Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Face aux tensions en Ukraine, les enjeux géopolitiques et énergétiques en Méditerranée et en Afrique

La crise ukrainienne préfigure d’importantes mutations dans les relations internationales, militaires, sécuritaires, politiques, culturelles et économiques, notamment au niveau de la région méditerranéenne via l’Afrique, où la crise actuelle a des impacts sur le cours du pétrole/gaz, mais également sur la sécurité alimentaire dont la Russie et l’Ukraine représentent en 2021 30% des exportations mondiales. 

1.-Tensions géostratégiques en Ukraine et impacts sur la chaine des valeurs

1.1.-Quels sont les 10 grands pays possédant les plus importantes réserves de pétrole et de gaz dans le monde et quels sont les 10 premiers pays d’Afrique ? Pour le pétrole traditionnel, les réserves prouvées, nous avons par ordre décroissant : le Venezuela 299 milliards de barils, l’Arabie Saoudite 266, l’Iran 157, l’Irak 143, le Koweït, 97, la Russie 80, la Libye 48, le Nigeria 37, et les USA 36. Pour le gaz par ordre décroissant nous avons la Russie 37400 milliards de mètres cubes gazeux traditionnels, l’Iran 32100, le Qatar 24100, le Turkménistan 13600, les USA 12300, la Chine 8400, le Venezuela 6300, l’Arabie Saoudite 6000, les Emiraties 5900 et le Nigeria 5500, l’Algérie 2500. Pour les 10 premiers pays en Afrique, pour le pétrole traditionnel nous avons par ordre décroissant : la Libye 48,4 milliards de barils, le Nigeria 37,0, l’Algérie 12,2, l’Angola 7,8, l’Egypte 3,3, la République du Congo Brazzaville 2,9, l’Ouganda 2,5 et le Gabon 1,5.

Si le marché pétrolier est un marché mondial répondant aux mécanismes boursiers, le marché gazier est segmenté par régions, avec la domination des canalisations, depuis quelques années, nous assistons à la percée du GNL mais qui coûte plus cher, pouvant varier entre 20 à 30% en fonction de la distance. Selon le site planète énergie, en 2020, environ 380 méthaniers sillonnent les océans du monde entier. Ces navires gigantesques, longs de 200 à 350 m, et équipés d’une double coque, transportent jusqu’à 260 000 m3 de GNL. Ils sont capables de le maintenir à -160 °C tout au long des milliers de kilomètres qu’ils parcourent sur les océans. Principalement deux types de méthaniers sont actuellement en service : des méthaniers équipés de cuves sphériques en aluminium, ancrées à la coque du navire par une jupe en acier et recouvertes d’une isolation et des méthaniers à membrane, dont les cuves sont intégrées à la double coque du navire et en épousent les contours.

Selon les dernières données pour 2020, vingt pays exportent du gaz naturel liquéfié –GNL- dans le monde, dont 9 en Afrique et au Moyen-Orient, six pays exportant à eux seuls près des trois quarts des volumes de GNL transitant annuellement dans le monde, Plus de 70% de la demande mondiale de GNL provient d’Asie, les principaux pays importateurs étant le Japon, la Chine et la Corée du Sud, le transport du GNL par navire méthanier permettant de s’affranchir partiellement des contraintes géographiques et géopolitiques. L’Australie étant devenue en 2020 le principal exportateur mondial de GNL, devant le Qatar, avec la montée en puissance de nouveaux projets (comme Prelude FLNG). Six pays exportent à eux seuls près des trois quarts des volumes de GNL transitant annuellement dans le monde :l’Australie : 21,8% des exportations mondiales de GNL en 2020 (avec 77,8 millions de tonnes exportées) ; le Qatar : 21,7% (77,1 Mt) ; les États-Unis : 12,6% (44,8 Mt) ; la Russie : 8,3% (29,6 Mt) ; la Malaisie : 6,7% (23,85 Mt), le Nigéria : 5,8% (20,55 Mt) et les USA  ayant mis en service de nombreuses installations de liquéfaction depuis 2018 pour augmenter les exportations d’une partie de leur production de gaz de schiste. Mais n’oublions pas, omis souvent dans les statistiques internationales, le Mozambique abrite les plus grandes réserves des pays d’Afrique de l’Est, avec près de 5 000 milliards de mètres cubes. Soit presque autant que le Nigeria sur deux blocs offshore dans la province de Cabo Delg1.

