Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Parlons d’Europe : quand souveraineté alimentaire, écologie et finance doivent s’unir pour une récolte fructueuse !

Les manifestations des agriculteurs français au début de cette année ont rappelé à la « une » des journaux le drame que vit un grand nombre d’exploitants, non seulement sur notre territoire national mais aussi dans plusieurs pays de l’Union européenne. La révolte des agriculteurs a surtout mis en lumière la complexité de la question agricole. Pour en parler, un triptyque s’impose : souveraineté alimentaire, respect des objectifs de développement durable et meilleur niveau de revenus pour nos agriculteurs. Cet équilibre, très complexe à maintenir, exige de faire désormais preuve d’imagination, voire d’innovation.

La question du revenu soulevé par les agriculteurs européens est l’occasion de rappeler qu’en France il existe un écart de 33% entre le salaire médian des petites exploitations et celui des grandes exploitations. A cela vient s’ajouter le fait que le taux de pauvreté en France des petits exploitants atteint 22,8% contre une moyenne nationale de 14,6% en 2019. Ceci explique l’essor de géants français de la coopérative déséquilibrant le rapport de force sur les prix des petites exploitations tel qu’il pouvait encore exister. Comme un air de déjà vu, nous ne serions plus équipés pour assurer notre souveraineté alimentaire.

Parce que nos agriculteurs ne peuvent plus attendre et qu’aucun de ces trois objectifs ne peut être sacrifié, la campagne des élections européennes, confrontée en outre à la concurrence internationale, donne l’occasion d’examiner les solutions visant à trouver le point d’équilibre de ce que nous nommons le Triangle des Bermudes de l’Agriculture (TBA) : Prix, Qualité, Quantité.   

Tout d’abord, nous devons atteindre les trois objectifs mentionnés en même temps, sans délai. A titre d’exemple, si l’on souhaitait accélérer la baisse les prix afin de pallier l’inflation,  cela reposerait sur une production augmentant plus vite que la demande, impliquant encore plus d’engrais et de pesticides pour tenir les rendements. Pour autant, améliorer la qualité de nos produits, des impacts de leur production sur les biens communs que sont les sols, l’eau, la biodiversité, ne peut se faire qu’en réduisant notre usage des pesticides et des engrais. Or, et les professionnels le savent, cet objectif est d’autant plus problématique que certains produits n’ont toujours pas trouvé d’alternative, à la fois sans risque pour l’environnement mais aussi pour les espèces vivantes. Même si les produits bio sont souvent mis en avant comme étant la preuve que l’on peut avancer dans ce domaine, n’oublions pas que leurs prix sont supérieurs en moyennes aux produits non bio, et que cela se fait au prix d’une baisse de la productivité.

Afin de trouver des solutions soutenables pour les agriculteurs et notre pays, nous devons répondre de manière très claire à trois questions, aujourd’hui souvent abordées de manière incomplète. La première est liée aux objectifs de croissance de la production par filière comme sur les aménagements et efforts requis en matière de qualité. La deuxième est relative aux mécanismes de prix minimum garantis permettant d’inciter les agriculteurs et leurs partenaires (c’est-à-dire publics et privés, tels que les banquiers et les assureurs) à mieux investir et garantir. La dernière question tient au moyen d’intégrer cette stratégie au niveau européen, afin d’assurer, tant la légalité et ainsi la pérennité des décisions à prendre, que d’éviter toute distorsion dangereuse dans le paysage concurrentiel européen.

Une solution a été imaginée pour répondre à tous ces défis, sans pour autant accroitre les dépenses publiques.

En effet, en l’état de notre réglementation nous pourrions davantage financer les agriculteurs à des taux d’intérêts réduits, grâce à la qualité de crédit de leurs grands clients, en échange de données sur leur performance sociale et environnementale, comme de leur gouvernance. Cette solution s’intègre parfaitement à la directive européenne, dite CSRD, transposée en droit français le 6 décembre 2023.

Cette démarche consisterait à apporter un financement supplémentaire aux agriculteurs qui ont souvent du mal à obtenir les fonds pour transformer leur activité et s’agrandir. Cela permettra de réduire jusqu’à trois fois la marge bancaire qu’ils doivent régler sur leur dette existante et accroitre ainsi leur profitabilité, via la réduction de leurs frais financiers. En contrepartie, les clients/acheteurs des agriculteurs peuvent mieux monitorer leur impact sociétal et environnemental, établir des plans conjoints d’amélioration dudit impact, renforcer leur solidarité financière à l’égard des fournisseurs et exploitants agricoles, et enfin répondre à l’exigence de solidarité entre grands acteurs de la chaîne de distribution alimentaire et leurs producteurs.

Une telle approche permettrait également un accroissement de la transparence dans le secteur agricole, auprès des consommateurs et investisseurs, en même tant que l’accroissement de la capacité financière des agriculteurs, afin d’investir dans la transformation environnementale de notre agriculture, tout en respectant nos obligations européennes, et ce sans grever les finances publiques françaises.

 

Nous appelons tous les acteurs concernés de cette chaîne de valeur à travailler cette solution afin de répondre aux agriculteurs, non dans l’urgence mais en construisant un pilier de stabilité sociale et environnementale bénéficiant à ceux qui nous nourrissent. Il ne sert à rien de dire que nous avons besoin de nos agriculteurs si nous ne sommes pas en mesure de fixer durablement un cap viable pour chacun de ces acteurs essentiels à notre souveraineté alimentaire. Plutôt que de ne pointer que les contraintes de la Commission européenne, il nous semble intéressant, comme on le fait souvent outre-Atlantique, de rechercher tout ce qui peut nous permettre d’atteindre nos objectifs, de façon durable et soutenable pour les parties intéressées en renforçant le partenariat public-privé dans le financement de notre stratégie de développement.

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