Le Pont

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André Robillard, l’Art Brut en majesté

Adoubé par Dubuffet, André Robillard (né en 1931) bricole depuis plus de cinquante ans, dans son atelier situé dans un hôpital psychiatrique près d’Orléans, fusils, fusées, spoutniks… La galerie Serge Aboukrat présente dans son nouvel espace au cœur de Saint-Germain-des-Prés jusqu’au 02 décembre 2021, un florilège d’œuvres de cet artiste hors norme, figure incontournable de l’art brut.

André Robillard décide en 1964 « de faire quelque chose de sa vie » : il se met à assembler des objets de récupération pour construire ses premiers fusils. Aujourd’hui, à 90 ans, cet auteur d’Art Brut dont les œuvres ont été collectionnées par Jean Dubuffet demeure toujours actif. Depuis plus de cinquante ans, il crée sans relâche des fusils, ainsi que des avions, des spoutniks et des animaux avec des matériaux de rebut et du bois découpé. Il réalise également de nombreux dessins au crayon de couleur ou au stylofeutre, qui ont pour thèmes la guerre, l’aérospatiale, le monde animal et le sport.

Cette exposition monographique que la Galerie Serge Aboukrat consacre à André Robillard témoigne de sa capacité à expérimenter et à rechercher de nouvelles voies en variant les sujets et les supports. À travers la présentation d’une vingtaine d’œuvres finement sélectionnées, elle rend hommage à l’un des auteurs d’Art Brut «historiques» encore vivant.

L’Art Brut a joué un rôle déterminant dans la reconnaissance artistique du travail d’André Robillard. D’une part, Jean Dubuffet découvre ses fusils par l’intermédiaire du docteur Paul Renard et en fait l’acquisition. D’autre part, ses œuvres sont exposées dans la collection permanente du musée de Lausanne, dénommé la Collection de l’art brut, dès son ouverture, en 1976. L’année suivante, Michel Thévoz, premier directeur de l’institution, envoie à André Robillard une carte postale représentant son fusil de 1964 : ce sera pour lui une immense joie ; il se remet à l’ouvrage pour ne plus s’arrêter, cherchant par le biais de la création à « tuer la misère » et à « changer sa vie ».

Robillard vit dans un hôpital psychiatrique depuis sa tendre enfance. Jusqu’aux années 60, il mène une existence sous tutelle, recluse, sans guère de visites ni de sorties. Puis il se met à bricoler de drôles de fusils à l’aide de matériaux récupérés sur les décharges, avec des chargeurs faits de tapettes à rat ou de boîtes de sardines, des canons en béquille orthopédique ou en tuyau de plomberie. Tout est assemblé avec des clous et du scotch marron, puis multicolore lorsqu’il découvre la formidable palette des rubans adhésifs pour électriciens.

Ces irrésistibles fusils l’ont d’abord fait connaître du petit cercle de l’art brut. André Robillard en est un représentant historique, le dernier créateur vivant à avoir été adoubé par Dubuffet lui-même, son théoricien, qui possédait nombre de ses pièces dans sa collection, donnée dans les années 70 à la Ville de Lausanne pour constituer un musée, faute d’avoir trouvé preneur en France.  

Lorsque le musée de Lausanne – dénommé la Collection de l’Art Brut – ouvre, en 1976, le public découvre alors un monde créatif insoupçonné. Robillard est reconnu comme artiste, exposé depuis lors partout en Europe.

Il élargit ses sujets de prédilection au ciel, aux planètes, aux fusées et se lance dans la fabrication de spoutniks et autres vaisseaux intersidéraux avec des tuyaux d’aspirateur et des pompes à vélo. Il crée aussi des animaux découpés dans du bois et passe beaucoup de son temps à dessiner.

Robillard aime à se promener dans la forêt d’Orléans, attenante au parc de l’hôpital. Une fois il s’est perdu. « Quelle affaire ! J’avais peur de m’faire bouffer par les sangliers. » Les versions de son récit varient, mais à chaque fois, à la fin, un garde-chasse le sauve. C’était la profession de son père, dans la forêt d’Orléans. André y est né en 1931, au lieu-dit la Maltournée. Le petit garçon avait le droit de porter la gibecière et quelquefois le fusil paternel. Ses dessins au feutre saturés de vert, d’orange et de marron sont peuplés des chevreuils, des renards et des sangliers de son enfance.

Puis très tôt, c’est le divorce de ses parents, sa sœur reste avec sa mère, et lui avec son père. Colérique et ingérable, il est envoyé à 9 ans à l’« école de perfectionnement » au sein de l’hôpital de Fleury-les-Aubrais, puis à l’adolescence est placé comme ouvrier agricole. Mais le jeune homme est violent et fait des fugues.  Jugé inapte à la vie sociale, André Robillard intègre définitivement l’hôpital psychiatrique ; il n’a pas 20 ans. Sa souffrance, ses souvenirs, les démons de sa jeunesse, la solitude, la détresse, tout est sorti sous forme de fusils. Mais des fusils « qui ne tuent que la misère », tient-il à préciser.

Ses œuvres sont aujourd’hui présentes dans de nombreuses collections publiques et privées d’art brut et contemporain (Lausanne, Manchester, Grand-Hornu, Villeneuve d’Ascq, … Antoine de Galbert).

Concomitamment à son exposition personnelle à la galerie Serge Aboukrat, il sera présent dans l’exposition « Michel Nedjar. Filiations » proposée du 25 septembre 2021 au 09 janvier 2022 au Domaine départemental de Chamarande, en partenariat avec le LaM – Lille Métropole Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut.

Contact :

« André Robillard » – Du 13.09 au 02.12.21 – Galerie Serge Aboukrat, 2 rue Bourbon le château, 75006 Paris ; sergeaboukrat@orange.fr ; 06 80 59 13 20 ; 15h-19h ou sur rendez-vous  

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