Selon la société de conseil Enerdata, l’Union européenne est le troisième plus gros consommateur d’énergie du monde en volume, derrière la Chine et les Etats-Unis, la consommation énergétique primaire s’étant élevée à 1,3 milliard de tonnes d’équivalent pétrole en 2019 pour environ 447 millions d’habitants, contre 2,2 milliards aux Etats-Unis pour 333 millions d’habitants la même année. Plus de 70% de l’énergie disponible européenne est d’origine fossile : le pétrole (36%), le gaz (22%) et le charbon (11%) dominent ainsi les autres sources d’énergie, même si leur part dans le mix en Europe a diminué de 11 points depuis 1990. A l’inverse, les énergies renouvelables représentaient plus de 22% de la consommation finale d’énergie dans l’UE en 2020, contre 16% en 2012 avec une extrapolation de 50% horizon 2030. Selon Eurostat, les principaux fournisseurs de l’UE entre 2020/2021, étaient la Norvège (20 %), l’Algérie (11 %, d’autres), les Etats-Unis (6%) et le Qatar (4 %) et le plus grand fournisseur étant la Russie avec 46/47% avec des disparités pour le gaz russe : l’Allemagne (66%), l’Italie 45%, la Bulgarie (75%), la Slovaquie (85%), l’Estonie (93%) la Finlande (97,6%) ou encore la Lettonie et la République tchèque (100%), l’Italie (45%). D’autres pays sont moins dépendants comme les Pays Bas 26%, la France 17% grâce au nucléaire, l’Espagne 10%, et la Slovénie 9%. Selon certains experts de l’Union européenne, une diminution, voire un arrêt total, des livraisons de gaz russe serait fort dommageable pour de nombreux pays européens, les alternatives existant mais coûteuses existent avec un pic inflationniste dû à l’envolée des prix des produits énergétiques mais également de bon nombre de produits alimentaires dont la Russie et l’Ukraine sont de gros exportateurs pour le blé, 30% du marché mondial.

Cependant, malgré une intensification des échanges gaziers avec la Chine, comme le fameux gazoduc « Power of Siberia » environ 2000 km dont le coût provisoire, pour une capacité en 2022-2023 de 38 milliards de m3 par an, soit 9,5 % du gaz consommé en Chine et l’importance de ses réserves de change estimées par la banque centrale du 15 au 22 octobre 2021  à 621,6 milliards de dollars (dont une partie est gelée suite aux sanctions), cette situation a des retombées négatives sur la Russie, les exportations gazières vers l’Europe représentant à elles seules entre 15/20 % du PIB russe. Aussi, il faut être réaliste, étant utopique à court terme de substituer le gaz russe par d’autres partenaires pour l’Europe l’investissement hautement capitalistique étant lourd et à maturation très lente, malgré le gel du Stream2 d’une capacité de 55 milliards de mètres cubes gazeux d’un coût supérieur à 11 milliards de dollars qui constitue une perte sèche pour la Russie. A court terme, les Européens se tournent, paradoxe, vers d’autres pays pour leurs approvisionnements, les ennemis d’hier, sous la pression de la conjoncture, les émissaires américains envoyés au Venezuela, premier réservoir de pétrole brut au monde, (certes un pétrole lourd) et l’accélération des négociations avec l’Iran, deuxième réservoir mondial après la Russie. C’est un des rares pays, à court terme, 2ème réservoir mondial, sous réserve d’investissements massifs avec le Qatar, troisième réservoir mondial, qui peut à terme contrebalancer le poids de la Russie pour le gaz.

