La décentralisation à la française, mythe ou réalité ?
Gilles Pinson
Nous fêterons cette année les 40 ans des premières lois de décentralisation (Deferre). Cette première phase a été suivie de nombreuses autres (actes 1, 2, 3 …), notamment sous le quinquennat Hollande (régions, métropoles). La répartition des compétences entre territoires était encore l’objet de la promulgation il y a quelques jours d’une nouvelle loi “3DS” qui prétend simplifier le mille-feuille, en affichant la nécessaire “différenciation” des territoires.
Qu’en est-il réellement de la répartition des rôles entre l’État et les collectivités locales en France ? On constate que depuis le tournant des années 2000, chaque étape de décentralisation sectorielle est assortie d’une recentralisation des leviers fiscaux et d’une régulation accrue des finances publiques par Paris (la suppression de la taxe d’habitation en est le dernier avatar). Assistons-nous réellement à une nouvelle répartition des pouvoirs ? Rien n’est moins sûr, comme nous le montre Gilles Pinson, professeur de sciences politiques à Sciences Po Bordeaux, et spécialiste de l’intercommunalité.
Les deux années que nous venons de vivre auront été une période noire pour la démocratie locale en France. En 2020, sur fond d’annonce d’un confinement imminent pour cause de pandémie au premier tour, puis de déconfinement pour le second, le taux de participation aux élections municipales et intercommunales s’effondre à des niveaux jamais vus : 44,66 % au premier tour ; 41,86 % au second, soit environ 20 points de moins que lors du scrutin précédent en 2014. Un an plus tard, alors même que la situation sanitaire semble plus sereine, les élections départementales et régionales voient la débâcle s’accentuer. Les taux de participation s’établissent à 34,36 % pour les départementales et de 34,69 % pour les régionales, soit respectivement 15 et 24 points de moins que lors des consultations précédentes en 2015.
Les commentaires n’ont pas manqué de se déchainer pour donner sens à cette série noire. Toutefois, ils ont eu tendance à noyer la spécificité de l’événement dans une tendance de fond, celle de l’érosion généralisée de la participation électorale, elle-même symptôme d’une crise de confiance affectant les institutions, les organisations et le personnel politiques. Cette érosion concerne toutes les élections, à l’exception parfois de l’élection présidentielle. Qu’elle affecte encore davantage des scrutins locaux et régionaux, cela n’a rien d’étonnant pour des spécialistes du commentaire sondagier habitués à ravaler ces scrutins au rang d’« élections intermédiaires » qui ne valent que parce qu’elles indiquent des mouvements de l’opinion à l’échelle nationale.
Et si ces scores piteux étaient le symptôme d’un second phénomène ? Un syndrome certes plus discret mais tout aussi révélateur de l’état du pays : celui de l’épuisement de l’élan décentralisateur et du progressif effacement politique de certains niveaux de collectivités territoriales. Par « effacement politique », on désigne ici la perte de visibilité et de lisibilité, et au final de sens politique, de ce qui se joue à certaines échelles du gouvernement local. Les citoyens n’identifient plus clairement les espaces, enjeux, compétences, débats politiques ou encore le personnel politique associés à ces échelles.
L’effondrement du taux de participation aux élections régionales et départementales traduirait une difficulté croissante des citoyens à comprendre ce que font régions et départements, quels sont les enjeux auxquels les espaces qu’ils gouvernent sont confrontés et les alternatives politiques qui s’y affrontent. C’est en tout cas la première hypothèse que nous formulons ici.
Mais il est une autre hypothèse que nous voudrions formuler. Les espaces métropolitains -et plus généralement ce que les spécialistes appellent le « bloc communal », autrement dit l’ensemble constitués par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale- semblent mieux résister à l’effacement politique. Les élections municipales et intercommunales n’ont-elles pas été un peu moins affectées par la montée de l’abstention alors même qu’elles se tenaient dans un contexte sanitaire plus contraint ? Surtout, communes et intercommunalités correspondent à des espaces mieux saisissables par les électeurs, même si les deuxièmes restent affectées par un déficit démocratique congénital.
D’une certaine manière, le bloc communal et, au sein de celui-ci, les métropoles en particulier, seraient un peu les rescapés de la décentralisation et de l’esprit qui la portait. Peut-être seront-ils aussi les camps de base d’une relance de ce projet ?
Professeur de sciences politiques à Sciences Po Bordeaux, spécialiste de l'intercommunalité
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