Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Commission d’enquête sénatoriale sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050 : ce qu’il faut en retenir

1 – Le contexte.

A l’automne 2021, l’Europe a été confrontée à une crise énergétique majeure qui s’est vite amplifiée du fait des conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie déclenchée le 24 février 2022. Cette crise s’est traduite, dans un premier temps, par une augmentation brutale des prix du gaz suivie d’une flambée des prix de l’électricité. Mais elle a été particulièrement critique en France en raison de la situation très dégradée de notre parc nucléaire historique. En effet, notre outil de production d’énergie nucléaire avait été délibérément amputé par la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, pour des raisons purement politiques. Par ailleurs, cette production nucléaire a été sérieusement affectée par la découverte d’un phénomène de « corrosion sous contrainte », induisant la mise à l’arrêt ou le prolongement des durées de maintenance de 14 réacteurs nucléaires au cours de l’année 2022. Cette situation a engendré une réduction importante de notre production d’électricité qui s’est traduite par une augmentation des tarifs, tant pour les entreprises de toutes tailles que pour les particuliers, et donc une dégradation de notre économie comme du pouvoir d’achat des Français.

C’est ce contexte préoccupant qui a conduit le Sénat à créer en janvier 2024 une commission d’enquête sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050, nommée ci-après la COMMISSION, présidée par le sénateur Franck MONTAUGÉ, et dont le rapporteur principal a été le sénateur Vincent DELAHAYE, nommé ci-après « le rapporteur ».

L’objet de cet article est de fournir une synthèse de ces travaux qui se sont étalés sur 6 mois.

2 – Déroulement des travaux de la COMMISSION.

La nature même du sujet de l’enquête ouvrait un champ d’investigation assez vaste tant par multiplicité des acteurs impliqués que par la diversité des opinions des parties prenantes, y compris celles des groupes politiques. Les membres de la COMMISSION ont donc procédé à un examen systémique et non partisan des difficultés de l’électricité en France, en évitant de céder aux pressions de certains groupes voulant privilégier, par intérêt ou idéologie, tel ou tel type d’électricité ou de technologie.

Le travail réalisé par les membres de cette commission est réellement impressionnant, avec l’audition de plus de 140 personnalités et experts, et la rédaction d’un rapport principal de 821 pages. L’examen de la liste des personnes auditionnées par la COMMISSION (en séance plénière ou par le rapporteur) montre que toutes les composantes de notre société qui interviennent de près ou de loin dans le secteur de l’énergie ont été entendues : grands acteurs industriels (EDF, ORANO, ENGIE, TOTAL, …), organismes étatiques (CRE, RTE, ADEME, ASN, CNR, CEA, Haut-Commissaire à l’énergie atomique, …), universitaires ou experts indépendants, instances gouvernementales (notamment le ministre des finances, Bruno Lemaire), associations (dont NEGAWATT, GREENPEACE, la FED ainsi que PNC),  syndicats, instituts ou agences (dont l’AIE). Quant au rapport principal, il est à la mesure de l’ampleur de ces investigations puisqu’il fait 821 pages.   

3 – Le rapport principal : l’essentiel.

Il se divise en quatre grandes parties comprenant chacune plusieurs chapitres et sous chapitres eux-mêmes subdivisés en paragraphes et sous paragraphes. Il en résulte un sommaire qui s’étale sur 17 pages dont la seule lecture permet déjà de bien appréhender la teneur et même les principaux enseignements tirés de cette vaste enquête.

3.1 – Première partie.