1.2- Concernant la conjoncture actuelle, l’embargo décidé par le président américain, les USA ne dépendent pas de l’énergie russe, dont la rentabilité des gisements marginaux du pétrole/gaz de schiste deviennent en majorité rentables à un cours variant entre 50/60 dollars le baril, sont devenus autonomes et même exportateur. Les prévisions de la Commission européenne dans sa note officielle du 8 mars 2022 d’un plan visant à supprimer sa dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes, prévoyant notamment de réduire la demande européenne en gaz russe de deux tiers d’ici à la fin de l’année 2022 sont-elles réalisables ? Ces décisions ne risquent-elles pas de renforcer la coopération avec la Chine et l’Inde qui représentent à eux seuls plus de 2,5 milliards d’habitants ? La coopération avec la Chine s’est renforcée au fil des années, où les relations commerciales de Pékin et Moscou sont régies à 17,5% par le yuan, le système de paiement CIPS étant principalement utilisé pour régler les crédits internationaux en yuan et les échanges liés à l’initiative «Belt and Road», agissant comme un système alternatif au traditionnel Swift créé en 1973, bien qu’il n’en soit pas encore totalement indépendant. Qu’en sera-t-il récemment de la proposition de l’Inde, selon des agences internationales en date du 12/03/2022 d’importer le pétrole russe et d’autres matières premières moyennant un règlement de la transaction dans un système rouble/roupie ? Et qu’en sera-t-il si demain l’Arabie Saoudite, qui a toujours été un allié stratégique des USA, décidait qu’une fraction de ses ventes d’hydrocarbures vers la Chine, idem pour l’Iran, serait payé en yuan, dans le déclassement du dollar en tant que monnaie internationale. Encore qu’il faille être prudent où d’après la Banque des règlements internationaux (BRI) en 2019, avant la pandémie mondiale de covid-19, 88% des transactions se faisaient en dollars, contre seulement 32% en euros et 17% en yens, 80% des importations libellées en dollars ne transitent pas par les États-Unis et quasiment tout le commerce libellé en euros passe par au moins un pays de la zone euro, contribuant à faire du dollar la monnaie d’investissement par excellence. Avant la pandémie, le dollar domine, sa part s’élevant à 61 % au 01 janvier 2020, suivi de l’euro (21 %) et la monnaie chinoise, le renminbi (RMB), réalise un début de percée avec 2 % des réserves de change mondiales désormais libellées en RMB, contre 1,1 % en 2014-15, Le Yuan selon le FMI, dans le financement du commerce mondial ayant décru en valeur depuis 2014 où sa part est tombée à 4,61% contre 8,66% mais devrait dépasser le yen japonais et la livre sterling pour devenir la 3e monnaie internationale de règlement la plus reconnue d’ici 2030, selon une prévision de Citibank.

