Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

La victoire de Trump

Donald Trump a gagné les élections présidentielles aux États-Unis par KO, emportant le vote populaire avec plusieurs millions de voix d’avance sur sa concurrente démocrate – en 2016 il l’avait emporté sur Hillary Clinton en perdant le vote populaire, dépassant Kamala Harris de près de 90 grands électeurs avec un total de 312 (la majorité se situant à 270), assurant au parti républicain une majorité sur les deux chambres du Congrès, à la fois au Sénat et à la Chambre des Représentants. Avec de surcroit, une Cour suprême majoritairement acquise à ses vues politiques. Bref, le milliardaire new-yorkais a obtenu démocratiquement les pleins pouvoirs et il va s’installer à nouveau à la Maison Blanche en janvier prochain. Pour le mentor politique du MAGA – Make America Great Again – c’est une consécration ; pour l’homme qui s’humilia et humilia le socle constitutionnel de son pays il y a 4 ans en contestant avec véhémence la victoire démocratique de Jo Biden, c’est une revanche inespérée quoique préparée. Sans compter tous ses déboires personnels qui, sans être absous, sont repoussés, voire renvoyés à la saint-glinglin, et aussi le résultat d’une exceptionnelle baraka qui le fit survivre à une tentative d’assassinat et dont il échappa miraculeusement. Mais tout cela est du passé et il reste à comprendre les ressorts de cette éclatante victoire ? et pour en faire quoi au service des États-Unis et du peuple américain ?

C’est un euphémisme de dire que la victoire de Trump a déjoué tous les pronostics des sondeurs comme de l’ensemble du microcosme médiatico-politique aux États-Unis, comme ailleurs dans le monde, notamment en France. Si l’on se fiait à l’air du temps, il paraissait inconcevable que Trump le méchant puisse l’emporter sur la joviale et gentille Harris, tout bonnement par ce que c’était politiquement incorrect de le supposer et par ce que la candidate démocrate était l’Élue de la bienpensance médiatico-politique. Raymond Aron rappelle que nous sommes amenés à nier l’évidence d’une situation ou d’un événement énorme quand il nous parait inconcevable de l’envisager au regard de la doxa ambiante. Et cette doxa ambiante qui a infusé le microcosme politico-médiatique s’est trompée, abusée par des considérations aussi politiquement correctes qu’anachroniques et résultant de ce constat aronien qu’un évènement qu’on ne conçoit pas ne saurait advenir. À cela s’ajoute le fait que de larges couches de la population, aux États-Unis, comme chez nous, ont une certaine méfiance vis-à-vis des médias comme des politiques et n’expriment pas leurs opinions et leurs sentiments lorsqu’on les interroge, par crainte de passer pour des ploucs si leur discours n’épouse pas la doxa du moment. Anecdote : au cours d’un diner chez des amis parisiens de la classe bourgeoise intellectuelle une dizaine de jours avant l’élection, j’interrogeai l’un des convives, journaliste américain vivant et exerçant en France depuis de nombreuses années, sur un possible vote caché en faveur de Trump, il s’offusqua en me déclarant : « il y a à coup sûr un vote caché en faveur de Kamala Harris, elle va largement gagner cette élection ! ». Évidemment son analyse était biaisée par son aversion profonde pour Trump au point de projeter un résultat incontestable… mais à l’avantage de Trump ! Il s’était trompé, résultat totalement erroné par ce qu’il ne pouvait concevoir rationnellement un verdict des urnes dissonant par rapport à ce qui était annoncé. Il en fut ainsi pour le quasi ensemble du microcosme médiatico-politique qui n’avait rien vu venir par ce que cela contrariait une projection électorale largement en faveur de la candidate du parti démocrate.

Si la géopolitique des foules est tributaire des préjugés du prêt-à-penser et de considérations sommairement psychologiques, cela n’explique pas exhaustivement la victoire éclatante de Trump, et à contrario la piteuse défaite de Kamala Harris. Pour l’essentiel, l’écart des résultats nous parait être la conséquence d’une inexpérience politique singulière et d’un début de renversement de paradigme idéologique qui fait du multiculturalisme et du wokisme la quintessence du progressisme.