Elle est intitulée « un système complexe tiraillé entre souveraineté Europe et marché » ce qui en résume bien la teneur. Le rapporteur s’attache d’abord à montrer que la politique énergétique d’un pays membre de l’union européenne doit rester un choix souverain conformément aux principes édictés dans le traité de fonctionnement de l’Union européenne (principe de subsidiarité). Dans le domaine spécifique de l’énergie nucléaire, il rappelle l’existence du traité Euratom et la mise en place plus récente (février 2023) de l’Alliance européenne du nucléaire, à l’initiative de la France, qui visent à encadrer et à renforcer une coopération européenne dans ce domaine. Le rapporteur souligne à cet égard le faible niveau des financements européens consacrés à l’innovation dans le domaine des réacteurs nucléaires[1]. Il estime par ailleurs que les obligations exigées pour notre pays en matière de réduction de gaz à effet de serre et de développement des énergies renouvelables sont disproportionnés, notamment du fait que la trajectoire de décarbonisation ne prend pas en compte le niveau de départ de la France par rapport au mix d’autres pays européens et qu’ils ignorent la structure du mix électrique de la France (qui, est déjà fortement décarboné, grâce à l’énergie nucléaire).

Le titre du deuxième chapitre de cette première partie résume bien à lui seul son contenu : « Règles européenne : de l’hostilité au nucléaire à la quasi-neutralité technologique ». Le rapporteur souligne à cet égard que le nucléaire n’est plus tout à fait un sujet tabou à Bruxelles. Selon la COMMISSION, il ne doit plus être exclu des programmes de financement de l’Union européenne et il ne doit pas être considéré comme une énergie de transition non durable. Il doit au contraire devenir une technologie stratégique pour l’Union européenne et à ce titre, il doit être intégré explicitement dans les programmes comme d’intérêt commun européen jugés importants.

Dans le troisième chapitre, le rapporteur dresse un état des lieux de la stratégie nationale en matière d’électricité. Il déplore le manque de cohérence entre les textes existants et constatent que certains d’entre eux sont même obsolètes. Il en déduit « l’absolue nécessité d’une programmation de long terme sur le monde sur l’énergie ».

Le quatrième chapitre est consacré à l’analyse des marchés de l’électricité. On pourrait le résumer en reprenant les termes du titre : des imperfections rédhibitoires qui nécessiterait une réforme. Le rapporteur y dénonce successivement : les déficiences des marché de gros, une organisation hybride qui a circonscrit l’ouverture à la concurrence, l’ARENH[2], dispositif qualifié de « baroque » qui déresponsabilise les fournisseurs. Il constate d’ailleurs que ce mécanisme insolite a donné lieu à des fraudes et des détournements inacceptables qui méritent des sanctions exemplaires. Le rapporteur analyse ensuite la question du « soutien massif » aux développement des énergies renouvelables via le système d’obligation d’achat par EDF ou de complément de rémunération financés par des taxes spécifiques sur les ventes d’électricité aux consommateurs (nous y revenons dans la partie 3.4). Il évalue ainsi le coût de ces aides directes ou indirectes à 44 milliards d’euros de soutien public apportés aux énergies renouvelables électriques en vingt ans[3]! A l’issue de cette analyse, le rapporteur considère qu’il est nécessaire de procéder à un recentrage sur l’objectif de sécurité d’approvisionnement en instaurant un véritable marché de capacité (moins pénalisant pour le nucléaire). Pour ce qui concerne les marchés de détail, il juge que les fournisseurs sont rarement des producteurs d’électricité et qu’ils n’offrent donc pas assez de protection et de stabilité des prix aux consommateurs. Globalement, il constate que jusqu’à la crise, les ménages français à l’instar des entreprises, payaient leur électricité moins chère qu’ailleurs en Europe, même si cet avantage comparatif avait tendance à s’effriter. Il constate qu’aujourd’hui que les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVe) sont de plus en plus exposés aux aléas des marchés qui dépendent notamment de l’arrêt ou du démarrage des divers moyens de production d’électricité selon le principe du « merit order[4] ».

