Notre Constitution a 65 ans: un chef d’œuvre en péril?
Olivier Passelecq
Voulue et conçue par le général de Gaulle, approuvée par le peuple par référendum et promulguée le 4 octobre 1958, notre Constitution a donc franchi le 4 octobre 2023 le cap de ses 65 ans d’existence, permettant ainsi à la Ve République d’égaler le record de longévité de 65 ans détenu jusqu’à présent par la IIIe République.
Cet âge respectable n’aurait pas été atteint si notre loi fondamentale n’avait pas prouvé au fil du temps ses exceptionnelles qualités, dotant notre pays des institutions politiques stables et efficaces qui lui avaient trop longtemps fait défaut.
Le bilan que l’on peut tirer est donc tout à fait satisfaisant, mais on peut se demander si ce qui a fait sa force par le passé n’est pas devenu aujourd’hui une réelle cause de faiblesse.
I/ La force de notre Constitution, c’est d’être à la fois solide et souple.
1/ Solidité institutionnelle, d’abord, fondée principalement sur le rôle éminent confié au Président de la République, élu au suffrage universel direct et disposant de larges prérogatives, parmi lesquelles la nomination du Premier ministre, la dissolution, le référendum, les pouvoirs de règlementation et de nomination, et la possibilité de recourir aux pleins pouvoirs prévus par l’article 16. Sans oublier bien sûr le rôle essentiel de garant des intérêts vitaux du pays que lui confie l’article 5 et sa prépondérance en matière de diplomatie et de défense.
Solidité fondée également sur ce que l’on appelle le parlementarisme rationalisé, dont le fameux article 49 alinéa 3 est le symbole, qui assure la stabilité et l’efficacité du gouvernement, lui donne les moyens de faire adopter son programme législatif et lui évite d’être renversé abusivement comme c’était le cas sous les régimes précédents.
C’est donc grâce à sa Constitution que la Ve République a pu affronter de terribles épreuves, comme la décolonisation et l’indépendance de l’Algérie, et surmonter de graves crises politiques ou sociales, comme celles de 1962 ou de 1968.
2/ L’autre grande qualité de notre Constitution, révisée 24 fois depuis 1958, c’est d’être souple et de s’adapter à toutes les situations : alternances, cohabitations, passage du septennat au quinquennat, construction européenne, nouvelle donne internationale, décentralisation…
Enfin, sur le plan juridique, notre loi fondamentale a permis que s’accomplisse, en instaurant un contrôle de constitutionnalité des lois, une véritable révolution par rapport à la tradition française de suprématie absolue de la loi. C’est en effet grâce à la création du Conseil Constitutionnel en 1958, l’élargissement de sa saisine aux parlementaires en 1976, la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ouverte à tous les justiciables en 2010 et l’évolution parallèle de la jurisprudence du Conseil depuis les années 1970, que la loi a perdu son impunité et que sont efficacement garantis aujourd’hui les droits et les libertés des citoyens.
Le bilan de ces 65 années est donc, quoiqu’en pensent ses détracteurs, au premier rang desquels ceux qui rêvent d’une VIe République, indiscutablement satisfaisant.
II/ Est-ce à dire pour autant que le régime mis en place par notre Constitution soit exempt de tout reproche ?
La réponse à cette question est évidemment négative, car, comme dans chaque bilan, il existe à la fois un actif et un passif. Et c’est là qu’apparaissent les faiblesses de notre système politique, liées à deux facteurs qui ne sont pas, il faut le souligner, de nature constitutionnelle : il s’agit, d’une part, du mode de scrutin, et, d’autre part, de la pratique institutionnelle.
1/ En ce qui concerne le mode de scrutin, si celui qui concerne l’élection présidentielle est inscrit dans la Constitution, celui qui concerne les élections législatives ne l’est pas. Or, dans les deux cas, le scrutin est majoritaire, et c’est là que se trouve très exactement la clé de tout notre système politique : si les deux majorités présidentielle et parlementaire concordent, c’est le présidentialisme qui l’emporte, et si les deux majorités sont différentes, c’est au contraire la dimension parlementaire qui s’impose, dans le cadre de la cohabitation. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si le scrutin majoritaire pratiqué pour les législatives, qui rappelons-le interviennent après les présidentielles, et qui a été, on l’a dit, un immense avantage par le passé, n’est pas devenu actuellement une cause de faiblesse, à cause de l’accroissement excessif des pouvoirs du Président qu’il permet et du déficit de démocratie qu’il entraîne, du fait de la sous-représentation, voire de la non-représentation à l’Assemblée nationale de certains grandes forces politiques.
2/ Pour ce qui est de la pratique institutionnelle, ici encore, ce n’est pas la Constitution qui est en cause, mais ceux qui en sont les usagers, à savoir les gouvernants. La dérive vers une sorte de monarchie républicaine à laquelle conduit le présidentialisme absolu, accentuée par le passage au quinquennat et même aggravée par la dimension « Jupitérienne » actuelle, est plus le produit des comportements humains que des normes constitutionnelles.
Mais il est vrai qu’il est parfois indispensable de changer les règles pour modifier les pratiques et il sera donc sans doute nécessaire de modifier la Constitution pour rééquilibrer le régime dans un sens plus parlementaire, en rétablissant de vrais contre-pouvoirs et en limitant la toute-puissance présidentielle, tout en favorisant le recours au référendum – notamment par la mise en place d’un référendum d’initiative populaire – afin de permettre aux citoyens de participer aux grands choix politiques qui engagent le destin national.
Professeur de droit public à l’IPAG de l’Université Panthéon Assas
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Olivier Passelecqhttps://lepontdesidees.fr/author/opasselecqauteur/
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