Le devoir de soulager la douleur


Qu’il s’agisse du social, réforme des retraites et de l’assurance chômage, et du sociétal, le mariage pour tous et l’aide active à mourir, la société française est friande de ces grands débats qui agitent avec profondeur et gravité la population. Pour une raison aussi simple que complexe, la contradiction n’est qu’apparente, et pour nous en tenir à l’actualité : l’aide active à mourir, un simple constat de bon sens fait observer qu’il s’agit autant d’une affaire individuelle, intime même, qu’impliquant l’ensemble des acteurs de santé, les familles, les religions et jusqu’au politique conduit à légiférer en vue d’esquisser des propositions difficilement consensuelles.
La France ne part pas de rien dans ce domaine où la vie et la mort sont étroitement mêlées et doivent être appréhendées sans manichéisme et à l’abri des militances sociologiques, quelle qu’en soit l’origine ou les motivations partisanes. De la loi Kouchner du 4 mars 2002 (liberté de choix du malade) à la loi Léonetti du 22 avril 2005 (contre l’acharnement thérapeutique) et à la loi Clays-Leonetti du 2 février 2016 (renforçant le droit d’accès aux soins palliatifs), cet arsenal législatif a amélioré les conditions sanitaires et éthiques de la fin de vie. Mais cela s’avère insuffisant face à des situations de grande souffrance de certains patients, privés et d’une écoute, et d’un accompagnement et de soins palliatifs appropriés. En somme, de patients qui décèdent sans soulagement de la douleur et pour lesquels, ainsi que pour les familles, les conditions de fin de vie sont indignes. D’où la revendication d’une aide active à mourir objectivée par deux leviers : l’euthanasie et le suicide assisté. C’est ce qui a conduit le gouvernement de François Bayrou de proposer deux débats parlementaires distincts, quoique connexes, autour des soins palliatifs et de l’aide active à mourir.
Comment répondre à ces deux options, qui relèvent en fait d’une même problématique existentielle et qui a suscité l’avis bienveillant du Comité consultatif national éthique prônant « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir » ? A savoir soulager la douleur de tous, sans discrimination socio-culturelle. Pour ce faire, et quelle que soit l’extension du domaine législatif, jusque et y compris la reconnaissance d’une « aide active à mourir » pour « des affections graves et incurables », « qu’elle qu’en soit la cause », « engageant le pronostic vital », « en phase avancée ou terminale », il restera à combler les trous dans la raquette d’une politique de santé défaillante, tant dans son offre de soins qu’au niveau des personnels insuffisamment formés et inadaptés à la gravité d’une situation.
La France manque cruellement de structures de soins palliatifs, de maisons d’accompagnement, de personnels médicaux et infirmiers, de soins anti-douleurs. Et quand ce déficit sanitaire vient à se conjuguer avec des déserts médicaux, c’est tout simplement intolérable humainement pour ces personnes agées dont le clap de fin rime avec une agonie atroce. C’est aussi un traumatisme difficile à maitriser pour des familles en plein désarroi avec la difficulté, de faire le deuil de celui qui part. A cela s’ajoute un problème propre à la médecine : la fin de vie est quasiment absente tant comme sujet d’étude, qu’au niveau de la formation et de la thérapeutique, ce n’est guère mieux au niveau de la recherche et de la valorisation scientifique. Une fois ce fossé médical comblé, la situation sanitaire serait considérablement améliorée. Et l’euthanasie perdrait probablement de sa prégnance sociétale. Quant au suicide assisté qui relève du libre arbitre de chacune et chacun, il parait difficile de l’imposer aux médecins sans leur permettre, pour ceux qui seraient heurtés professionnellement par le serment d’Hippocrate qui prône de sauver la vie ou d’agir leur propre conscience, un délit d’incitation ou d’entrave. On l’a compris, si le devoir de soulager la douleur autant que faire se peut est un impératif thérapeutique et éthique, la fin de vie gardera quoi qu’on pense, quoi qu’on fasse et quoi qu’il en coûte, une dimension existentielle et civilisationnelle. D’ailleurs ce qui se passe à l’étranger, dans les pays dits réfractaires à l’aide active à mourir comme à ceux qui l’ont instituée (Espagne, Portugal, Pays-Bas, Belgique, etc.), les interrogations demeurent et il n’y a pas une solution-toute à cette fin de vie qui nous interpelle dans notre profonde intimité autant qu’elle est liée à une approche d’implication collective et de la place que nos sociétés accordent à la mort. On trouvera toujours des partisans et des opposants pour l’aide active à mourir, pour un Michel Houellebecq considérant que guette une dérive de civilisation et une rupture anthropologique dans l’aide active à mourir, les associations se réclamant d’un progressisme sociétal clameront qu’il s’agit de réparer une injustice et d’une avancée sociétale. Cela dit, ce n’est pas le seul sujet paradoxal et la démocratie se nourrit de ces contradictions qui font le sel de la vie. Dès lors, que l’apaisement l’emporte sur la démagogie et le bon sens sur la violence et que l’humanisme civilisationnel reste notre boussole de réflexion et d’action.
Journaliste, directeur de la Revue Passages et de l’Association ADAPes, animateur de l’émission « Ces idées qui gouvernent le monde » sur LCP, président de Le Pont des Idées
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Émile H. Malethttps://lepontdesidees.fr/author/emaletauteur/
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