Pour conclure cette première partie, le rapporteur expose toutes les insuffisances du système énergétique actuel identifiées par les membres de la COMMISSION et qui ont intensifié chez nous la crise des prix de l’énergie. Il explique entre autre pourquoi la hausse inédite des prix du gaz s’est répercutée sur les prix de gros de l’électricité et finalement sur les prix payés par les consommateurs alors que dans notre pays 80 % de l’électricité est produite en moyenne par de l’énergie nucléaire et hydraulique. Il déplore par ailleurs le coût extrêmement élevé des mesures exceptionnelles de soutien aux consommateurs visant à atténuer les effets de ces hausses. A cet égard, il rappelle que son montant cumulé depuis 2021 a été évalué à 44 milliards d’euros par la cour des comptes (page 184 du rapport). Il énonce ensuite les réformes dans l’organisation des marchés européens qui paraissent indispensables pour remédier à ces déficiences. Les propositions faites par la COMMISSION sont multiples et certaines d’entre elles se situent dans le prolongement des réformes proposées par la Commission européenne (finalement adoptées en décembre 2023), sur l’insistance de pays comme la France. Il est proposé par exemple de déployer deux outils de financement : les « Power Purchase Agreements »[5], et les contrats pour différence bidirectionnels[6], lesquels peuvent couvrir l’ensemble des énergies bas-carbone, y compris le nucléaire. Il est également proposé une série de mesures qui visent à mieux intégrer les énergies non fossiles (dont évidemment le nucléaire) dans le système électrique. Parmi ces meures, citons ici la définition d’un objectif national de flexibilité des énergies non fossile, une rationalisation des mécanismes de capacité, de nouvelles obligations imposées aux fournisseurs, l’encadrement des déconnexions des consommateurs vulnérables, et enfin un encouragement à l’autoconsommation et au partage d’énergie.

3.2 – Deuxième partie.

Elle présente une analyse assez critique de la stratégie en matière d’électricité, déclinées au travers de textes insuffisamment coordonnés et pour certains obsolètes.

Le rapporteur se livre d’abord à une rétrospective de la consommation d’électricité en France. Il constate que le rythme de croissance de celle-ci s’est très nettement ralenti depuis le début des années 2000 et qu’elle est même stagnante depuis une quinzaine d’années dans les trois secteurs de l’économie que sont le résidentiel, le tertiaire et l’industrie (voir figure page 200). Il relève par ailleurs que ces tendances sont les mêmes pour les principaux pays voisins. Un chapitre spécial est consacré à la Corse et aux territoires non métropolitains, car ils font face à des enjeux spécifiques.

Le rapporteur présente alors une analyse des émissions de gaz à effet de serre (essentiellement du CO2) pour en arriver au constat que tout le monde connaît (sauf les sourds et les aveugles !), à savoir que le système électrique français est largement décarboné, grâce au nucléaire. Le rapporteur développe ensuite les aspects économiques pour montrer que d’une façon générale que l’énergie est bien le sang de l’économie et le moteur principal de notre croissance. Il s’ensuit logiquement un examen des différents scénarios de consommation électrique d’ici à 2030 puis à 2050 en partant d’une rétrospective des prévisions qui ont été faites sur les 50 dernières années. Cette période passée est découpée en deux temps : le temps de la gestion intégrée par EDF et le temps lié à la mise en place du gestionnaire de réseau, RTE, dont l’une des missions principales est d’élaborer cette prospective. Le premier constat du rapporteur est que les projections réalisées jusqu’à présent apparaissent systématiquement très au-delà de la réalité de la croissance observée de la demande. Mais depuis 2017, RTE a changé d’approche en se basant sur des scénarios liés aux objectifs en matière de décarbonation et de réindustrialisation. Il rapporte ensuite les résultats obtenus par différents organismes tels que les producteur d’énergie (EDF, ENGIE, TOTAL énergie), agences nationales ou institutions étatiques (ADEME, CEREME, Académies), association et fondations (Négawatt, Concorde, voix du nucléaire). Selon le rapporteur, ces comparaisons montent que les travaux réalisés par RTE s’avèrent sans équivalent (« exercice ampleur sans précédent » selon le rapport, page 272) et cet avis est d’ailleurs partagé par la plupart des experts entendus par la COMMISSION qui considèrent que RTE a réalisé l’exercice de modélisation le plus complet d’Europe. Cette étude conduit également à une certaine forme de consensus entre les parties prenantes qui dépassent ainsi les clivages politiques voir idéologiques qui existent entre certains acteurs.

