Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

L’Europe, notre Europe, quand se réveillera-t’elle?

Il y a plusieurs raisons de penser l’Europe en panne, elle l’est à plusieurs niveaux, même si les décibels bruxellois sont très sonores. Mais je concentrerai mon bref regard sur l’interférence franco-allemande dans l’instabilité européenne et un certain déclassement de notre vieux continent, pétri d’histoire et de civilisation.

Il est vrai que l’axe franco-allemand a perdu de sa centralité dans l’Union Européenne par ce que nous n’avons pas su ou pas pu appréhender une perspective politique d’avenir engageant les nations européennes leur permettant de se battre à armes égales avec l’Asie et les Amériques. Nous sommes globalement distancés dans les secteurs clés et prometteurs de l’économie du futur, pas seulement dans le domaine du numérique, aussi de la transition énergétique et des industries manufacturières. L’axe franco-allemand a perdu de sa pertinence dans le domaine des technologies d’avenir comme des gouvernances compétitives. Le rapport Draghi est éloquent à ce sujet et depuis il ne s’est presque rien passé. Dans un domaine encore plus sensible, nous avons une guerre à nos portes, pas Gaza même si le drapeau palestinien qui flotte partout n’est porteur de nulle rédemption humanitaire, je veux parler des ravages de l’Ukraine par l’Ours russe où les Européens sont tétanisés à l’idée que l’homme imprévisible de Washington ne s’engage pas dans ce combat, ou pire, qu’il nous lâche. Ce qui semble bien avancé.

D’un point de vue historique, mais aussi géostratégique, l’Europe hésite entre Yalta et l’Occident kidnappé, ce qui nous empêche d’avancer. On croyait Yalta mort, on s’aperçoit que l’impérialisme russe est toujours là, on louangera l’émergence des nations d’Europe centrale et orientale, mais la vision prometteuse de Kundera nécessite une Europe puissante, crainte et armée. Nous n’en sommes pas là et ici encore l’axe franco-allemand ne fonctionne pas comme levier géo-économique et stratégique. Inutile de polémiquer sur les divergences des industries de défense de nos deux pays, ils se font désormais concurrence.

Reste la culture et l’Europe a le plus bel héritage qui soit, pas seulement les Lumières, la Renaissance, les Révolutions et les monarchies, mais aussi le formidable abécédaire littéraire, artistique, musical, architectural, que nous arrivons difficilement à promouvoir dans le concert des nations. Sait-on encore à Berlin et à Paris que l’Occident des valeurs et de la civilisation doit une grande part de ses lettres de noblesse à l’Europe, notamment à la France, l’Allemagne, l’Italie, … Tout finit par s’étioler, y compris la culture, comme les empires, quand il n’y a pas une dynamique créatrice et exportatrice. Il est vrai que la repentance coloniale est devenue notre sésame protestataire.

Alors me direz-vous, pourquoi encore se mobiliser si les perspectives d’avenir sont obscurcies par la léthargie présente ? Pour la simple raison qu’un réveil européen s’impose pour continuer à exister comme continent au sein d’un concert des nations plus conflictuel que jamais, pour continuer à peser économiquement, scientifiquement, socialement et culturellement par ce que l’Europe dispose du savoir et des connaissances, de la matière grise et de la densité humaine. Et ce ne sont pas la diversité des situations économiques, notamment énergétiques, de l’hétérogénéité de nos gouvernances politiques et de nos populations, des rivalités diverses concernant nos modes de vie et comportements qui font obstacle, au contraire même peut-on ajouter : les différences comme les contradictions font avancer si la volonté et le désir de faire engagent les peuples européens à aller de l’avant. Pour cela, un catalogue à la Prévert serait trop long, quelques recommandations s’imposent :

  • Le franco-allemand doit s’élargir, sa singularité n’est plus aussi attractive, ni même opérationnelle. Mais avant de défaire l’existant, oeuvrons à ouvrir et à élargir cette focale franco-allemande à d’autres pays. Notamment aux pays d’Europe centrale et orientale, à l’Italie … et la Grande Bretagne.

  • La guerre en Ukraine oblige l’Union européenne à ré-armer. Sans cesser de maintenir le lien Défense à travers l’OTAN avec les Etats-Unis, les pays européens doivent accroitre considérablement leurs dépenses militaires.

  • Il y a un volet socio-culturel à revigorer pour donner une consistance politique à l’identité européenne et œuvrer à promouvoir un modèle social européen. La France et l’Allemagne peuvent se retrouver sur ce terrain, nonobstant leurs différences de gouvernance, pour redonner un souffle et une vigilance à l’esprit européen.

 

Cet article reprend la participation d’Emile H. Malet au Xe Forum Européen Franco-Allemand qui a pris place le 9 octobre 2025 à la Présidence de l’Université de Strasbourg. Vous pouvez retrouver l’ensemble des interventions de Forum dans le numéro 230 de notre revue Passages 

 

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Journaliste, directeur de la Revue Passages et de l’Association ADAPes, animateur de l’émission « Ces idées qui gouvernent le monde » sur LCP, président de Le Pont des Idées

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