Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Plantu et le « monde » d’après

Le dessinateur Plantu s’est récemment exprimé sur la liberté de la presse et Cartooning For Peace, l’organisation qu’il a cofondée dans les années 2000.

La rencontre entre le dessinateur Plantu et un groupe de journalistes s’est déroulée à la Maison des Photographes dans le 10ème arrondissement, dans un quartier animé avec des petites rues bondées, que l’on imagine peut plaire à l’artiste toujours en quête d’images, de personnages et d’idées qui fuient. Plantu a des yeux bleus étincelants, des cheveux un peu trop longs qui lui donne l’air bohême et une exubérance espiègle. Quand il parle il déborde d’énergie, d’enthousiasme et d’amour- l’amour d’un dessinateur pour son métier. Avant tout, il veut parler de l’organisation Cartooning For Peace qu’il a cofondé avec Kofi Annan en 2006 et de la liberté de la presse.

« Pourquoi avons-nous créé Cartooning For Peace (l’organisation composée de 52 nations, permettant chaque jour à un dessinateur d’un pays différent d’être à la Une de Le Monde)? » demande le dessinateur. En guise de réponse, il projette l’image des hommes barbus manifestant avec des pancartes et la légende: « Manifestation contre les caricatures du Prophète (la paix soit sur Lui !) Des centaines de milliers de personnes sont sorties dans la rue en Tchétchénie ». Il parait évident que Plantu aurait rêvé d’aller vers ces hommes, raisonner avec eux, leur parler de l’ironie, du second degré et de l’humour. Mais il le dessinateur n’est pas naïf, il est parfaitement conscient qu’il n’y a pas de rationalité dans le fondamentalisme religieux.

 Le dessinateur se souvient que c’était lors d’une visite à Copenhague en 2006 qu’il a compris qu’il allait y avoir « des drames » mais il ne savait pas encore quel genre des drames. Plantu a compris la gravité du problème quand un dessinateur danois l’a invité chez lui et il a vu sa salle de bains. « C’ était comme un bunker- complétement blindée ! », dit Plantu.

En 2007, Plantu assiste au procès de la publication de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. Le procès était contre Philippe Val, directeur de la publication, porté par la Grande Mosquée de Paris, l’Union des organisations islamiques de France (UIOF) et la Ligue islamique mondiale pour « injure stigmatisant un groupe de personnes en raison de sa religion » après la parution de caricatures du prophète Mahomet. De cet épisode, bientôt suivi par des épisodes beaucoup plus noirs pour Charlie Hebdo et le milieu de la caricature politique, Plantu conclut, « Il faut aller discuter partout et voir où est le malentendu ».

‘La France silencieuse’

Jean Plantureux, dit Plantu, est né en 1951 à Paris. Adolescent, il était inspiré par les dessins de Tintin de Legère et du Gros dégueulasse de Reiser et Sempé parmi d’autres. Il adorait aussi la politique. Des souvenirs de son enfance, il y a celui où sa mère l’amenait au cinéma, il y avait des débats pour suivre : « Ma mère n’était pas d’accord avec ce qui était en train d’être dit, elle le disait en douce, mais elle ne s’exprimait pas publiquement. J’appelle ça la ‘France silencieuse’ et j’ai toujours voulu  combattre ça», dit Plantu.

 Très jeune encore, Jean Plantureux fait des études de médecine qu’il affirme « avoir ratées ». Son vrai talent est ailleurs, mais il ne le sait pas encore. « J’avais une petite-amie en 1968, avec qui j’ai quand-même eu quatre enfants. Elle m’a encouragé en me disant qu’elle adorait mes dessins. Elle m’a suivi jusqu’à l’école de médecine et elle venait en mini-jupe pour me faire rater mes études », se souvient le dessinateur en riant. Ensuite, Plantu traverse une période d’une grande incertitude, marquée par des difficultés financières. Il propose ses dessins à plusieurs quotidiens avant d’être engagé au journal Le Monde en 1972.

Le politiquement correct

Sa carrière avec Le Monde n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. L’artiste se souvient d’un dessin qu’il a soumis à ses rédacteurs en chef au début de la pandémie liée au Covid-19, en janvier 2020. Le dessin montre le président chinois Xi Jinping qui donne une audience avec une chauffe-souris, un pangolin, un fonctionnaire chinois et un scientifique chinois d’un laboratoire. Dans l’illustration le président chinois dit, « On a merdé quelque part, mais ne sait pas où ! »

Tous les matins, j’ai proposé 5-6 brouillons au Monde, se souvient Plantu, et ce dessin a été refusé à chaque fois. Il a seulement été publié en décembre 2020. Le gars d’un laboratoire dans le dessin insinuait que les Chinois ont fabriqué le virus eux-mêmes et nous aurions pu être pris pour des conspirationnistes après l’avoir publié.

Quand le dessin est publié, l’Ambassade de Chine en France convoque Plantu en lui disant qu’ils n’aiment pas son dessin. A l’Ambassade, Plantu est reçu par le numéro deux de l’Ambassade et il est invité à un dîner. Sur le mur il projette la photo de lui-même et du diplomate chinois, souriants, lors de leur rencontre. « Nous avons mangé et nous avons parlé de tout sauf de mon dessin ! » assure l’artiste.

Il y certains dessins qui ont coûté plus cher à Plantu, par rapport à son bienêtre et à sa réputation. « Je préférerais être renversé par un bus dehors plutôt que de revivre janvier 2021 », dit-il à propos de la polémique suscitée par le dessin de son collègue, le dessinateur de presse, Xavier Gorce, qu’il a férocement défendu. 

Le péril des réseaux sociaux

Le dessin montre un jeune pingouin demandant à un congénère : « Si j’ai été abusé par le demi-frère adoptif de la compagne de mon père transgenre devenu ma mère, est-ce un inceste ? ». Sur les réseaux sociaux, les critiques se sont multipliés, accusant Le Monde d’une faute de tact vis-à-vis des victimes d’inceste et des transgenres. Le Quotidien a publié ses excuses, qualifiant comme une « erreur » la publication du dessin. Gorce a annoncé qu’il ne travaillerait plus pour Le Monde et Plantu a mis fin à une collaboration de près de 50 ans avec le journal, soulignant lors de l’émission « Arrêt sur images » que son départ « était prévu depuis longtemps ».

Plantu, un homme en avance sur son temps ou anachronique avec l’ère actuelle? « Aujourd’hui, à cause des réseaux sociaux, les journaux réfléchissent, ils ne publient plus un dessin du jour au lendemain. Le résultat c’est que le tsunami de réseaux sociaux est plus important que l’avis d’un dessinateur », précise-t-il. Mais Plantu, avec son énergie et ses convictions, ne succombe pas aux distractions. Malgré tout, « un bon dessin donne envie de lire l’essentiel », confie-t-il. L’histoire décidera du reste.

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Journaliste, revue Passages, collabore au Télégramme et à France24.

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