On trouve dans le rapport (page 301) un tableau très instructif qui présente une synthèse de toutes ces études. A l’issue de cette analyse, la COMMISSION relève des points de convergences tels que la baisse importante de consommation d’énergie prévue à l’horizon 2050 (45 % – 60 %) due aux effets combinés des politiques d’efficacité et de sobriété. Tous les scénarios anticipent néanmoins un accroissement substantiel du vecteur électrique (entre 40 et 60 % du total de la consommation d’énergie).

Le fait d’avoir cerné les grandes évolutions de l’exercice de prévisions/projections, ainsi que la mise en regard sur le temps long des biais traditionnels de cet exercice, conduit la COMMISSION à proposer une approche qu’elle estime raisonnable et réaliste et qui repose sur la poursuite des dynamiques d’efficacité et de sobriété. Pour l’horizon 2035, le rapporteur retient ainsi la fourchette basse de la trajectoire de référence du Bilan prévisionnel 2023 de RTE, soit un niveau de consommation électrique situé entre 580 et 615 TWh. Rappelons à cet égard que la consommation d’électricité en France métropolitaine, corrigée de l’effet des aléas météorologiques et des variations de calendrier, a été de 445,7 TWh en 2023. Par ce choix, la commission d’enquête souligne la nécessité d’un basculement massif des usages vers l’électricité. Pour l’horizon 2050, la COMMISSION estime que la consommation d’électricité devrait tourner autour de 700 TWh, niveau envisagé par RTE dans le scénario médian réhaussé de la variante « électrification plus ». Le rapporteur présente alors une analyse fouillée de toutes les hypothèses qui sont prises pour étayer ces prévisions, tant au niveau des moyens de production en y incluant les progrès envisageables en matière d’efficacité énergétique, qu’au niveau des différents secteurs de consommation en tenant compte de toutes les sources possibles d’économie d’énergie.

3.3 – Troisième partie.

Elle traite des moyens à mettre en œuvre pour rassurer les besoins électriques de la France les horizons 2035 et 2050. Le rapport apporte d’abord tous les éléments factuels qui montrent que le mix électrique français est largement décarboné grâce à l’apport dominant de son parc de production nucléaire jugé largement compétitif. Le rapporteur alerte cependant sur les investissements colossaux qu’il va falloir consentir en raison de l’ancienneté des réseaux, de l’électrification des usages et de la dispersion des moyens de production intermittents : il avance le chiffre de 200 milliards d’euros à investir d’ici à 2040, répartis à parts à peu près égales entre les réseaux de transport et de distribution. A cet égard, il s’interroge sur les conditions de financement d’Enedis et de RTE et sur leurs incidences sur le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (TURPE).

Pour ce qui concerne la sécurité et la résilience de nos approvisionnements la COMMISSION estime nécessaire de définir un cadre normatif plus précis compatible avec les critères européens dans ce domaine et les évolutions probables de son système de production qui devra intégrer une part croissante d’énergie produite de façon intermittente (essentiellement d’origine éolienne) au niveau français mais aussi au niveau de la plaque européenne. Pour faire face à ces défis, il estime que la recherche de la flexibilité de la demande doit être une priorité dès maintenant en renforçant des moyens actuels, tels que les effacements (avec le mécanisme de Notification d’échange de blocs d’effacement, le NEBEF), ou la tarification ainsi que mécanismes de rémunération du pilotage de la demande.

Les possibilités offertes par les techniques de stockage massif d’électricité sont également examinées dans le rapport avec, en premier lieu les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) qui représentent aujourd’hui une puissance de 5 GW installés et en deuxième lieu l’utilisation du vecteur hydrogène comme moyen de stockage de l’électricité. Pour ce qui concerne les STEP le rapporteur a pu constater que leur développement est aujourd’hui paralysé par le contentieux sur les concessions hydroélectriques et la fragilité de leur modèle économique. Quant à l’hydrogène, il considère qu’il présente à ce jour d’importantes incertitudes tant sur les plans technologiques qu’économiques. Il constate en effet que les solutions envisagées aujourd’hui sont très loin du seuil de maturité technique, que leur efficacité est à ce stade est très limitée, que leurs coûts risquent d’être prohibitifs[7].

