Création de l’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection : les défis immédiats posés par la loi de fusion de l’ASN et de l’IRSN
Beaucoup se sont mobilisés depuis 14 mois pour convaincre que fusionner ASN et IRSN n’était pas une démarche sans dangers sur différents plans. Il faudra faire un vrai « retour d’expérience » pour comprendre les raisons de l’échec global de ces actions : pourquoi en particulier n’ont elles pu contredire l’idée très fausse que les oppositions à cette réforme partaient de convictions antinucléaires ? Les expressions utilisées dans cette période ont certes évité les polémiques mais n’étaient-elles pas trop modérées pour alerter correctement le public et les parlementaires ? Cette séquence a eu à l’IRSN une dimension mobilisatrice de « team building » mais elle débouche sur une nouvelle gouvernance dont les fragilités mises en évidence au cours des débats pourraient être redoutables si, avant de les avoir corrigées, le pays devait faire face à de nouveaux évènements comme Tchernobyl, Fukushima ou Epinal, où qu’ils puissent se produire. Et aussi si l’instruction des dossiers du nouveau nucléaire en France, de CIGEO et du parc existant devenait un parcours du combattant semé d’embûches.
En tout état de cause, la loi ayant été votée le 9 avril 2024, que faire ?
Certains voudraient demander au Conseil Constitutionnel l’annulation de la disposition malencontreuse qui prive d’indemnités de licenciement ceux qui refuseraient les nouvelles perspectives de leur contrat de travail mais, quoi qu’il en soit, il est vraisemblable que les propositions renforcées des employeurs du secteur vont conduire à des départs de personnels actuels de l’IRSN et de l’ASN. Il sera important de remplacer au plus vite leurs capacités, à un moment où la compétitivité des statuts et parcours est fragile avant même l’engagement de la relance du nucléaire décidée en février 2022. Il est urgent qu’une vision pluriannuelle soit débattue et approuvée par le Parlement pour arrêter l’érosion et convaincre de la pertinence durable des carrières offertes : ce pourrait être l’objet d’initiatives fortes de l’OPECST ou des Commissions de l’Assemblée et du Sénat.
J’ai pour ma part tenu à alerter sur l’importance de la recherche. Dans des domaines comme la sûreté et la radioprotection, la recherche doit remplir deux fonctions essentielles : d’une part produire les connaissances immédiatement nécessaires à l’expertise et d’autre part constituer une fabrique des « experts de demain ». La reconnaissance de cette double finalité a surmonté plus facilement que ce que j’anticipais la suspicion que la recherche serait forcément source de surenchères sécuritaires : je m’en réjouis mais d’autres dangers sont redoutables. D’abord la tentation classique en période de tension sur les ressources d’utiliser les activités de recherche comme un gisement d’économies par simple report de projets. Ensuite parce que la fusion dans une « autorité administrative » a forcément des conséquences pour les actions de recherche qui ne seront pas externalisées : il faudra trouver le moyen de créer une vraie cohabitation entre des « codes génétiques » très différents par exemple sur la coconstruction, la validation et la publication des travaux. Il me semble que la réussite de la fusion dépendra en particulier de la capacité à mettre en œuvre rapidement un chainage recherche/formation/cofinancements/déontologie : on a vu sur le dossier « dosimétrie » les dégâts que peut faire une réflexion insuffisante sur la gestion des conflits d’intérêts, réels ou supposés. Il est clair que le bon développement de la recherche à l’ASNR va exiger de préserver la capacité de coconstruire et de cofinancer avec des partenaires de toute nature, entités publiques ou entreprises, françaises ou étrangères. Cette capacité devra reposer sur l’explicitation des synergies et « barrières de Chine » entre les différentes fonctions, celles qui ont par nature vocation à rechercher des ressources extérieures et les fonctions régaliennes que l’Etat doit financer à 100%. Il s’agit d’une nécessité nouvelle après la suppression du dualisme « ASN – IRSN » : d’où l’urgence à recréer dans la nouvelle ASNR une « commission de déontologie » puissante et respectée, indispensable pour préserver la « recherche » et éviter la tentation de la dérive vers « l’objectif d’un financement 100% Etat » avec abandon progressif d’une logique d’expertise technique des propositions des porteurs de projet au profit des approches principalement axées sur la vérification de la conformité à des règles préétablies.
La fusion va imposer une autre exigence : mieux expliciter la dimension d’arbitrage « coûts-bénéfices » des décisions. Jusqu’à présent, cette responsabilité incombait essentiellement à l’ASN, l’analyse de l’IRSN des questions de radioprotection et de sûreté se focalisant sur l’évaluation scientifique ou technique, qu’il s’agisse du domaine énergétique, industriel ou médical. Après la fusion, il conviendra de bien préserver et valoriser cette fonction d’arbitrage, en écartant la tentation de présentations réduites à la faisabilité ou l’impossibilité technique, avec l’impasse absolue de la prétention au « risque nul ».
Les calendriers imposés par la loi du 10 avril et par les lois de finances nécessitent de répondre d’urgence à ces différents enjeux : la fusion qui vient d’être actée par la loi impose l’engagement immédiat de chantiers lourds qui n’ont sans doute pas été suffisamment anticipés.
Ingénieur général des mines et ancien délégué aux risques majeurs
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Philippe Vesseronhttps://lepontdesidees.fr/author/pvesseronauteur/
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