Kamala Harris fut choisie en 2020 par Jo Biden comme colistière moins pour ses aptitudes politiques, elle exerça certes dignement la fonction de procureur en Californie, que par ce qu’elle apportait à Biden un complément électoral : femme, issue d’une minorité, défenseuse des droits civiques… et toujours souriante face à un Biden d’un sérieux à toute épreuve. Durant ses quatre années de vice-présidence, Kamala Harris ne porta aucun grand dossier politique pas plus sur la scène américaine qu’à l’international. Aussi, quand elle se porta candidate à la Maison Blanche en juillet dernier, ce fut moins un choix du parti démocrate que par ce qu’il fallait palier à la défection de Jo Biden, contraint à ne plus postuler pour troubles de la mémoire et du discernement. Bref, Harris n’était pas en mesure de porter l’habit présidentiel, moins du fait de ses qualités intellectuelles au moins équivalentes à celles de Trump, que parce qu’elle n’imprimait pas en termes de responsabilité régalienne et d’autorité sur une scène mondiale abruptement conflictuelle.

Reste ce qui constitue à notre avis le nœud de la grande victoire de Trump et qui a trait à cette évolution du paradigme idéologique : le multiculturalisme à base de palestinisme, de wokisme, de genrisme, d’émiettement de l’autorité, d’une indifférence pour l’insécurité urbaine et culturelle et de la jouissance égoïste et narcissique des élites… tout cela ne faisait plus recette auprès d’une majorité d’Américains, notamment auprès des minorités de la classe moyenne qui craignaient une relégation de leurs acquis sociaux, économiques et culturels. Paradoxe politique : Donald Trump, malgré ses effets de manche et ses assertions brutales, rassurait plus l’Américain moyen qu’une Kamala Harris cherchant à satisfaire des revendications catégorielles, quitte à essentialiser ses ouailles électorales. Réduire l’électorat féminin à une plus grande liberté d’avorter était un peu court pour espérer récolter une adhésion électorale massive des femmes américaines.

L’ancien président Barack Obama, constatant les carences politiques de Kamala Harris, s’est portée à la rescousse de la candidate en étoffant idéologiquement et substantiellement son discours. Cela ne suffit pas, par ce que le corpus politique d’Obama est lui-même en perte d’adhésion et d’influence, notamment dans le domaine de la politique extérieure où on lui fait reproche d’un bilan défaitiste vis-à-vis de la Syrie et de la Russie, et par ce que si l’ancien Président est doté d’une grande intelligence, il incarne trop ce multiculturalisme diversitaire qui est aujourd’hui en perte de vitesse dans la société américaine, y compris au sein des minorités.

Donald Trump aura bénéficié du retour de balancier politique plus conservateur et moins séduit par les excès de MeToo, réfractaire aux violences dans les Universités, à un populisme diversitaire ayant pour curseur éthique la seule référence LGBT+++… Et à contrario, plus préoccupé par la sécurité et le pouvoir d’achat chez les classes moyennes et aspirant à une meilleure insertion sociale. American dream, quand tu nous tiens !

Reste à savoir si ce bouleversement idéologique, à tout le moins une profonde évolution socio-culturelle, aura des conséquences au-delà des frontières américaines, par exemple en France, où par tradition les modes culturelles s’exportent allégrement ? Tenons-nous en à : Wait and see ! Autre interrogation : que fera Donald Trump de cette concentration de tous les pouvoirs tant au niveau du territoire américain qu’à l’international, en particulier face à la guerre en Ukraine et au conflit opposant Israël aux proxis terroristes iraniens : Hamas, Hezbollah, Houttis… et à l’Iran. Il est encore trop tôt pour prévoir ce que sera la politique extérieure des États-Unis. Formulons toutefois un vœu : que Donald Trump brillamment réélu ne cède pas à ses instincts irrationnels et pas plus à ses impulsions irréfléchies pour éviter de transformer une victoire impressionnante en revanche partisane et iconoclaste. Le monde a besoin d’une Amérique forte et au leadership éclairé et éclairant.

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Journaliste, directeur de la Revue Passages et de l’Association ADAPes, animateur de l’émission « Ces idées qui gouvernent le monde » sur LCP, président de Le Pont des Idées

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