Pour la sécurité alimentaire, 30% des exportations mondiales de produits alimentaires proviennent de l’Ukraine et la Russie. La tonne de maïs, sur l’échéance rapprochée d’une livraison en mars, se cotait le 3 mars 2022 à 280 euros pour remonter le 4 mars à 290 euros et le prix du blé, a atteint jeudi 316 euros le 3 mars, si la crise devait durait selon certains experts, il pourrait atteindre entre 450/500 euros, il en est de même pour les prix du tournesol, les deux pays représentant près de 80% des exportations mondiales d’huile de tournesol. Ainsi, les cours du colza progressent très nettement dans le sillage des autres huiles selon le cabinet Agritel, l’huile de palme était de de 500 ringgit, à 6 458 ringgit la tonne, sur l’échéance de mai 2022. L’impact de la crise alimentaire mondiale serait plus dramatique pour les pays importateurs de produits alimentaires, pas seulement l’Algérie et l’Egypte, et les plus vulnérables n’ayant pas les moyens de financement comme la Tunisie, le Liban et les pays d’Afrique subsaharienne. Par ailleurs des pays peu diversifiés dépendants des hydrocarbures pour leur exportations, important massivement les denrées alimentaires des biens d’équipements et matières premières, ce qu’ils gagnent d’un côté, ils le perdent de l’autre avec la hausse de ces prix, les impacts seront négatifs.  Sans une solution rapide, l’économie mondiale risque de connaître une récession pire que celle de l’impact du coronavirus et la crise de 2008, avec une poussée inflationniste et du chômage au niveau mondial ce qu’on qualifie de stagflation. Le risque est l’accroissement d’accroître certes une récession de l’économie russe mais de vives tensions en Europe avec l’envolée du processus inflationniste. C’est que la flambée du prix du gaz et du pétrole se répercute sur toute la chaîne des valeurs, en économie, la production étant production de marchandises par des marchandises. Car outre la très grande dépendance de l’Union européenne au gaz russe, existe également celle de plusieurs métaux indispensables à la transition écologique comme le nickel, le palladium ou encore l’aluminium, un enjeu stratégique qui pourrait freiner le développement des batteries électriques, des pales d’éoliennes ou des panneaux solaires. Le pays est également un des plus gros producteurs de nickel au monde, le troisième derrière l’Indonésie et les Philippines.et du côté aluminium, les Russes pèsent 6% de l’approvisionnement mondial, une part faible mais assez importante pour faire hausser les prix. Cela influe sur les endettements des Etats contraints pour garantir à court terme la cohésion sociale. L’éventuelle récession mondiale en 2022 selon une note du FMI début mars 2022, avec des impacts négatifs tant pour la Russie que l’Europe aura une répercussion mondiale du fait de l’interdépendance des économies, risquant d’accroître les pénuries en Russie du fait de la dévaluation du rouble qui a chuté de plus de 30% entre février et début mars 2022, mais également la dette des pays avancés. La dette publique est passée antérieurement du fait de l’épidémie du coronavirus, d’environ 70% du PIB en 2007 à 124% du PIB en 2020, la dette privée ayant augmenté plus lentement, passant de 164% à 178% du PIB au cours de la même période. Au niveau mondial selon le FMI pour 2020 la dette globale a atteint un montant de 226 000 milliards de dollars, ayant augmenté de 28 points de pourcentage pour atteindre 256% du PIB mondial. Les emprunts contractés par les États représentent un peu plus de la moitié de cette augmentation : le ratio de la dette publique mondiale à un niveau record de 99 % du PIB mondial et la dette privée contractée par les sociétés non financières et les ménages avec une accélération du processus inflationniste aux États-Unis et en Europe restera pour l’année 2021, la hausse des prix ayant atteint 6,8% outre-Atlantique, un record depuis près de 40 ans, et près de 5% en zone euro. Et cela devrait s’accentuer en cas de non résolution rapide de la crise ukrainienne en 2022.

2.-Reconfiguration géostratégique mondiale et urgence d’une nouvelle politique euro-méditerranéenne via l’Afrique

