Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

La nouvelle alliance avec David Djaïz

Ce mardi 27 septembre 2022, Le Pont des Idées a eu l’honneur d’accueillir dans ses locaux David Djaïz, à l’occasion d’une conférence-débat sur le thème : « Jeunesse, démocratie, écologie: la nouvelle alliance ». David Djaïz, normalien et inspecteur des finances,  est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Slow démocratie (Allary), Le nouveau modèle français (éditions Points) et Réconcilier une France fracturée (revue Etudes juillet-août 2022).

En introduction, Emile H. Malet précise que ce débat s’inscrit dans le contexte du malaise ressenti de plus en plus au sein de la société française et qui se situe au cœur des travaux intellectuels de David Djaïz.

Tout d’abord, selon Djaïz, pour parler des jeunes, il est impératif de comprendre le contexte politique actuel, caractérisé par l’état de dégradation de la démocratie. Le monde dans lequel nous vivons se confronte à des défis inouïs : la transition énergétique exige la mobilisation coordonnée de tous les secteurs, le vieillissement et la fragmentation de la société mènent à un choc démographique et social, la croissance demeure atone à cause de la rareté énergétique.

Dans l’ensemble, l’infrastructure sociale de la France se situe dans l’inertie de l’abondance des 30 Glorieuses et l’infrastructure politique en miettes est mal équipée pour faire face aux défis actuels. Lors des 30 Glorieuses, on observait au sein de la société française un consentement à être gouvernée, comme le montrent l’existence des partis et des syndicats de masse, le taux élevé de participation aux élections et la loyauté électorale. Depuis, nous assistons à la déconsolidation et à la volatilité électorale de la population, ainsi qu’à la montée de sa défiance vis-à-vis des institutions publiques. Djaïz nous explique qu’il s’agit en effet d’un paradoxe : dans les sociétés de forte croissance, c’est-à-dire industrialisées, la lutte de classe s’opère au sein de l’entreprise, tandis qu’actuellement on passe à une lutte de classe avec l’Etat. Nous avons été témoin de l’émergence des Gilets Jaunes – des individus fragmentés, atomisés qui se tournent vers l’Etat ; de ce point de vue, la désindustrialisation des années ’80 est la cause directe de l’augmentation de la dépense publique et du surendettement de l’Etat. 

Quelles solutions pourrait-on envisager ? D’après David Djaïz, il est urgent de sortir de ce face-à-face individus/Etat et de reconstruire des acteurs intermédiaires « contre la monarchie administrative ». Djaïz considère que la solution passe par la coresponsabilité des acteurs à tous les niveaux. La principale difficulté consiste à produire de l’intérêt général, ce qui n’est possible que par la « coresponsabilité à la française » : fiscalité locale, dialogue social entre syndicats, patrons et Etat et partage des responsabilités dans le système public. Autrement dit, il faut donner du pouvoir aux usagers du service public tant au niveau micro qu’au niveau macro.

Après l’intervention de David Djaïz, les discussions s’enchainent avec les discutants et les participants présents au séminaire, animé par Emile H. Malet.

Hélène Peskine, architecte urbaniste et secrétaire permanente du PUCA, partage l’intérêt de Djaïz pour les collectivités territoriales et les sociétés locales, elle explique que les élus demandent d’être coresponsables, mais qu’on ne les laisse pas. Ulrich Utille-Grand, étudiant en histoire, s’intéresse particulièrement au clivage intergénérationnel et à la crise d’identité de la société française et considère que l’Éducation Nationale est aujourd’hui très éloignée de son concept tel que l’avait rêvé Jules Ferry. Charleyne Biondi, docteur en science politique, considère que ce qui explique l’apparent désintérêt des jeunes sur la sphère publique est le «hashtag activism » : l’engagement militant des jeunes passe d’abord par les réseaux sociaux.

  David Djaïz souhaite remettre au cœur du débat la notion d’« agency » : la société façonnée par le néolibéralisme et l’Etat providence devient dépolitisée et déresponsabilisée, alors que la liberté ne peut vivre que par la responsabilité. Dans les années ’50 et ’60, 40% des jeunes actifs étaient ouvriers, ce qui supposait souvent un travail déshumanisant, mais ils étaient fortement engagés dans un syndicat et dans un parti, alors que maintenant, l’engagement des jeunes est généralement ponctuel et virtuel. La République, c’est aussi la socialisation. Djaïz dresse ensuite un tableau du malaise extrême de la fonction publique : beaucoup de fonctionnaires sont mal payés, déclassés, ils se sentent humiliés par une « élite méprisante » et exigent plus de reconnaissance. Leur redonner le pouvoir d’organiser les choses, même à un micro niveau, pourrait avoir des impacts significatifs à tous les échelons.

En guise de conclusion, David Djaïz considère que, depuis les années ’80, avec la dénationalisation des entreprises et l’abandon des politiques industrielles et de recherche, on observe l’absence de vision stratégique et de projets des gouvernements successifs, ce qu’il associe au manque de coresponsabilité généralisé. Finalement, David Djaïz rappelle que la mondialisation incontrôlée et la vitalité démocratique ne peuvent pas coexister.

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