Les énergies renouvelables doivent entrer dans l’âge adulte
Le gouvernement français vient de mettre en consultation, le 4 novembre 2024, le projet des troisièmes Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) et Stratégie nationale bas carbone (SNBC3). On y apprend notamment que la puissance installée en production d’électricité d’origine solaire devrait passer de quelque 20 GW aujourd’hui à 75 GW voire 100 GW en 2035. Dans le même période, la puissance installée en éolien terrestre passerait de 23 GW à 40/45 GW et celle d’éolien en mer de 1,5 GW à 18 GW.
Des objectifs aussi ambitieux risquent de ranimer les débats sur la place que doivent occuper les EnR dans notre mix électrique. Le projet de PPE3 fait valoir que les EnR sont le seul moyen, compte tenu des délais de développement du nouveau nucléaire, de répondre aux besoins croissants en électricité qui pourraient ainsi justifier un triplement de la production d’électricité d’origine renouvelable. Celle-ci passerait de 101 TWh en 2022 à 298 TWh en 2035, en sus d’une production d’origine nucléaire stable et calée sur 360 TWh.
Il est vrai que, partout dans le monde, les énergies renouvelables ont le vent en poupe : leur coût a considérablement baissé et les investissements qui leur sont consacrés sont impressionnants. La Chine, qui détient 80 % de la capacité mondiale de production, installe plus de 350 GW de solaire par an et l’Inde lui emboîte le pas, avec l’annonce de la construction dans le désert proche du Pakistan de la plus grande centrale solaire au monde – 30 GW sur 530 km2 et 60 millions de panneaux solaires, – par un consortium associant TotalEnergies et le groupe indien Adani.
Pourtant, la part des énergies renouvelables électriques dans la satisfaction des besoins totaux en énergie reste limitée : 4 % en France, 3 % dans le monde. Il existe donc des espaces de développement considérables, mais le temps est passé où les énergies renouvelables pouvaient être considérées comme « nouvelles » et bénéficiaient de qualificatifs flatteurs de « vertes » ou de « douces ». Les qualifier « d’intermittentes » était, par certains, considéré comme un acte de dénigrement. Le moment est venu, surtout s’agissant de la France où la disette budgétaire risque de sévir pendant de longues années, de replacer les énergies renouvelables dans le cadre d’une analyse classique et de les faire ainsi entrer dans l’âge adulte.
Le premier point à considérer est qu’il ne faut pas se tromper de combat : l’objectif premier doit être la sortie des énergies fossiles. La dérive climatique et la situation géopolitique en font plus que jamais obligation. Pour y parvenir, l’électrification des usages est le moyen primordial qui s’impose : elle coche toutes les cases mais elle a du mal à démarrer. La part de l’électricité dans le bilan des consommations finales d’énergie stagne en Europe à 23 % et en France à 27 %, alors que des objectifs de 55 % sont visés pour 2050. Développer les moyens de production de l’électricité fait sens si les besoins sont là. Or ils tardent à s’exprimer, du fait notamment de contraintes réglementaires dont il faudrait, de façon urgente, se débarrasser. Le nucléaire français a retrouvé un niveau de performances qui permet d’écarter le risque de pénurie. L’électricité est là : il faut l’utiliser pour sortir des énergies fossiles et moderniser notre industrie. Développer à rythme accéléré des énergies renouvelables interpelle si le seul résultat est un accroissement des exportations (la France va battre en 2024, avec 90 TWh, son record historique d’exportation) ou un ralentissement de la production nucléaire pour faire de la place à l’électricité d’origine renouvelable.
Depuis des années et aujourd’hui encore, la Commission européenne, sous influence allemande, a considéré que le développement des énergies renouvelables et les économies d’énergies étaient les deux composantes fondamentales de la politique énergie-climat de l’Europe. Mais ce ne sont que des moyens d’atteindre l’objectif premier qui est la décarbonation et la sortie des énergies fossiles. Fixer pour l’un comme pour l’autre, des objectifs « volontaristes et ambitieux » conduit à des errements qui détournent de l’essentiel.
Le deuxième point est qu’il faut raisonner dans la durée. On entend aujourd’hui monter une petite musique selon laquelle le tassement des consommations d’électricité permettrait de décaler les engagements envisagés en matière de nouvelles centrales nucléaires et de se contenter des moyens d’origine renouvelable. Dans les années 70/80, à l’époque du lancement du programme nucléaire aujourd’hui qualifié « d’historique », certains, et le ministère des finances en premier, s’efforçaient d’en minimiser l’ampleur, au motif d’éviter de se trouver en surcapacité. Mais on mesure aujourd’hui l’avantage considérable d’avoir hérité des générations qui nous ont précédé de ce parc de production dont on pense maintenant pouvoir allonger la durée de vie jusqu’à 60 voire 80 ans. Il incombe à la génération actuelle de concevoir et de réaliser les infrastructures qui seront encore en place à la fin du siècle. Il ne faut pas se tromper de débat au moment où les préoccupations d’indépendance stratégique ne sont plus désuètes.
