Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Claire Fourcade : « C’est toujours à l’attention portée aux plus vulnérables que se reconnaitra notre humanité »

J’ai lu Journal de la fin de vie avec un intérêt croissant, et je dois dire que c’est un livre important. Pas seulement parce qu’il traite d’un sujet essentiel – la fin de vie –, mais parce qu’il aborde ce débat sous un angle que l’on entend rarement. Claire Fourcade, médecin en soins palliatifs et présidente de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP), propose une réflexion qui bouscule certaines évidences et amène à questionner nos propres positions.

Avant d’ouvrir ce livre, je pensais avoir un avis tranché sur la question de l’euthanasie et du suicide assisté. Comme beaucoup, j’étais convaincu que la liberté individuelle devait primer, qu’il valait mieux mourir que de souffrir ou d’angoisser en attendant la mort. Mais à mesure que j’avançais dans ma lecture, j’ai pris conscience de la complexité de ce débat, de toutes les nuances que l’on a tendance à effacer derrière une opposition binaire “pour ou contre”. Ce livre ne donne pas de réponse définitive, mais il invite à une réflexion bien plus large sur la manière dont nous, en tant que société, accompagnons la fin de vie et sur le message collectif que nous voulons faire passer en tant que société.

Les soins palliatifs : une médecine du prendre soin

L’un des apports majeurs du livre est de donner une vraie place aux soins palliatifs, trop souvent méconnus ou négligés dans les discussions sur la fin de vie. Claire Fourcade parle beaucoup de sa propre expérience, entre son service de soin palliatif à Narbonne et sa position de présidente de la SFAP, expliquant en quoi les soins palliatifs sont bien plus qu’une simple alternative à l’euthanasie : ils sont une autre manière de concevoir le soin.

La première partie du livre, donc, cherche à poser ce que sont les soins palliatifs, le rôle des médecins qui s’occupent d’adoucir la fin de vie de personnes que la maladie a condamné. Au fil du livre, et notamment quand l’autrice raconte des histoires de ses patients, ceux de Narbonne, qu’elle accompagne depuis plusieurs années, il y a une douceur, dans les mots employés, dans les mots et les gestes qu’on peut imaginer : « Rencontre, écoute, confiance, lenteur, humilité. Les soins palliatifs nous disent qu’il est possible de soigner autrement, de rendre du sens à notre pratique quotidienne. Les soins palliatifs pourraient être l’avenir de notre système de santé, l’outil d’un indispensable changement, ce nouveau modèle de soin dont notre époque a besoin ».

Claire Fourcade dresse un éloge des soins palliatifs. Tout d’abord, les soins palliatifs mettent en lumière l’importance du collectif, de l’écoute, de la rencontre, et de l’approche pluridisciplinaire, à une époque où la médecine se centre sur la performance et l’individualisme. Elle fait également l’éloge des soins palliatifs comme celle de la lenteur, face à un monde dans l’urgence, et un hopital désormais miné par des logiques de rentabilité et d’efficacité.

Aussi, Claire Fourcade interroge : comment peut-on parler de choix quand toutes les options ne sont pas accessibles ? En effet, la loi garantit un accès aux soins palliatifs, mais en vérité, seulement 10% de patients en fin de vie en bénéficie réellement.

Le débat politique et sociétal autour de la fin de vie

Au-delà de l’aspect médical, ce livre plonge aussi dans les rouages du débat politique. En tant que présidente de la SFAP, Claire Fourcade a été amenée à rencontrer de nombreux responsables politiques, et elle décrit avec lucidité la difficulté d’être entendu lorsque l’on porte une voix qui ne va pas dans le sens dominant.