2.1.- Du fait de la dépendance énergétique de l’Europe, selon la société MEDGRID, les interconnexions électriques en Méditerranée peuvent être un facteur de co-développement. Les besoins électriques sont complémentaires: la pointe de consommation d’électricité en Europe (France, Allemagne, Pays du Nord…) se situe généralement en hiver, alors que dans les pays du Sud, compte tenu des systèmes de refroidissement (appelés à se développer avec l’amélioration du niveau de vie), elle se situe en été. Selon toujours Medgrib, l’acquisition des turbines nécessaires pour satisfaire cette pointe de consommation coûterait plus cher que l’interconnexion avec les réseaux du Nord qui, compte tenu des vacances et des températures clémentes, sont alors peu chargés. Nous savons par ailleurs que le sud de la Méditerranée est mieux placé que le nord pour exploiter les énergies renouvelables. L’ensoleillement y est deux fois plus important. Quant à l’éolien terrestre, il y a des sites extrêmement favorables, avec des durées de fonctionnement qui sont sensiblement le double de celles des sites allemands ou français. Ainsi il est très souhaitable d’échanger de l’électricité tantôt dans un sens tantôt dans l’autre: l’électricité conventionnelle de l’Europe vers l’Afrique dans les périodes d’été; l’électricité d’origine renouvelable de l’Afrique vers l’Europe dans les périodes d’hiver. Les interconnexions correspondantes permettent en outre de mieux gérer les problèmes d’intermittence inhérents au solaire et à l’éolien car, lorsque les productions du Sud seront insuffisantes, l’Europe pourra fournir le complément en électricité traditionnelle. On peut envisager l’utilisation de lignes à courant continu qui permettent de réduire les pertes à environ 3% pour mille kilomètres; Dès lors, l’électricité ainsi produite coûte deux fois moins cher au sud qu’au nord, ce qui la met sensiblement au niveau des prix moyens pratiqués sur les marchés européens (40 à 50 € le MWh). Toutes les conditions de base sont donc réunies pour que l’Afrique produise massivement des énergies renouvelables et envisage des programmes ambitieux. Ainsi Désertec représentait 400 G€ d’investissements, mais ce projet est en sommeil depuis le retrait de Siemens et on ne sait pas très bien quel sera son avenir. Les échanges énergétiques entre les deux rives de la Méditerranée doivent donc s’envisager dans le cadre de la transition énergétique qui s’impose de par la rareté des ressources. Les marchés aussi bien au Nord qu’au Sud devraient croître à un rythme de plus de 7% au Sud et 2 à 3 % au Nord. Pour Tewfik Hasni, expert algérien dans les énergies renouvelables, le mix énergétique de demain sera à forte dominance électrique, puisque selon Shell, le marché de l’électricité devrait augmenter de près de 80% d’ici à 2040. Les énergies fossiles vont aller en décroissant, certes plus rapidement pour le pétrole. Cependant sans une rationalisation dans l’utilisation du gaz, la décroissance devrait aussi s’accélérer, bien que les ressources en pétrole et gaz soient dominantes au Maghreb, mais plus particulièrement en Algérie et en Libye. Il est important de savoir que le solaire thermique devrait représenter la ressource la plus importante pour la génération électrique. L’hybridation avec le gaz devrait lui permette d’ores et déjà d’être compétitif avec les alternatives comme le nucléaire et le gaz pour un coût de 10$/MMBTU. En effet l’hybride dans des cas précis est en mesure aujourd’hui de réaliser un coût de production de 10 cts€/KWh. Les autoroutes électriques en courant continu pour traverser la Méditerranée vont servir à satisfaire les besoins grandissants de la côte méditerranéenne de l’Europe. La supraconductivité achevée par un refroidissement à l’hydrogène liquide sera la solution à moyen terme pour satisfaire les besoins de l’Europe du Nord. En effet des pipes transportant de l’hydrogène liquide permettront de transporter aussi de l’électricité dans des câbles supraconducteurs. L’hydrogène pour sa part sera produit par un craquage de l’eau en utilisant du solaire thermique à 1300 °C. Les premiers résultats laissent envisager des suites prometteuses. Il est entendu qu’il faille être réaliste, à court et moyen terme, les fossiles traditionnels seront encore déterminants. L’énergie apparaît donc aujourd’hui comme un puissant facteur de coopération et d’intégration entre les deux rives de la Méditerranée, pouvant fournir le lien structurant qui permettra de concrétiser des projets concrets, mais aussi de préparer l’élaboration d’un concept stratégique euro-africain.

