son image de réussite via la télé-réalité (The Apprentice) qui va jouer un rôle dans la légitimation du mythe.
En réalité, Donald Trump est donc un héritier, et plus encore, un héritier fauché. En tant que président, il n’a pas repris la tradition de dévoiler ses ressources, sûrement pour masquer des dettes. Il a dilapidé l’argent de son père à travers des projets immobiliers foireux, et s’est endetté lourdement auprès des banques américaines. Ce qui l’a pas empêché de toujours trouver des banques pour amortir ses échecs financiers.
Un menteur pathologique
Nous avons évoqué le meta-mensonge de Trump, sa réussite financière, et en tant que mensonge fondateur, il en engendre en réalité des milliers d’autres. Donald Trump est un menteur pathologique, et on pourrait même se demander, selon Roy, si lui-même n’a pas fini par se persuader que ces affabulations étaient en fait la réalité. Selon le Washington Post, lors de son premier mandat, il s’agirait de plus de 30 000 mensonges, du plus anecdotique au plus gros, que Trump aurait dit : « le mensonge semble constituer pour lui un véritable modus operandi, un outil à usages multiples auquel il peut recourir, en toute circonstance, pour se tirer du pétrin ou tourner une situation à son avantage. » (p.44). Ce qui n’a pas empêché le Washington Post, traditionnellement démocrate, de ne pas soutenir Kamala Harris lors de la présidentielle de novembre 2024. En fait, cette propension à remanier la réalité lui vient sûrement de son habitude à mener à bien des deals – deals dans lequel la réussite pour lui s’apparente à l’écrasement de l’autre. Il semble donc que dans l’esprit de Trump, la réalité ne soit pas pré-existante à son être, mais soit issue de son discours – cette idée que son discours est performatif.
L’autodestruction : failles narcissiques et humeur vengeresse
La réalité de Donald Trump
Trump n’a pas seulement hérité socio-économiquement de son père, mais aussi psychologiquement. Face à un géniteur autoritaire et obsessionnel, Donald Trump n’aura de cesse de rechercher constamment l’admiration. Les mensonges qu’il profère masquent une personnalité narcissique avec une incapacité à reconnaître ses échecs. Ecraser l’autre est son modus operandi, dans les affaires comme en politique. La réalité qu’il se construit masque une forte vulnérabilité, une faille narcissique profonde.
Tout comme à propos de sa réussite sociale, Trump ment sur son parcours scolaire, et son niveau intellectuel. Les anecdotes de Roy au sujet de sa vision politique sont plutôt édifiantes, et l’écrivain démontre le manque d’intérêt et de connaissances de Trump pour les sujets politiques. Ce qui ne l’empêchera pas de gagner deux fois les élections présidentielles.
Dans la réalité de Donald Trump, l’attrait du personnage pour les figures autoritaires n’est plus à démontrer. Peut-être que ces projets d’annexion (Canada, Groenland, etc.) peuvent témoigner d’une vision impériale.
De l’humiliation à l’autodestruction : une rage vengeresse
L’histoire de l’ascension politique de Trump est celle d’une réponse à l’humiliation permanente qu’il aurait subit, dès son enfance, entre son père et ses professeurs. Méprisé par les élites, qu’il n’a pas cotoyé car ceux-ci percevaient en lui quelqu’un de vulgaire et sans capital intellectuel suffisant, il a fait de l’intelligentsia américaine sa bête noire, au même titre que des journalistes qu’il accuse de fake news à longueur de temps. Mais d’après Alain Roy, l’humiliation fondatrice est celle d’Obama, qui l’a parodié à un événement de charité alors qu’il était dans la pièce. Il vouait déjà à celui-ci une obsession haineuse, mais cet événement accélère les choses : il ne peut pas être meilleur que lui, donc Trump peut aussi devenir Président. Ce serait, selon Roy, le début de son ascension politique. D’ailleurs, il s’attache de façon obsessionnelle à déconstruire toutes les avancées sociales mises en place par l’ancien président (Obamacare par exemple).
Rappelons aussi que Trump a une vision très manichéenne de la concurrence, et même de ses partenaires d’affaires : il a un besoin certain de gagner, d’écraser l’autre. Il n’existe pas, dans l’esprit de Trump, un monde où un deal puisse satisfaire aux deux parties. L’autre doit être lésé, c’est un loser. Lui, Trump, serait un killer.