Le troisième chapitre est consacré au développement du nucléaire avec celui des énergies renouvelables intermittentes. Pour ce qui concerne le nucléaire la COMMSSION se prononce clairement en faveur de la prolongation du fonctionnement du parc actuel de réacteurs nucléaires au-delà de 40 ans qui est déjà engagée. Le rapporteur analyse les causes de la dégradation récente de ses performances : travaux de maintenance exceptionnels dans le cadre du programme de grand carénage, perte d’expérience liée au renouvellement générationnel et des pénuries de main d’œuvre dans des secteurs clés, crise de la corrosion sous contrainte, tensions sur la ressource en eau qui génèrent des indisponibilités faibles mais croissantes pour le parc nucléaire. La COMMISSION appelle de ses vœux à un redressement de la performance du parc nucléaire qui, selon elle, conditionne notre avenir énergétique à court et moyen terme. Elle s’interroge également sur les conséquences néfastes de la modulation de puissance contraintes du fait de la priorité d’accès au réseau des énergies éoliennes terrestres et maritimes, qui est une spécificité française. Elle encourage enfin l’augmentation de la puissance des centrales (au moins pour réacteurs de 900 MW) ainsi que l’optimisation de la durée des arrêts de tranches pour maintenance et de la durée des cycles de production. Pour ce qui concerne l’hydroélectricité, la COMMISSION considère comme une « nécessité urgente » le règlement du conflit historique avec la Commission européenne lié au régime des concessions. Le rapporteur expose les différentes pistes étudiées actuellement par la France pour proposer des solutions alternatives à la mise concurrence directe qu’elle refuse, exigé par la commission européenne mais que la France refuse, mais elle se heurte à l’intransigeance du commissaire européen en charge de la concurrence. Dans ces conditions, la COMMISSION ne peut que souhaiter le règlement de cet affrontement qui s’éternise.

Le rapporteur revient ensuite sur le mix de production électrique tel qu’il est envisagé aujourd’hui aux horizons 2035 puis 2050 et au-delà. C’est l’occasion pour le rapporteur d’analyser les différents aspects de cette problématique qui est axée autour du meilleur à trouver entre le nucléaire et l’éolien. A cet égard, les membres de la COMMISSION jugent que les objectifs sectoriels de la programmation pluriannuelle de l’énergie doivent être révisés. Ils considèrent également que le développent l’éolien en mer est un pari à haut risque. D’une façon générale la COMMISSION estime que les filières d’énergies renouvelables font face à plusieurs défis, qu’elle scinde en trois catégories : la faiblesse des filières industrielles françaises et européennes dans le secteur de la fabrication de composants et d’équipement (panneaux solaires), l’acceptabilité sociale des projets, en particulier pour l’éolien terrestre et en mer, en raison de leurs nuisances visuelles ou sonores, et de leur impact sur les paysages et la biodiversité et enfin les très longs délais d’instruction et de réalisation des projets d’installations de production électrique qui ne sont pas conciliables avec l’atteinte d’objectifs ambitieux en la matière.

Le reste de cette troisième partie du rapport (page 517 à 701, soit 184 pages) est consacré à l’énergie nucléaire pour laquelle trois périodes sont considérées :  

  1. Période allant jusqu’à 2035 (donc le court terme)
  2. Période allant jusqu’à 2050 (moyen terme)
  3. Période située dans la deuxième moitié de ce siècle avec les réacteurs de quatrième génération.

On peut très schématiquement en retenir les quelques idées forces suivantes qui ont été émises par la COMMISSION.

