Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Electricité : cinq urgences

Il y a vingt ans, on m’expliquait que les réacteurs nucléaires en France avaient été conçus pour fonctionner 40 ans et que l’EPR allait avoir un prix de revient excellent grâce à son meilleur taux de disponibilité lié à la redondance des systèmes. Et qu’il fallait arrêter avant terme des réacteurs existants pour les remplacer par des EPR ou des éoliennes dans le but d’éviter le redoutable “effet falaise”, héritage du calendrier serré de réalisation du parc nucléaire standardisé dans les années 1980. En 2022 a fortiori, tout ceci est à réévaluer !  La faute de raisonnement principale était de faire les comparaisons (en euros ou en contenu CO2) sans tenir compte du fait que le réinvestissement nécessaire sur une unité existante est très inférieur aux coûts de machines neuves, quelles qu’elles soient.

On me disait aussi qu’il serait bon que la rénovation des habitations supprime le chauffage électrique parce que dans les conventions, compté en énergie primaire, le MWh électrique pèse 2,58 fois plus lourd que le MWh gaz…

Aujourd’hui, prix du gaz et taux d’intérêt explosent partout et en plus, pour l’électricité, la France a besoin de moyens de production pilotables …

Je voudrais soumettre à la discussion des propositions – en nombre limité parce qu’il y a urgence :

– mobiliser EDF et ses sous-traitants pour remettre en marche au plus vite les réacteurs arrêtés, quitte à autoriser les entreprises concernées à des dispositions exceptionnelles en matière d’horaires de travail, de rémunération, etc.

– vérifier l’équipement en groupes électrogènes de secours des consommateurs sensibles

– arrêter d’arrêter aucun barrage hydroélectrique: ça fait de l’électricité pilotable bon marché et régule les crues et les sécheresses. Le retour à l’état de nature peut certainement attendre une décennie de plus et l’urgence actuelle est l’économie et le social, non le communiqué de presse sympathique

– accélérer le “carénage” de tous les réacteurs existants et affirmer que son objectif est un fonctionnement de chacun sur 60 ou 80 ans comme c’est maintenant le cas aux USA, l’ASN pouvant à tout moment en prescrire l’arrêt temporaire ou définitif

– poursuivre la commande lancée de nouveaux EPR et la réalisation des ENR déjà engagées : si par miracle cela conduisait à une surcapacité, on reprendrait les exportations d’électricité comme auparavant… Tout donne à penser que la valorisation de ces exportations sera rémunératrice – sauf si la Commission Européenne introduisait d’ici là un mécanisme antiéconomique.

Bref, il est frappant de noter que bien peu des options sont clairement chiffrées en euros ou en CO2

Pour conclure, puisque nous sommes à l’aube d’une crise sans doute plus grave que celles de 2007-2008, ma recommandation principale est de réinvestir fortement dans la formation technique, économique et politique, d’envoyer des jeunes Français passer un an sur un autre continent, de nous forcer à donner à chacun le moyen de former son propre jugement.

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Ingénieur général des mines et ancien délégué aux risques majeurs

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Réponses

  1. Ne faudrait il pas d’abord se libérer d’un faisceau de contraintes relevant souvent plus de l’idéologie que de la stricte nécessité ? Il est clair que les moyens pour remettre à niveau vigoureusement notre parc et pour faire de nouveaux investissements ne tomberont pas du ciel. Il est clair aussi que de nombreuses compétences sont rares, et cela va de l’individu capable de piloter un grand projet jusqu’au soudeur virtuose. Mais s’est on donné la peine d’inventorier toutes ces compétences et de se demander si certains fronts ne pourraient pas être dégarnis au profit d’autres ? Nos méga projets d’éoliennes monopolisent des quantités de compétences (et des milliers de tonnes de béton, des moteurs consommateurs de métaux rares…), ne seraient elles pas mieux utilisées ailleurs ? L’industrie automobile réorientée vers l’électrique monopolise forcément des spécialistes pas très différents de ceux qui travaillent sur des turbines électriques etc…
    Enfin peut être pourrait on aussi solliciter un peu plus les compétences rares en les payant mieux, en les dégageant de taches annexes envahissantes et en levant des contraintes sans doute excessives (je pense aux doses que ne doivent pas dépasser les soudeurs).
    Et si l’on essaie de voir un peu plus loin que le seul nucléaire, on peut se demander s’il n’est pas temps de faire revenir à l’industrie et à la technique des compétences qui se sont égarées vers des taches annexes (que l’on regarde par exemple le ratio technicien/administratif dans les grandes entreprises privées ou publiques).