Le Pont

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La décarbonation des transports : une urgence pour la France et l’Allemagne

Jean-Pierre Hauet tire les conclusions du 6ème Forum franco-allemand, organisé par le groupe Passages-ADAPes et l’Université de Strasbourg, qui s’est tenu à Strasbourg (25 et 26 novembre 2021).

Le Forum franco-allemand organisé à Strasbourg les 25 et 26 novembre 2021 par Passages et l’Université de Strasbourg était cette année consacré à la décarbonisation du secteur des transports. Il y a urgence à agir : au cours des 10 dernières années, de 2010 à 2019, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué dans leur ensemble de 13 %, en France comme en Allemagne, alors que qu’elles ont continué à augmenter dans le secteur des transports.

Mais la question de la décarbonation des transports est très difficile : les besoins de mobilité – à peine ralentis par la crise de la Covid – restent croissants, le problème est techniquement et économiquement complexe et le secteur est très dispersé entre mobilité légère, poids lourds aviation, navigation maritime et fluviale, etc. Autant de raisons d’agir vite et de façon coordonnée et ciblée. La quasi-totalité des quelque 30 communications faites au cours du Forum ont convergé vers la même idée : il faut être efficace techniquement et économiquement. L’heure n’est plus à l’incantation et aux phrases bateau comme on en a trop souvent entendues : « on aura besoin de toutes les énergies », « la meilleure des énergies est celle qu’on ne consomme pas ». Il faut bien sûr ne se déplacer qu’à bon escient mais il faut surtout promouvoir dans chaque segment les moyens les moins émissifs. Il faut donc éviter de disperser les efforts et les responsables politiques, en France comme en Allemagne, ont la responsabilité historique de définir pour chaque créneau les solutions qui doivent être promues, sur lesquelles il faut faire porter un effort de recherche-développement coordonné et pour lesquelles il faut mettre en place les infrastructures nécessaires au prix d’investissements considérables.

Des politiques sectorielles ciblées

Le cas des véhicules légers est exemplaire : la politique européenne de limitation drastique des émissions de CO2 par les voitures a stimulé de façon décisive le développement du véhicule électrique. Cette migration est engagée et semble à présent irréversible. Le Forum souhaite que ce développement continue à être accompagné et soutenu afin notamment que la mobilité électrique soit rendue accessible à tous, dans des conditions non pénalisantes pour les catégories les moins favorisées.

Cela suppose que les aides publiques à l’acquisition des véhicules soient maintenues le temps nécessaire mais aussi que le problème lancinant de la recharge, dans les bâtiments collectifs d’habitation et le long des autoroutes, soit enfin résolu. Le Forum appelle en conséquence les institutions européennes à finaliser dans les meilleurs délais le nouveau règlement sur le déploiement des infrastructures pour carburants alternatifs et insiste sur la nécessité de prévoir des modalités d’accès à ces installations qui soient homogènes de part et d’autre de la frontière.

Le Forum appelle les pouvoirs publics nationaux et européens à accompagner le redéploiement industriel que la mobilité électrique implique. Au-delà du soutien à une industrie européenne des batteries, il souligne l’importance de développer, dans les écoles et dans les universités, les compétences nécessaires qui risquent de faire défaut (en logiciel, chimie, électricité…).

Dans le domaine des véhicules lourds, la réglementation européenne sur les émissions de CO2 doit être renforcée et doit s’accompagner de la définition d’une priorisation claire des solutions appropriée à chaque segment :

  • dans les transports locaux et régionaux, la solution électrique à batteries bénéficiera des progrès sur les batteries destinées au véhicule léger. C’est donc très probablement la solution qui s’imposera sur ce marché. Le Forum estime qu’il y a nécessité à en faciliter le développement en mettant en place les infrastructures de recharge nécessaires ;
  • dans les transports lourds et longues distances, les solutions hydrogène peuvent s’imposer, pour des raisons d’autonomie notamment. Mais il faut alors organiser cette montée en puissance en focalisant sur les grands axes, dans le cadre d’un schéma directeur, la mise en place des infrastructures de ravitaillement ;
  • le gaz comprimé est une solution mature mais qui reste carbonée. La place qui lui reviendra sera fonction de la disponibilité en ressources renouvelables de BioGNV, elle ne doit pas être négligée.

Dans le domaine de l’aviation, le Forum s’est inquiété de la situation de ce secteur fortement affecté par la crise de la Covid et par l’incidence de mouvements hostiles à son développement, alors qu’il est porteur de progrès économique et social et  facteur de cohésion. Il appelle les pouvoirs publics à poursuivre leur soutien au redressement de la filière dans une optique de décarbonation totale à horizon 2050 qui paraît techniquement possible.

Si la coopération franco-allemande est aujourd’hui fortement établie, au travers d’Airbus notamment, un renforcement de cette coopération est opportun, par un soutien à des initiatives-clés :

  • aboutissement du projet de ciel unique européen ;
  • développement d’aéronefs courts courriers tout électriques, y compris de drones taxis ;
  • développement d’avions moyens courriers à hydrogène ;
  • enfin et surtout, mise en place d’une stratégie européenne de développement des carburants durables pour l’aviation (les SAF) avec des objectifs suffisamment ambitieux dès 2030.

Sur ce dernier point, le Forum recommande de réserver en priorité à l’aviation l’usage des biocarburants durables, dont les ressources sont limitées, les autres secteurs pouvant plus facilement recourir à d’autres solutions.

Dans le domaine de la navigation fluviale et maritime, l’hydrogène peut également trouver sa place, à l’état liquide ou sous forme de composés tels que l’ammoniac ou le méthanol. L’équipement des ports en installations électriques doit également être accéléré. 

 Acceptabilité économique et sociale

Si des solutions techniques existent, même pour les cas les plus difficiles, elles ne verront le jour que si trois conditions essentielles sont respectées :

  • La transition doit être comprise et acceptée.

La question de l’acceptabilité est essentielle. Elle suppose que les responsables politiques tiennent un langage clair et qu’une lutte systématique soit engagée contre les fake news qui perturbent les citoyens. Cela suppose aussi que les solutions qui leur sont proposées ne leur imposent pas des retours en arrière qui seraient mal vécus.

  • La concertation avec le monde industriel doit être renforcée.

L’Europe, au travers de son arsenal législatif, s’est dotée de puissants moyens d’action. Mais la mutation vers l’électrique et les autres moyens solutions décarbonées doit se faire dans le cadre d’une concertation renforcée entre industriels et politiques, notamment sur la programmation dans le temps des objectifs et des mesures associées.

La norme ne doit pas prendre le dessus sur la liberté de faire et la volonté d’entreprendre. Le Forum a évoqué l’utilité de systématiser le recours à des « bacs à sable » réglementaires afin que la norme reste comme elle doit être, un facteur d’opportunité.

  • La mutation vers les solutions décarbonées doit s’appuyer sur les territoires.

Beaucoup d’initiatives naissent au niveau local. Elles sont l’occasion d’apprécier la faisabilité et l’acceptabilité des solutions ainsi testées, que ce soit dans le domaine de l’électrique, de l’hydrogène ou du biogaz. Elles doivent être encouragées mais sans perdre de vue l’impératif d’efficacité économique dans les investissements.

Sur tous ces points, la France et l’Allemagne ont une responsabilité première en Europe. Les différences de culture et de tradition peuvent les conduire à des solutions différentes mais c’est précisément ce croisement des points de vue qui doit être poursuivi, face à un problème essentiel qui se pose aux deux nations.

Jean-Pierre Hauet est Président du comité scientifique d’Équilibre des Énergies.

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