  • Pour le court terme la priorité est dans la poursuite du programme de grand carénage pour prolonger le fonctionnement du parc nucléaire historique et aligner son niveau de sûreté sur les exigences les plus récentes. Mais ce programme doit s’accompagner d’une optimisation de sa performance quelle juge sévèrement en la qualifiant par l’expression « en berne », notamment en raison de la dégradation persistante du facteur de charge du parc nucléaire. Le rapporteur en explicite les raisons : des travaux de maintenance exceptionnels dans le cadre du programme de grand carénage, une perte d’expérience liée au renouvellement générationnel et des pénuries de main d’œuvre dans des secteurs clés, la crise de la corrosion sous contrainte (survenance du « défaut générique » tant redouté), les tensions sur la ressource en eau qui ont généré « des indisponibilités faibles mais croissantes pour le parc nucléaire ». La COMMISSION appelle donc à un « rebond » de la performance du parc nucléaire qui conditionne selon elle notre avenir énergétique à court et moyen terme. Elle s’interroge également sur les contraintes liées aux modulations de puissance qui sont une spécificité française. Elle souhaite par ailleurs que l’augmentation de la puissance des centrales soit menée à bien, au moins pour les réacteurs de 900 MW. Enfin la COMMISSION considère qu’il est impératif d’optimiser la durée des arrêts de réacteurs pour maintenance tout en augmentant la durée des cycles de production.
  • Pour le moyen terme, la COMMISSSION commence par porter un jugement sévère sur le passé, en fustigeant « des positions et des déclarations des autorités publiques, jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État, qui n’ont eu de cesse de dénigrer ce qui constituait pourtant un atout national majeur ». Et d’ajouter « La filière nucléaire française, qui a fait la fierté du pays et contribué à son rayonnement, est malheureusement sortie extrêmement abîmée par plusieurs décennies de « nucléaire honteux » ou encore que « des segments majeurs de la filière se trouvent sinistrés». De ce fait, la filière nucléaire se remet difficilement en ordre de marche. Pour assurer son développement à moyen terme, la COMMSSION estime qu’il est nécessaire de prolonger la durée de vie du parc culturel historique au-delà de 60 ans et qu’en parallèle il convient de construire un nouveau parc nucléaire dans des conditions économiques optimisées. Elle souligne par ailleurs le fait que les usines de retraitement des combustibles usés le recyclage des matières valorisables (uranium et plutonium) nécessitent un « grand carénage » et la construction de nouvelles installations à horizon 2050.
  • Pour le long terme, la COMMISSION se prononce clairement pour la relance urgente d’un programme sur les réacteurs nucléaires surgénérateurs. Elle est en cela parfaitement en phase avec ce que nous défendons dans le livre que nous avons publié sur sujet[8]. Nous avions d’ailleurs été auditionné au Sénat par un conseiller en charge de superviser le contenu du rapport, afin de lui faire élucider certains aspects techniques liés au cycle du combustible et à la gestion des déchets. Le rapport traite notamment de la question fondamentale de la limite des ressources en uranium naturel au regard de la demande future d’énergie nucléaire et des coûts de son extraction. Les différentes hypothèses et scénarios qui sont présentés dans la rapport aboutissent tous à la conclusion analogue à laquelle nous arrivons, à savoir que l’on s’achemine inéluctablement vers une raréfaction des ressources exploitables au tournant de ce siècle, pouvant aller jusqu’à remettre en cause la viabilité même de l’énergie nucléaire à cette échéance. S’ajoutent à cela les tensions géopolitiques sans doute durables qui peuvent menacer la disponibilité pour l’Occident des ressources en uranium. Malgré cela, le rapporteur indique que l’existence de ces risques reste encore largement un non-dit. En effet, les membres de la COMMISSION ont constaté lors de leurs auditions les propos très prudents de nombreux acteurs sur ce sujet, qui ne peuvent s’expliquer que par « l’impérieuse nécessité » de ne pas donner l’impression de remettre en cause le programme du nouveau nucléaire, tel qu’il est engagé aujourd’hui avec la construction d’un parc d’EPR2. Pour ce qui concerne le cycle du combustible, le rapporteur examine l’intérêt soudain affiché par le CEA pour le multirecyclage du plutonium en REP (MRREP), qui est largement issu de l’arrêt du programme ASTRID. Leur diagnostic est que le MRREP est une technologie non mâture dont les atouts semblent limités, présentée comme une solution d’attente pour les RNR mais qui est en réalité incompatible avec leur déploiement (nous en avons apporté les preuves lors de notre audition).