Elle pointe plusieurs limites dans la manière dont ces débats sont menés :

  • Un dialogue souvent biaisé : les médecins en soins palliatifs sont consultés, mais plus par soucis de représentation que par réel intérêt. Leurs interventions sont souvent limitées à quelques minutes, face à des décideurs souvent déjà convaincus. Finalement c’est surtout l’histoire d’un mépris d’une bonne partie de ceux qu’elle rencontre pour la voix des médecins qui s’opposent à un projet de loi qui légaliserait la mort provoquée.
  • Une crise profonde du système de santé : elle décrit un monde hospitalier en souffrance, où le manque de moyens et la pression constante poussent les soignants à bout. Dans ce contexte, l’euthanasie risque d’être perçue comme une “solution de facilité”, faute d’un véritable accompagnement. Elle pointe également le risque de démissions massives si le projet de loi venait à être voté. Il est notable que le secteur de la santé soit, depuis plusieurs années, en train de couler. Dans son aventure politique et ministérielle, il y a un lieu décrit par Claire Fourcade qui fait mouche : le Ministère de la Santé. Là-bas, « ni or, ni charme, l’importance de la santé ne se traduit pas par le prestige de ses locaux ».
  • La place du soin dans notre société : elle interroge ce que la légalisation de l’euthanasie signifierait sur le long terme. Dans une société où l’autonomie et la productivité sont des valeurs dominantes, ne risque-t-on pas d’envoyer aux plus vulnérables le message qu’ils sont un poids ? Elle explique à plusieurs reprises que certains patients pourraient choisir l’euthanasie pour soulager leur famille, mais sans pour autant avoir envie de partir avant l’heure.

Un message collectif en question

Ce qui ressort avec force de ce livre, c’est que la question de la fin de vie ne se limite pas à une affaire individuelle. Claire Fourcade insiste sur l’impact qu’une loi peut avoir sur l’ensemble de la société : légiférer sur l’euthanasie ou le suicide assisté, ce n’est pas juste donner un droit à certains, c’est aussi envoyer un message collectif sur la manière dont nous percevons la vulnérabilité et la dépendance.

Elle met aussi en garde contre les évolutions possibles d’une telle législation. En observant les pays qui ont déjà légalisé l’euthanasie, elle montre comment une exception peut devenir une norme. Ce qui est d’abord présenté comme un choix personnel peut, avec le temps, devenir une pression sociale.

Enfin, elle questionne la notion d’autonomie, souvent mise en avant dans ce débat. Elle rappelle que l’autonomie ne signifie pas “faire seul”, mais “savoir demander de l’aide”. Or, dans un monde où les liens de solidarité s’étiolent, cette aide est de plus en plus difficile à trouver.

Conclusion

Le Journal de la fin de vie est un livre marquant, non seulement par son sujet, mais aussi par la manière dont il pousse à la réflexion. Il ne se contente pas de défendre une position, il ouvre un espace de questionnement où les certitudes vacillent, où les nuances prennent toute leur place.

Si Claire Fourcade défend avec force les soins palliatifs, elle ne cherche pas à s’imposer. Dans une société où l’on parle beaucoup de liberté individuelle, elle nous invite à ne pas oublier l’autre dimension essentielle de notre humanité : l’attention portée aux plus vulnérables.

Ce livre n’est pas une leçon, c’est un plaidoyer pour le débat, il oblige à se questionner et à ne pas se limiter à une vision trop manichéenne de la chose. A l’image de l’humain, la fin de vie est un sujet complexe, à la fois très personnel mais avec un message sociétal. Nos désirs sont mouvants, parfois contradictoires, parfois influencé.

« Dans ce débat sur la fin de vie, ce dont il est question n’est pas seulement l’euthanasie ou le suicide assisté, mais bien le changement des termes de ce message collectif que notre société envoie aux patients comme à leurs proches et aux soignants ». Elle semble avoir été entendue par les pouvoirs publics puisque le débat parlementaire se fera en deux étapes : les soins palliatifs pour commencer et ensuite les aides actives à mourir, à savoir confronter le recours au suicide assisté et à l’euthanasie, réclamé par les associations militantes, face à une nouvelle législation.

 

A propos de Claire Fourcade, Journal de la fin de vie, Fayard

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Assistante et coordinatrice d'ADAPes / Illustratrice, graphiste et artiste 3D en freelance

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