Le Pont

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Comment la fortune des Rockefeller finance désormais des mouvements antisionistes

TRIBUNE. Des professionnels du droit alertent sur le financement sulfureux de mouvements comme « Jewish Voice for Peace », qui profitent de l’argent de la Fondation Rockefeller.*

Noëlle Lenoir**

Le patronyme « Rockefeller » est associé dans tous les esprits à l’aventure industrielle prodigieuse de John Davison Rockefeller et de ses frères, créateurs de Standard Oil (devenu Exxon Mobil). La fortune qu’ils ont fait naître est aujourd’hui dispersée entre deux cents héritiers. Elle est évaluée à 10 milliards de dollars. Mais l’emploi fait de cet argent a bien changé de nature. Les Rockefeller ne sont plus actionnaires d’Exxon Mobil depuis 2016. En revanche, leur argent est activement mobilisé par la Fondation Rockefeller, créée par John D. Rockefeller et Frederick T. Gates en 1913 pour « promouvoir le bien-être de l’humanité dans le monde ».

La Fondation Rockefeller subventionne aujourd’hui l’omniprésente Greenpeace, l’un des principaux pourfendeurs des sociétés pétrolières occidentales… Retournement emblématique de l’époque singulière que traverse l’Occident : les Rockefeller n’investissent plus dans la production, mais dans la contestation de la production.

Un soutien au mouvement antisioniste

Autre retournement symptomatique : en 1940, un des principaux responsables de la Fondation Rockefeller, John Willits, fait échapper nombre d’universitaires européens, notamment juifs, aux camps nazis. Aujourd’hui, la Fondation finance les organisations les plus farouchement anti-israéliennes, sans que ne l’effleure l’idée de venir en aide aux étudiants juifs menacés, sur les campus européens ou américains, par un antisionisme qui n’est souvent que le masque d’un nouvel antisémitisme. La presse ne fait pas mystère de ce changement de cap.

La Fondation en fait d’ailleurs l’aveu sur son site Internet, en prenant ouvertement parti pour les étudiants pro-Palestine, voire pro-Hamas des campus américains dans une déclaration du 11 décembre 2023. Elle y déplore l’usage de la force contre ces « manifestants pacifiques » et reprend le discours du Hamas en affirmant que la guerre à Gaza a déjà alors causé « 35 000 morts dont une majorité de femmes et d’enfants » (chiffres démentis depuis lors même par les Nations unies). Tout en proclamant le droit d’Israël d’exister et en se défendant de financer directement les manifestations « antisionistes » sur les campus, elle reconnaît, ce qui peut apparaître contradictoire à certains, aider les mouvements qui les soutiennent. John Willits n’en croirait pas ses yeux : c’est avec l’argent des Rockefeller que des ONG hostiles à Israël prospèrent dans nos démocraties.

Le financement de ces ONG se réclame de deux finalités : la sauvegarde de l’environnement et la « justice sociale ». Derrière ces nobles objectifs, le narratif vendu aux jeunes aurait sidéré John D. Rockefeller comme John Willits : un anticapitalisme parfois virulent sous prétexte d’écologie ; et, sous prétexte de paix juste en Palestine, une assimilation d’Israël à un État néocolonialiste.

C’est ainsi, par exemple, que la Fondation Rockefeller finance le très puissant Tides Center qui entretient l’agitation dans les universités américaines, en lien avec des organisations palestiniennes, et fait la publicité du rapport de « Human Rights Watch » propageant l’idée qu’Israël pratique l’apartheid et violerait – ce qu’aucune cour n’a jamais jugé – la Convention sur le génocide !

Financement sulfureux

La Fondation Rockefeller contribue en outre par l’aide qu’elle apporte à certaines associations aux actions BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) et aux appels à désinvestir en Israël et à couper les liens entre universités occidentales et israéliennes. La Fondation Rockefeller financerait aussi d’après la presse, non sans succès, des actions de lobbying de politique étrangère pour inciter le parti démocrate américain à se détacher de l’allié Israélien. La veille des élections présidentielles américaines, cela n’est pas anodin ! Mais cela ne se heurte plus à aucun obstacle légal depuis l’arrêt de la Cour suprême de 2010 « Citizens United » qui, au nom de la liberté d’expression, a fait voler en éclats la réglementation américaine sur le financement des campagnes électorales.

Last but not least, la Fondation Rockefeller sponsorise le très étrange mouvement « Jewish Voice for Peace » (en France l’Union juive française pour la paix) qui milite pour les actions BDS et contre « l’occupation » des territoires palestiniens par Israël tout en entretenant des correspondants de presse à Gaza.

Comment ne pas être saisi de vertige en voyant une grande famille américaine, jadis créatrice de richesses, d’emplois et de progrès techniques, consacrer désormais son argent, à l’insu des opinions publiques, à financer un activisme anti-occidental et anticapitaliste haineux, pactisant avec l’antisémitisme ? La moindre des choses serait d’exiger d’elle une parfaite transparence pour des actions de « mécénat » qui ont dérivé très loin des idéaux proclamés en 1913. Cette parfaite transparence du financement des ONG s’impose non moins en Europe. Les citoyens européens, comme les citoyens américains, ont le droit de savoir qui sont leurs mécènes et qui sont les bénéficiaires des largesses de ceux-ci ! Quant aux ONG, qui militent si bruyamment pour la transparence des entreprises et des pouvoirs publics, elles doivent accepter de se la voir appliquer de manière identique à elles-mêmes.

*Publié dans Le Point, le 12 juin 2024

**Le Cercle Droit et débat public est présidé par Noëlle Lenoir, avocate, ancienne ministre et membre honoraire du Conseil constitutionnel, et comprend notamment les membres suivants :

  • Pierre-Henri Conac (professeur de droit)
  • Jean-Claude Magendie (premier président honoraire de la Cour d’appel de Paris)
  • Jean-Yves Naouri (chef d’entreprise)
  • Emmanuel Piwnica (avocat aux Conseils)
  • Jean-Éric Schoettl (ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel)
  • Philippe Valletoux (consultant)
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