Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

La décarbonation des transports lourds terrestres (tlt)

La limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C en 2050 impose de s’affranchir rapidement des combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon).

Les véhicules particuliers (VP) et des véhicules utilitaires légers (VUL) représentent environ 70% des émissions totales de CO2 dans les transports en France. Leur électrification à un rythme accéléré constitue une priorité absolue.

Les émissions des transports routiers lourds – camions ; mais aussi les transports en commun : cars ; bus…- correspondent à environ 22% des émissions totales de CO2 dans les transports.

Leur décarbonation est plus complexe à traiter que celle des VP et des VUL, car ces véhicules ne partagent pas des cahiers des charges similaires.

Procédons par élimination.

Pour les transports collectifs urbains et péri-urbains (bus et cars), qui représentent une part réduite – environ 2% – des émissions totales de CO2 dans le transport, les solutions existent. Tramways, trolleybus, ou encore autobus hybrides ou électriques remplacent progressivement les autobus à motorisation thermique.

Le kilométrage moyen quotidien relativement réduit – de l’ordre de 100 à 150 km – de la grande majorité de ces véhicules, devrait permettre leur électrification avec des batteries Lithium-Ion de 150 à 250 kWh.

La situation paraît analogue pour les 78000 Véhicules Automoteurs Spécialisés (ambulances ; camions de pompiers…).

La durée de vie en service de ces véhicules, qui surpasse généralement celle des véhicules à moteur thermique, peut de surcroît rendre leur coût total de possession compétitif sur le moyen-long terme, en dépit d’un coût à l’achat plus élevé.

Dans tous les cas, il est bien sûr critique que l’électricité utilisée pour recharger les batteries soit elle-même très largement décarbonée[1].

La question de la décarbonation du transport routier de marchandises sur les longues distances « long haul » est a priori plus complexe à traiter. Alimentés par du diesel, ces véhicules représentent 5,6% du trafic routier en France. Leur kilométrage quotidien moyen est de l’ordre de 500 kilomètres[2].

Si l’option « ferroutage » parait limitée, du fait de nombreuses raisons décrites par ailleurs, quelles sont celles, parmi les multiples autres solutions explorées, qui permettent de réduire le plus efficacement les émissions de gaz à effet de serre, tout en offrant un modèle économique suffisamment incitatif ?

Les biocarburants liquides, du fait des surfaces agricoles disponibles limitées, ainsi que de leur coût élevé, paraissent devoir être réservés aux applications pour lesquelles aucune autre solution ne paraît envisageable : aéronautique, puis, peut-être, transport maritime.

Le biométhane paraît également pénalisé par le pouvoir de réchauffement climatique du méthane, égal à 84 fois celui du CO2, qui contraint à proscrire les fuites tout au long de la chaîne de distribution et de consommation, ce qui entraîne des surcoûts élevés.

L’hydrogène « vert » produit par électrolyse de l’eau intéresse des acteurs majeurs, tels que Volvo ou Toyota. Toutefois, le rendement énergétique global de la chaîne de traction est médiocre, du fait des pertes observées au cours des phases de production ; compression ; stockage ; distribution et conversion de l’hydrogène, ce qui soulève des questions de sobriété énergétique.

La solution batterie peut également paraître irréaliste : un poids lourd électrique consommant une énergie voisine de 150 kWh aux 100 kilomètres, il s’agit d’embarquer une batterie de l’ordre de 6 tonnes (1000 kWh), coûteuse (de l’ordre de 100 k€), consommatrice de matériaux sensibles, et capable de supporter des recharges accélérées fréquentes, ce qui nécessite par ailleurs un renforcement coûteux du réseau électrique.

Par ailleurs, l’électrification des camions pose un problème supplémentaire susceptible de limiter son intérêt : du fait de la grande efficacité énergétique des motorisations thermiques très optimisées adaptées à leur régime de fonctionnement particulier, les semi-remorques de 40 tonnes de génération récente (ne) consomment en effet, de porte à porte et à pleine charge, (que) de l’ordre de 31 litres de gazole aux 100 kilomètres. Le gain apporté par l’électrification de ces poids lourds sur les émissions de CO2 et sur l’énergie consommée n’est que d’un facteur 2, contre 3 à 4 pour les VP et les VUL. Il est donc bien moins aisé de trouver un modèle économique satisfaisant en l’absence d’incitation règlementaire vigoureuse.

Tesla a toutefois prévu de commercialiser un semi-remorque à batteries en 2022, qui pourrait rencontrer un certain succès, grâce à :

  • Une durée de vie élevée, compatible avec un coût de possession à long terme compétitif en comparaison des camions à motorisation thermique,
  • Une énergie embarquée compatible avec l’autonomie moyenne journalière requise,
  • Une interopérabilité internationale.

D’autres solutions, telles que l’Electric Road Systems, font l’objet d’expérimentations dans plusieurs pays européens. Dans ce concept:

  • La présence d’une batterie de taille réduite, qui alimente le camion sur les trajets entre le dépôt et l’autoroute, permet de réduire le poids et le volume de la source d’énergie embarquée.
  • L’alimentation directe des batteries des camions par caténaire ou par rail permet un rendement énergétique élevé.

L’ERS requiert toutefois une interopérabilité à l’échelle européenne, complexe et longue à déployer.

Au bilan, les solutions pour décarboner le transport lourd existent. Les performances de plusieurs d’entre elles sont pertinentes du point de vue purement environnemental, sous la condition préalable incontournable de disposer d’un mix électrique fortement décarboné. La question de leur viabilité économique en l’absence de soutien règlementaire et fiscal n’est cependant pas encore tranchée. Des expérimentations à l’échelle sont en cours dans plusieurs pays européens afin de répondre à cette question. Il en va du respect des engagements de décarbonation pris pour 2030.

[1] Rapport RTE Futurs énergétiques 2050-Chapitre 12 – 25 octobre 2021

[2] Comité National Routier « enquête longue distance 2019 », décembre 2020

 

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Responses

  1. L’analyse de Didier Bloch est tout à fait pertinente. Nous voudrions insister sur l’importance de l’enjeu qui s’y attache car il s’agit dans tous les cas de mettre en place des infrastructures appropriées le long des grands axes européens et on ne dupliquera pas ces infrastructures pour le plaisir de les essayer toutes. Un courant d’opinion venu d’Allemagne est aujourd’hui favorable à l’hydrogène, qui présente, effectivement, certains atouts.
    Cependant, ne négligeons pas la route électrique, en particulier le système de recharge par induction à partir de bobines de 80×80 intégrées à la chaussée. Ce système développé en Israël par Elektreon et étudié en France par Vedecom présente de gros avantages en termes de robustesse. Il peut intéresser non seulement les poids lourds mais aussi les VL Il devrait faciliter l’acheminement des PL en pelotons (platooning).
    Pour les PL à tracteurs, les bobines réceptrices doivent pourvoir se loger sous la remorque, cependant que les batteries d’appoint resteront installées sur le tracteur. Il est possible que la puissance transférée à un PL soit suffisante pour faire d’un tronçon d’une longueur donnée, non seulement un moyen d’alimentation en temps réel mais aussi un moyen de récupérer de l’énergie qui sera stockée dans la batterie et permettra au poids lourd d’aller plus loin. Au démarrage du système, les tronçons équipés seraient alors des prolongateurs d’autonomie en attendant la généralisation du système. Il ne semble pas le coût d’investissement soit prohibitif s’agissant, comme les autoroutes, d’investissements de long terme.
    Affaire à suivre
    Jean-Pierre Hauet
    Equilibre des Energies