La conclusion générale de cette troisième partie du rapport est sans ambiguïté :

Pour préparer la relève des EPR à l’horizon 2050, il faut investir rapidement et massivement dans les réacteurs à neutrons rapides

 

3.4 – Quatrième partie.

Cette dernière partie est nettement plus courte que les trois précédente, mais elle traite de l’un des objectifs premiers de cette commission d’enquête : les prix de l’électricité.

Dans le premier chapitre, on trouve un examen détaillé des raisons pour lesquelles la COMMISSION émet de grandes réserves sur le système actuel de tarification de l’électricité. Elle déplore tout d’abord le caractère « opaque » des négociations qui ont été menées en 2023 entre EDF et l’état sur la tarification de l’électricité. Elle estime que dans l’accord signé en novembre, le Gouvernement a délibérément choisi de faire primer le désendettement d’EDF sur l’intérêt des consommateurs. Il s’agit en fait d’un document sans effet juridique, et sans engagement contraignant pour EDF, qui prévoit un mécanisme de prélèvement conditionnel d’une partie des revenus d’EDF reversée aux consommateurs dans des conditions floues. Pour la COMMISSION, le mécanisme de tarification prévu pour contribuer à financer le programme de nouveau nucléaire se traduit par un renchérissement des coûts complets du parc nucléaire. Par ailleurs, les principes de redistribution sont formulés de façon « extrêmement vague ». D’une façon générale, le système de tarification est jugé très complexe et dépourvu de visibilité, et il pourrait en outre créer des distorsions de concurrence. Il expose ainsi les consommateurs au marché et compromet les ambitions de réindustrialisation et de décarbonation du pays. Il pourrait également fragiliser l’ambition de développer les contrats de moyen et long terme, dont la mise en œuvre s’avère très laborieuse. D’ailleurs, les contrats de moyen-terme vendus ne concernent qu’une infime partie de la production d’EDF et les industriels ne s’empressent pas de signer de contrats de long terme.

Le deuxième chapitre de cette dernière partie est consacré aux contrats à long terme réservés aux entreprises électro intensives. La COMMISSION considère qu’ils doivent être optimisés pour assurer la compétitivité de l’économie, notamment via un partage des risques dont il faut affiner les modalités.

Le troisième chapitre est dédié aux CFD[9]. La COMMISSION recommande sur ce point de mettre en place un système spécifique pour notre parc nucléaire afin de protéger EDF et les consommateurs des fluctuations erratiques des marchés. Elle propose pour cela un prix qui serait situé à 60 et 65 €/MWh.

Le quatrième et dernier chapitre traite d’un sujet particulièrement actuel qui est celui de la fiscalité appliquée à l’électricité. Sans surprise, la COMMISSION plaide pour une réduction des taxes qui représentent aujourd’hui 35 % de son prix final payé par le consommateur et qui ne comportent pas moins de cinq rubriques de prélèvement (voir détails en page 749). Elle constate qu’entre 2007 et 2020, cette fiscalité a augmenté de 130 %, soit plus de 36 euros par MWh alors que la composante hors taxe de la facture n’a progressé « que » de 44 %. On notera au passage que cette forte hausse tient essentiellement à l’augmentation de l’ancienne contribution au service public de l’électricité (CSPE), en lien avec le coût du soutien public aux énergies d’origine essentiellement éoliennes, à laquelle a succédé la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) » désormais appelée « accise sur l’électricité »[10]. À l’intérieur de cette composante hors taxe, sur cette même période, la part TURPE[11] a augmenté de 28 % (+ 11 euros par MWh) et la part fourniture d’électricité de 22 % (+ 10 euros par MWh).

CONCLUSION GENERALE

On peut regretter le caractère un peu touffu de la structure du rapport dont le volume (821 pages) est susceptible de décourager certains lecteurs désireux d’en prendre connaissance, même de façon superficielle. Chacune des quatre grandes parties est divisé, comme on l’a dit au début, en un enchevêtrement de sous parties, chapitres, sous chapitres et alinéas qui forment une sorte de labyrinthe au travers desquels il est difficile de se retrouver.