Concernant la Méditerranée via l’Afrique, doit être prise en compte les nouvelles mutations énergétiques. Le polytechnicien Jean Pierre Hauet de KB Intelligence, note à juste titre que la scène énergétique s’anime en Méditerranée avec au moins trois grands champs de manœuvre dont il est intéressant d’essayer de comprendre les tenants et d’anticiper les aboutissants. Nous aurons ainsi trois théâtres d’opérations. Le premier théâtre est celui des énergies renouvelables (éolien, solaire à concentration, photovoltaïque) qui s’est caractérisé par le lancement de grandes initiatives fondées sur l’idée que le progrès technique dans les lignes de transport à courant continu permettrait de tirer parti de la complémentarité entre les besoins en électricité des pays du Nord et les disponibilités en espace et en soleil des pays du Sud. On parlait alors de 400 M€ d’investissements et de la satisfaction de 15 % des besoins européens en électricité. Aujourd’hui le projet Desertec est plutôt en berne, du fait notamment du retrait début 2013 de grands acteurs industriels, Siemens et Bosch, et du désaccord consommé en juillet 2013 entre la fondation Desertec et son bras armé industriel la Desertec Industrial Initiative (Dii). La Dii poursuit ses ambitions d’intégration des réseaux européens, nord-africains et moyen-orientaux, cependant que la Fondation Desertec semble à présent privilégier les initiatives bilatérales au Cameroun, au Sénégal et en Arabie Saoudite. Le deuxième théâtre d’opérations est plus récent : il a trait à la découverte à partir de 2009, de ressources pétrolières et gazières en offshore profond, dans le bassin levantin en Méditerranée Est. Israël est le premier à avoir fait état de découvertes importantes sur les gisements de Dalit, Tamar et plus récemment de Léviathan. Ce dernier gisement, localisé sous la couche de sels messinienne, semble très important et entra en production en 2016. Des forages sont en cours afin d’aller explorer les couches encore plus profondes qui pourraient contenir du pétrole. Chypre (Aphrodite – 2011) et la Grèce ont également trouvé des réserves apparemment considérables de gaz, toujours dans le même thème géologique qui était resté largement inexploré jusqu’à présent. Toujours selon l’auteur, Chypre, la Grèce et Israël ont reconnu leurs zones économiques exclusives en Méditerranée et le 8 août 2013 ont signé un mémorandum sur l’énergie qualifié d’historique, incluant notamment la construction d’une usine de GNL à Limassol et réalisation d’un câble de 2 000 MW entre Chypre et Israël. Mais existent des possibilités de conflits, du fait de la non délimitation claire des espaces, à l’instar de ce qui se passe en mer caspienne, du fait des protestations des nations voisines comme l’Egypte, le Liban, la Turquie qui protestent tout en n’oubliant pas la Syrie qui peut également revendiquer des droits sur une partie du bassin. Le troisième théâtre d’opérations a trait à la prospection et à la mise en valeur éventuelle des gaz de schiste où les USA sont devenus les premiers producteurs du monde,mais cette prospection doit tenir compte de la protection de l’environnement . La Turquie a donné le signal du départ en commençant tout récemment les opérations de fracture hydraulique dans les zones les plus prometteuses de Thrace et d’Anatolie, les réserves possibles étant évaluées à 1 800 Md m3 soit 40 ans de consommation domestique

  1. 2.-L’objectif stratégique est de mettre l’énergie au service de la croissance et de l’emploi des deux rives de la Méditerranée et de l’Afrique. Face aux bouleversements géostratégiques récents, doit être posée tant pour l’Algérie que pour l’Afrique et l’Europe, la problématique de la sécurité dans la zone sahélo-saharienne. Les dynamiques de la conflictualité saharienne actuelle interpellent l’Europe qui doit être attentive aux stratégies des pays en direction de leur Sud et sur les relations avec l’Afrique subsaharienne. Il devient impératif d’étudier les impacts des mutations de la géopolitique saharienne après l’effondrement du régime libyen, les conséquences pour la région, l’importance des échanges économiques (formels et informels) et des échanges humains de part et d’autre du Sahara, les flux migratoires notamment des migrants subsahariens qui s’installent désormais dans les pays du Maghreb. En effet, depuis des siècles, le Maghreb est lié avec l’Europe beaucoup plus étroitement qu’avec ses voisins du sud, devant éviter toute vision européocentriste. Dans ce cadre, l’on devra éviter de verser dans l‘utopie, le sens de l’histoire du monde multipolaire qui s’organise à travers de grandes régions Nord-Sud incluant la protection de l’environnement. La Méditerranée, un bassin grand comme cinq fois la France, ne représente que 0,7% de la surface des océans, mais constitue un des réservoirs majeurs de la biodiversité marine et côtière, avec 28% d’espèces endémiques, 7,5% de la faune et 18% de la flore marine mondiale. C’est une des mers les plus polluées du monde. C’est une mer sans marée dont l’eau met plus d’un siècle pour se renouveler mais qui voit passer 30 % du trafic maritime mondial et dont la faune et la flore sont en danger. Des « navires voyous » dégagent près de 200000 tonnes d’hydrocarbures dans la Méditerranée chaque année. Environ 290 milliards de micro plastiques flottants sur les 10 à 15 cm d’eau dérivent en Méditerranée, selon les données recueillies lors des deux campagnes scientifiques de l’Expédition MED, menées en 2010 et 2011 en mer Méditerranée nord-occidentale.

