N’en déplaise à Emmanuel Macron, il faut élargir le champ du référendum et permettre aux citoyens d’en prendre l’initiative…
Olivier Passelecq
A l’issue de sa rencontre avec les chefs de partis à Saint-Denis le 17 novembre, Emmanuel Macron a fait savoir qu’il renonçait à engager une révision constitutionnelle sur le référendum. En d’autres termes, aussitôt annoncée, son intention de favoriser le recours au référendum a été aussitôt abandonnée. Un tel renoncement est évidemment tout à fait regrettable, car le moment est venu, plus que jamais, compte tenu des difficultés qui affectent aujourd’hui la démocratie représentative, de développer la démocratie directe.
Il faut en effet rappeler que le référendum est pratiquement tombé en désuétude, puisque sa dernière utilisation, relatif au projet de constitution européenne, remonte à 2005. Depuis lors, aucun chef de l’Etat n’a souhaité y recourir, alors que de nombreuses questions engageant leur avenir auraient pourtant mérité d’être posées aux Français.
C’est en cela que les gouvernants ont en quelque sorte trahi la lettre et l’esprit de notre Constitution, qui affirme parmi ses grands principes fondateurs que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Telle était la volonté, on ne peut plus claire, du général de Gaulle : la Ve République devait marcher sur deux jambes, en conciliant démocratie représentative et démocratie directe. Malheureusement, elle est aujourd’hui devenue unijambiste, et c’est pourquoi il faut la remettre d’aplomb.
A cette fin, voyons d’abord ce que permet la Constitution en matière de référendum, avant de rappeler sa pratique et de proposer enfin les solutions permettant d’en élargir le champ et d’en confier l’initiative aux citoyens.
1/ La Constitution distingue deux grands types de référendum : le référendum législatif, prévu à l’article 11, et le référendum constituant, prévu à l’article 89.
- L’article 11 permet au chef de l’État lui-même, sur proposition du Gouvernement, de soumettre au référendum un texte de loi dans trois cas : concernant « l’organisation des pouvoirs publics », « la politique économique, sociale et environnementale de la nation », et pour autoriser la ratification d’un Traité.
Cet article 11 prévoit aussi depuis 2008 la possibilité d’organiser un référendum dit « d’initiative partagée » (RIP), initié par un cinquième des membres du Parlement et soutenu par un dixième des électeurs, sur lequel nous reviendrons plus loin.
- L’article 89 de son côté permet au président de la République d’utiliser la voie du référendum plutôt que celle du Congrès pour faire approuver un projet de loi constitutionnelle, préalablement adopté par les deux chambres du Parlement.
Le champ du référendum est ainsi strictement défini et limité, excluant un grand nombre de sujets, tels que par exemple la fiscalité, le droit pénal, les libertés publiques ou les questions de société. C’est précisément la raison pour laquelle Emmanuel Macron avait envisagé d’élargir le champ du référendum législatif, en faisant allusion à deux thèmes : l’immigration et les « questions sociétales », dont la fin de vie.
Il y a renoncé, et c’est évidemment malencontreux car le peuple souverain devrait pouvoir se prononcer sur ces grands problèmes qui le concernent directement, tant dans sa vie quotidienne que dans son avenir. Mis à part le droit pénal et le droit fiscal, toutes les matières relevant du domaine de la loi, telles que prévues à l’article 34 de la Constitution, devraient ainsi pouvoir faire l’objet d’un référendum, y compris – et même surtout – les sujets les plus brûlants.
2/ Depuis les débuts de la Ve République, le référendum a été peu pratiqué, et de manière très inégale.
Neuf consultations seulement ont eu lieu en soixante-cinq ans, dont huit en vertu de l’article 11 et une seule en vertu de l’article 89, avec des fortunes diverses.
C’est bien sûr le général de Gaulle qui a su en faire le meilleur usage, en faisant du référendum, non pas un « plébiscite » comme on le lui a souvent reproché, mais au contraire une véritable « question de confiance » posée au peuple. C’est ainsi qu’il a pu mettre fin à la guerre d’Algérie (autodétermination en 1961 et indépendance en 1962), modifier le scrutin présidentiel (en 1962) et tenté sans succès d’instituer la régionalisation et de réformer le Sénat (en 1969), quittant immédiatement le pouvoir après la réponse négative des électeurs.
Par la suite, rompant avec la pratique gaullienne, aucun président n’a voulu engager sa responsabilité et les consultations, à deux exceptions près, ont été marquées par des taux d’abstention considérables, traduisant ainsi clairement le manque d’intérêt des électeurs pour un scrutin sans enjeu : ce fut le cas avec Pompidou en 1972 sur l’entrée de la Grande Bretagne dans la CEE, Mitterrand en 1988 sur la Nouvelle-Calédonie, et Chirac en 2000 sur le quinquennat.
Les deux exceptions ont été les référendums organisés par Mitterrand en 1992 sur le Traité de Maastricht et par Chirac en 2005 sur la Constitution européenne (dont le résultat a été, rappelons-le, négatif) : ces deux référendums ont en effet donné lieu à de grands débats qui ont vraiment mobilisé les électeurs, prouvant qu’il est donc possible, si la question en vaut la peine, de recourir avec succès à la démocratie directe sans que pour autant le chef de l’Etat n’engage sa propre responsabilité.
3/ Il est donc temps, compte tenu de l’évidente crise que connaît aujourd’hui la démocratie représentative, de mieux associer les citoyens à la décision politique.
C’est possible si l’on se décide enfin, à l’instar de certains pays européens voisins, d’instituer un vrai référendum d’initiative populaire, initié par 500.000 électeurs et portant sur une proposition de loi nouvelle ou sur l’abrogation d’une loi existante datant de plus d’un an.
Ce système simple et efficace viendrait compléter l’actuel référendum d’initiative partagée (RIP) qui est actuellement impraticable et qu’il conviendrait donc de simplifier. Rappelons en effet que selon l’article 11 il faut qu’il soit déclenché par un cinquième des membres du Parlement, soit 185 d’entre eux, et approuvé ensuite par un dixième du corps électoral, soit 4.900.000 électeurs, ce qui est pratiquement impossible à atteindre[1]. Pour le rendre utilisable, il est donc indispensable de sérieusement diminuer ces seuils, en les réduisant, par exemple, à 150 parlementaires et 1.500.000 électeurs. Tout en rendant moins contraignantes les conditions de sa mise en œuvre telles que prévues par la loi organique de 2013, qui n’a fait que compliquer les procédures dans le but inavoué et inavouable de priver le RIP de toute chance de succès…
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« Le fait immuable et éternel, c’est le peuple », disait Aristote. Rendons donc sans plus tarder la parole au peuple souverain pour qu’il se prononce lui-même sur les grands enjeux qui engagent son destin.
[1] Comme l’a prouvé l’échec du RIP sur la privatisation d’Aéroports de Paris !
Professeur de droit public à l’IPAG de l’Université Panthéon Assas
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Olivier Passelecqhttps://lepontdesidees.fr/author/opasselecqauteur/
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