Cela étant, on ne peut que saluer ce travail d’investigation remarquable de la COMMISSION et la richesse de son rapport qui extrêmement bien documenté et qui s’appuie sur des sources d’information d’une grande fiabilité. Il nous semble donc que ce rapport peut constituer une référence pour des décideurs, politiciens, spécialistes, universitaires, enseignants et même pour des communicants soucieux de bien exercer leur métier qui est d’informer sans déformer. Il vient en complément du rapport de l’Assemblée nationale publié en mars 2023, issu de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, à la suite d’un travail d’investigation d’une ampleur comparable. Ces commissions d’enquête, en grande partie dépolitisées, contribuent à redorer le blason de notre représentation nationale dont l’image s’est beaucoup dégradée ces derniers temps. Mais il reste encore beaucoup de travail.  

[1] Lesquels sont d’ailleurs presque masqués au sein de sous programmes étiquetés sous une rubrique sûreté ou radioprotection ou même de recherche et de formation

[2] ARENH signifie « Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique ». C’est un dispositif qui permet aux « fournisseurs d’électricité alternatifs » (donc aux concurrents d’EDF) d’obtenir à un prix régulé (42 €/MWh) une partie (25 %) de l’électricité nucléaire produite par EDF. Ce dispositif à été instauré en 2010 (loi NOME)   

[3] C’est presque autant que le budget annuel de la défense nationale !

[4] Ce principe repose sur un coût marginal de production croissant. Le coût marginal est le coût de production d’une unité supplémentaire d’électricité indépendamment des frais fixes (amortissements, coûts fixes d’entretien et d’exploitation, etc.). Ce coût marginal correspond donc largement au coût du combustible nécessaire pour produire cette unité supplémentaire d’électricité. Le graphique présenté page 111 du rapport illustre le classement des différents moyens de production d’électricité par merit-order qui sont dans l’ordre croissant : hydraulique, nucléaire, charbon, lignite, TGV (turbine gaz-vapeur)

[5] Ce sont des contrats de livraison d’électricité conclus à long terme entre deux parties, généralement un producteur et un acheteur d’électricité (consommateur ou négociant). Ces contrats fixent en détail toutes les conditions de la vente de l’électricité : la quantité d’électricité à livrer, les prix négociés, la méthode de comptabilisation et les pénalités en cas de non-respect du contrat (https://www.centrales-next.fr/glossaire-energies-renouvelables/ppa).

[6]  C’est un accord juridiquement exécutoire qui crée, définit et régit les droits et les obligations mutuels entre un acheteur et un vendeur stipulant que l’acheteur paiera pour le vendeur la différence entre la valeur actuelle d’un actif et sa valeur au moment du contrat.

[7] Ce constat est d’ailleurs analogue à celui qui est fait par L’Académie des sciences dans son récent rapport dédié à l’hydrogène, publié le 9 avril 2024. Ce rapport souligne en outre les questions de sécurité soulevées par l’utilisation de l’hydrogène qui pour les membre signataires du rapport sont majeures

[8] Les réacteurs nucléaires surgénérateurs : pourquoi ? comment ? Quand ? Plaidoyer pour un avenir durable et durable et propre » – Dominique GRENECHE

[9] Les CFD (« contrats pour la différence ») sont des produits financiers qui permettent de parier sur les variations à la hausse ou à la baisse d’un « actif sous-jacent » sans jamais le détenir (voir plus de détails sur wikipedia.org/wiki/Contrat_de_diffrence)

[10] Les droits d’accises sont des impôts indirects sur l’utilisation ou la vente de certaines catégories de produits, comme l’électricité. Ces droits sont codifiés et régis par des directives communautaires et le Code général des impôts.

[11] Le TURPE (Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Électricité) constitue la part de la tarification électrique destinée à couvrir les charges des gestionnaires des réseaux publics de transport (RTE) et de distribution (Enedis et entreprises locales de distribution).

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Docteur en physique nucléaire, expert international

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