La crise économique et financière a remis au premier plan les questions de croissance et de compétitivité misant pour résoudre le chômage et rembourser la dette sur la seule augmentation du produit intérieur brut et semble mettre de côté les problèmes d’environnement. La production d’un seul kilo de viande de bœuf demande 4 à 5 kg d’aliments et 15 000 litres d’eau au niveau mondial. Plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et 250 millions de personnes sont affectées par la désertification. Et si la Chine et l’Inde, notamment pour le transport et l’alimentation, adoptent le même modèle de consommation que ceux des pays développés qui concentrent la majorité de la richesse mondiale qu’adviendra-il de notre planète ? La compétitivité d’un pays peut diminuer s’il y a détérioration environnementale, se traduisant par une baisse du surplus collectif par des allocations supportées par la collectivité comme le coût des maladies, les congés de maladie et la destruction de la biodiversité. Par exemple, le déclin des populations d’abeilles ayant le rôle de pollinisation influe sur la productivité agricole. Selon certaines études scientifiques, 12% des espèces d’oiseaux, 23% des mammifères, 32% des amphibiens, 42% des tortues, et un quart des espèces de conifères sont menacés d’extinction mondiale. Chaque jour, 50 à 100 espèces disparaissent, tels que la sole qui a vu sa population chuter de 90% en 25 ans au niveau mondial. Or l’économie verte, dans le cadre d’une symbiose de développement durable entre le Nord et le Sud sachant que plus d’un milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et 250 millions de personnes sont affectées par la désertification peut stimuler la croissance par la création d’unités de hautes technicités grâce à l’innovation tout en préservant l’environnement. Tout en étant réaliste, les énergies fossiles seront encore pour au moins deux décennies dominantes. Il s’agit de réaliser des choix stratégiques aujourd’hui, de réaliser des arbitrages qui détermineront le profil de l’appareil productif de demain. Cela peut être une opportunité pour enclencher de nouveaux investissements dans la dépollution de la Méditerranée et des segments des énergies renouvelables et surtout l’hydrogène, énergie de l’avenir.

