Roland Pourtier, géographe de l’Afrique et du monde (1940 – 2025)
Géraud Magrin*
Roland Pourtier est mort le 23 octobre 2025 à Bruxelles.
Né en 1941, normalien (Saint Cloud) et agrégé de géographie (1964), il soutient une thèse de 3e cycle sur les régions littorales du Cambodge sous la direction de Jean Delvert à partir d’un séjour en coopération à l’université de Phnom-Penh. Au retour en France, il enseigne à l’Ecole normale supérieure de Saint Cloud, avant d’être affecté à partir de 1970 à la jeune université de Libreville. Il y prépare sa thèse d’Etat consacrée à la formation de l’Etat et du territoire au Gabon (1986) sous la direction de Gilles Sautter. Roland Pourtier rentre en France pour rejoindre Paris 1 comme Maître-assistant en 1977, avant d’y succéder comme professeur à Sautter en 1988. Il y restera jusqu’à sa retraite en 2008, suivie de 9 ans d’éméritat (2008-2017) – quarante ans de carrière qui ont profondément marqué la géographie de l’Afrique à Paris 1.
Roland Pourtier intègre le Laboratoire de sociologie et de géographie africaines créé en 1967 par Georges Balandier, Paul Mercier et Gilles Sautter, devenu Centre d’études africaines (CEA) en 1985 (CNRS, EHESS, Paris V) – aujourd’hui IMAF, Institut des mondes africains. Dans le même temps, un rattachement secondaire au CRA, Centre de recherches africaines de la rue Mahler (Paris 1, Paris 3, Paris 5) l’associe aux équipes africanistes de Paris 1, où il échange notamment beaucoup avec Etienne Le Roy. Il enseigne aussi sur les questions de développement à l’IEDES auprès de Michel Rochefort.
Roland Pourtier a joué un rôle important dans la formation en géographie du développement à Paris 1 depuis l’origine, dans le cadre d’un cursus ouvert aux collaborations entre établissements franciliens, en binôme avec Jean-Louis Chaléard à partir de 1995. Ainsi, il est responsable pour Paris 1 (1988-2000) du DEA « Géographie et pratique du développement dans le Tiers Monde », dirigé par Jean-Pierre Raison et Alain Dubresson à Nanterre, puis directeur du master « Mondes tropicaux » (2000-2008) co-habilité entre Paris 1 et Paris 4. Désireux de mieux soutenir les recherches doctorales qu’il encadrait à Paris 1, il obtient en 1994 la reconnaissance d’une équipe de recherche « Équateur, dynamique des espaces tropicaux et développement », intégrée au sein de l’UMR Prodig quelques années plus tard. Roland Pourtier a dirigé 24 thèses, dont la plupart sur l’Afrique (Gabon, Cameroun, Tchad, Sénégal, Ethiopie, Nigeria), mais aussi sur d’autres espaces relevant du monde tropical (Galapagos, Triangle d’or, Bolivie). Au-delà de leur diversité thématique, les enjeux politiques y occupent une bonne place. Nombre de ses élèves ont fait carrière dans l’enseignement supérieur ou la recherche (Aurélie Binot, Pierre-Arnaud Chouvy, Frédéric Giraut, Christophe Grenier, Géraud Magrin, Claire Médard, Hugo Pilklington, Sabine Planel, Laetitia Perrier-Bruslé, Frédéric Réounodji…).
Directeur de l’UFR de géographie de Paris 1 de 1988 à 1995, Roland Pourtier a accompagné les changements importants du tournant du millénaire, notamment le réaménagement des locaux de l’Institut de géographie et la création de l’UMR Prodig (1998), au côté de Marie-Françoise Courel, dont il est directeur adjoint de 1998 à 2003. Il exerce ensuite la présidence du Gis CEPED, Centre population et développement (IRD, INED, Paris 1, Paris V, Paris X) de 2003 à 2006. Il préside également l’Association de géographes français (AGF) de 2001 à 2016. En 2010, Roland Pourtier est élu membre titulaire de l’Académie des sciences d’Outre-mer, qu’il préside en 2023 et dont il organise le centenaire.
Profondément attaché à la pratique du terrain comme clé d’une démarche empirique, il revendique, dans son enseignement et sa recherche, la géographie comme un « ça-voir », impliquant de « voir avec les yeux de sa tête » ; un savoir qui est aussi joie de vivre et de rencontre : « Il n’y a aucune raison pour que le savoir soit austère ou que l’on dissimule, presque honteusement, la joie de la découverte. L’espace est une fête et rien ne me paraîtrait plus inconvenant qu’être un géographe triste », écrit-il dans des Histoires de géographes réunies par Chantal Blanc-Pamard (1991).
Orateur brillant, plume acérée, refusant les prêts à penser et se méfiant des postures, Roland Pourtier inscrit sa géographie, qu’il définit comme holistique, entre la géographie tropicale de Pierre Gourou, attentive au temps long des relations sociétés milieux, et une géographie du développement sensible aux inégalités, aux rapports de domination, à l’organisation politique de l’espace – en proximité intellectuelle avec Yves Lacoste. Depuis ses premiers terrains en Asie du Sud-est et en Afrique centrale, il accorde une grande importance à la relation entre démographie et géographie. Parmi ses derniers ouvrages, il co-dirige (avec Géraud Magrin et Jacques Lemoalle) un Atlas du lac Tchad (Passages, 2015) et écrit Congo. Un fleuve à la puissance contrariée (CNRS éditions, 2021), prix Jean Santeny de l’Académie des sciences morales et politiques.
Roland Pourtier s’est éteint en un instant à Bruxelles, alors qu’il présentait une communication sur les enjeux démographiques africains à l’Académie des sciences d’Outre-mer de Belgique. Tel Molière ou Papa Wemba, sur scène, tout au bout de sa géographie.
*Géraud Magrin, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (UFR 08 – Géographie)
Roland Pourtier était un collaborateur assidu de la revue Passages et de son association ADAPes, dont il était le trésorier. Il était notre conseiller éditorial pour l’Afrique à la fois par ses écrits et comme keynote speaker de nos Forums, notamment pour Le Lac Tchad.
À sa femme Nouchka et à ses enfants, nous adressons nos condoléances attristées.

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