Un homme sans substance ?
Trump incarne les symptômes du vide intellectuel symptomatique de notre contemporanéité. Ses anciens collaborateurs témoignent de son ignorance des dossiers, de son incapacité à se concentrer, et de son absence de vision politique structurée. « Trump ne semble pas posséder de véritables ‘convictions’ : les idées politiques sont quelque chose à quoi on peut feindre de croire à des fins transactionnelles, pour atteindre d’autres buts. » (p.9).
D’ailleurs, la conception même de l’intelligence par Trump révèle un homme sans véritable fond : selon Roy, Trump considère que l’intelligence est proportionnelle à la richesse d’une personne. Une des raisons donc, pour laquelle il affiche sa richesse (présumée) et son ascension sociale (mensongère).
On pourrait quelque peu nuancer la vision proposée par Roy : Trump n’a peut-être pas les capacités intellectuelles de ses prédecesseurs, mais il en reste que son efficacité politique (au sens de sa capacité à fédérer) mérite aussi qu’on s’y attarde. Puisqu’elle lui a permis en 2024, non seulement de gagner l’élection présidentiel, mais aussi de s’approprier le vote populaire – faisant même jeu égal avec Kamala Harris parmi les minorités.
Un homme démentiel ?
Pour Roy, Trump n’aurait jamais dû accéder à la présidence : proximité avec les milieux mafieux, accumulation de procès, inculture, instabilité. L’auteur évoque aussi une hypothèse issue du milieu psychiatrique : Trump présenterait des signes d’une dégradation mentale.
Autre point d’alerte : sa supposée collusion avec le Kremlin lors de sa première élection. L’enquête n’a pas abouti à des preuves formelles, mais le soupçon a suffi à ébranler les institutions, et a failli précipiter la destitution de Trump. N’empêche que le Kremlin a œuvré à faire perdre Hillary Clinton lors de l’élection de 2014, favorisant de facto Trump.
Limites
« Doublure de son propre père et prisonnier d’une identité fictive, Donald Trump donne ainsi l’impression d’une personne absente et vide, à côté d’elle-même, dans la peau d’un autre mais sans être cet autre non plus, un personnage de théâtre mais sans acteur pour l’incarner, un être à l’existence évanescente et qui, peut-être pour arriver à exister, impose à tous son inquiétante présence. » (p.118). Pour Roy, le diagnostic est clair : Trump est dangereux, car insaisissable, impulsif, (auto-)destructeur.
Mais il symbolise aussi un malaise plus large, une crise de la démocratie contemporaine. Ce dernier aspect est peu développé par Roy, qui privilégie une lecture psychanalytique du personnage. Or, Trump est aussi un symptôme de son époque : culture de l’instantanéité, rejet des élites, défiance envers les médias… Mais aussi le reflet d’une mondialisation capitaliste qui précarise les classes moyennes au profit des plus riches.
Je partage l’analyse de Roy : Trump n’a probablement pas les compétences et le sens moral pour diriger un pays. Pourtant, il sait convaincre et manipuler. Roy fait un parallèle entre Psychologie des foules de Gustave Le Bon et les rassemblements trumpiens. Une interprétation discutable : la foule y est décrite comme irrationnelle et manipulable. Or, le discours de Trump trouve écho dans une réalité sociale : celle d’un peuple désabusé par la politique traditionnelle et dont la majorité s’estime déclassée par des élites mondialisées. Le paradoxe vient de ce que cette majorité a porté au pouvoir Trump alors qu’il ne correspond pas à ses aspirations socio-économiques, sinon pour en instrumentaliser le désarroi et les motivations.
Note de lecture : Alain Roy, Le cas Trump, portrait d’un imposteur, Ecosociété, mars 2025
Assistante et coordinatrice d'ADAPes / Illustratrice, graphiste et artiste 3D en freelance
-
Marie Racoillethttps://lepontdesidees.fr/author/raks/
-
Marie Racoillethttps://lepontdesidees.fr/author/raks/
-
Marie Racoillethttps://lepontdesidees.fr/author/raks/
-
Marie Racoillethttps://lepontdesidees.fr/author/raks/
Responses