Un rapport de l’EPIMED /Paris dirigé par le professeur Jean Louis GUIGOU montre que le déficit structurel européen et la forte hausse de la demande de la rive sud impliquerait à l’avenir de construire les éléments d’un partenariat qui dépasse le modèle classique fournisseur-client. Le rapport met l’accent sur la dépendance gazière européenne notamment vis-à-vis de la Russie passée de 53% aujourd’hui à 80% en 2030 et qui met en relief l’actuelle crise ukrainienne. Facteur de précarité supplémentaire, la part des approvisionnements européens en gaz provenant du marché spot du gaz sera plus forte avec la montée en puissance des GNL La volatilité des prix et l’insécurité des volumes disponibles seront plus importants dans une telle configuration en dépit de la multiplicité des offreurs. Comme analysé, les pays de la Méditerranée sont tous confrontés au problème de la sécurité énergétique. Il s’agit avant tout de renforcer la coopération notamment dans le domaine énergétique, étant un élément fondamental de l’activité économique, un facteur de sécurité humaine, pouvant représenter un lien très fort entre le nord et le sud de la Méditerranée. La situation géographique de l’Europe et la Méditerranée, est un carrefour pour les marchés énergétiques mondiaux. Mais le défi du XXIème siècle est la lutte contre la pénurie d’eau, qui peut être source de conflits planétaires, qui touchera à l’horizon 2020/2030 cette région avec la désertification y compris la zone sahélienne, causée par l’évolution démographique et économique, les activités humaines et le réchauffement climatique qui n’est pas une chimère. Or, le dessalement de l’eau de mer, qui est une des solutions préférées des États, parce que politiquement facile, permet de réduire ces tensions. Mais il faudra être attentif au coût. Seule la production à grande échelle de ses composants, peut réduire substantiellement les coûts, les Etats transitoirement devant supporter ces projets par des subventions ciblées. S’il est encore trop tôt pour déterminer comment les changements politiques et de gouvernance dans certains pays de la rive Sud afin d’éviter les tensions sociales à venir, vont influencer les questions d’énergie. Les efforts pour réduire les subventions, renforcer les infrastructures, l’expansion des marchés commerciaux et ouvert aux investisseurs locaux et étrangers, les interconnexions énergétiques entre l’Europe et l’Afrique, auront un impact significatif, dans les années à venir sur l’espace euro-méditerranéen. Comme le note justement l’étude de l’EPIMED,  il faut faire comprendre que, dans l’intérêt tant des Américains que des Européens et de toutes les populations sud méditerranéennes, les frontières du marché commun de demain, les frontières de Schengen de demain, les frontières de la protection sociale de demain, les frontières des exigences environnementales de demain, doivent être au sud du Maroc, au sud de la Tunisie et de l’Algérie, et à l’est du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de la Turquie passant par une paix durable au Moyen Orient les populations juives et arabes ayant une histoire millénaire de cohabitation pacifique. Comme le préconise l’auteur, il serait donc souhaitable qu’une réflexion collective s’articule autour de quatre axes thématiques. Premièrement, la gouvernance territoriale: il s’agira en ce sens de repérer les acteurs clés (privés et/ou publics, individuels et/ou organisationnels), d’analyser les contextes institutionnels et de proposer une grille d’analyse des modes de coordination de ces acteurs. Deuxièmement, l’attractivité des territoires : il s’agira de mettre en perspective les politiques publiques mises en œuvre (réglementations et incitations) et les stratégies des acteurs de la globalisation pour mieux comprendre les mouvements de délocalisation et la nature des relations de sous-traitance. Troisièmement, de nouvelles dynamiques productives sur la base d’une approche sectorielle, les logiques d’agglomération et d’organisation productive pour mettre en évidence des processus de désindustrialisation, de restructuration et/ou d’émergence industrielle. Quatrièmement, la spatialisation des activités de production en analysant l’organisation spatiale (urbaine) des dynamiques productives afin de mettre en relief les modes d’aménagement, d’organisation et de gestion des territoires, et expliquer les logiques de localisation et d’agglomérations intra-urbaines des entreprises.

Conclusion

Espérons le dialogue, au lieu des conflits, dans toutes les contrées du monde, en Amérique, en Asie, en Europe et en Afrique afin de promouvoir l’esprit de paix, de tolérance et l’ouverture d’esprit, nécessitant en ce XXIème siècle la promotion de la culture, fondement du dialogue des civilisations, source d’enrichissement mutuel, où chaque nation devra concilier la modernité et ses traditions. C’est que l’ère des confrontations n’a eu cours que parce que les extrémistes ont prévalu dans un environnement fait de suspicion et d’exclusion. Connaître l’autre, c’est aller vers lui, c’est le comprendre, mieux le connaître. Face à un monde en perpétuel mouvement, tant en matière de politique étrangère, économique, que de défense, actions liées, avec les derniers événements en Ukraine, se pose l’urgence d’une coordination, internationale et régionale afin d’agir efficacement sur les événements majeurs et faire de l’Europe, du bassin méditerranéen et de l’Afrique, un lac de paix et de prospérité partagée. 

Abderrahmane Mebtoul : ademmebtoul@gmail.com

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Professeur des universités, expert international

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