En troisième lieu, il faut positionner l’analyse au niveau du système électrique pris dans son ensemble. On dispose sur ce point de retours d’expérience à prendre en compte : des excursions de prix sur le marché spot de l’électricité en Allemagne qui ont dépassé tout récemment (le 6 novembre 2024) 800 €/MWh entre 17 et 19 h, alors que les prix demeuraient contenus en France ; a contrario, des épisodes de prix négatifs de plus en plus fréquents dans tous les pays européens. Indices de bon fonctionnement des marchés, diront certains. Peut-être, mais l’instabilité des prix n’est pas propice au passage à l’acte en matière d’électrification et il vaudrait mieux pouvoir valoriser les kWh que l’on produit plutôt que d’avoir à payer pour leur dissipation. Du côté des réseaux électriques, le projet de SNBC3 nous annonce un effort d’investissement de 100 milliards d’euros sur le réseau de transport d’ici à 2040 et un effort d’un montant équivalent sur la même période pour le réseau de distribution.
La « flexibilité » est le mot-clé à l’ordre du jour. C’est un sujet essentiel, lié aux énergies non pilotables et aux nouveaux usages de l’électricité. Les flexibilités, sous toutes leurs formes, doivent être développées, en particulier les moyens de stockage de l’électricité qui restent le défi électrique majeur à surmonter au cours des prochaines décennies. Mais comme les énergies renouvelables, beaucoup de ces moyens de flexibilité n’offrent pas une garantie de service à 100 % et ont un coût qui doit être pris en compte. On lit aujourd’hui dans le projet de PPE3 que « le caractère pilotable du nouveau nucléaire réduit le besoin de flexibilité du système électrique ». Certes, mais prenons soin d’abord de ne pas créer des besoins de flexibilité pour ne pas avoir à les réduire.
Ces quelques réflexions n’ont pas pour objet de mettre en cause le bien-fondé du développement des énergies renouvelables électriques qui ont démontré leur légitimité à faire partie du mix électrique, en France comme ailleurs. Du statut d’énergies nouvelles, elles ont été élevées, en France comme en Europe, au rang d’énergies incontournables à la transition énergétique, au point, selon le projet de PPE3, d’être simplement appelées à être « complétées par des moyens hydrauliques ou nucléaires ». Nous estimons qu’il convient à présent de les traiter comme des énergies matures, comme le sont précisément l’hydraulique et le nucléaire, en appliquant, à service rendu équivalent, le principe de neutralité technologique. Ceci implique :
- de se focaliser tout d’abord sur l’usage qui peut être fait des kWh produits, en recherchant des moyens de les valoriser au mieux, de façon à s’accommoder de leur caractère non pilotable ou sporadique. À titre d’exemple, avant 2050, la consommation des véhicules électriques légers équivaudra à celle des logements pour le chauffage, la ventilation et l’eau chaude sanitaire. Les bâtiments résidentiels constitueront les principales stations-services des véhicules électriques des particuliers. Équilibre des Énergies vient d’achever une étude qui montre l’intérêt qui s’attache à mieux exploiter les synergies entre ces deux grands pôles de consommation. Le pilotage tarifaire de la recharge des véhicules électriques doit s’imposer ou être imposé.
- de rémunérer les productions d’électricité non pilotable en prenant mieux en compte la valeur économique du kWh produit par périodes données. Les mécanismes de soutien, obligation d’achat ou complément de rémunération, engagent l’État pour 15 ans ou plus avec des incidences différées très lourdes. On le voit aujourd’hui dans le projet de loi de finances pour 2025, avec la hausse, en trompe-l’œil des crédits affectés au programme 345 « Service public de l’énergie » et, dans la SNBC3, avec un solde à payer résultant des contrats passés avant 2025 qui pourrait atteindre, dans certaines hypothèses, 105 milliards d’euros. Il est impératif que les producteurs d’électricité non pilotables participent, au besoin par un mécanisme de certificats, à l’effort de stockage et plus généralement de flexibilité afin de rendre leurs productions davantage pilotables et soient rémunérés en conséquence.
Président du comité scientifique d’Equilibre des Energies
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Jean-Pierre Hauethttps://lepontdesidees.fr/author/jphauetauteur/
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