Pont et porte
Pourquoi Le Pont ?
Émile H. Malet
La démocratie est contestée de toutes parts : par des minorités en quête de reconnaissance, des identités en recherche de glamourisation, une régression de civilisation qui s’exprime par la racialisation des rapports sociaux. Et jusqu’à la politique, dépolitisée par une gouvernance attrape-tout et remise en cause dans sa représentation législative pour se conformer aux émois et au ressentiment de l’opinion.
La République n’est pas mieux lotie, elle fait bien souvent figure d’achronie, une histoire poussiéreuse et révolue. Au regard d’une modernité vibrionnante où s’agitent les égoïsmes et les passions, d’un multiculturalisme anomique et d’une judiciarisation des mœurs et des comportements, il nous faut réinventer un vivre-ensemble et aller à la recherche du bien commun. Il y a urgence à faire avancer d’un pas commun la démocratie, « un code moral » d’après Pierre Mendès-France, et la République pour nous ancrer à une histoire, à un patrimoine, à une civilisation.
En nous rassemblant dans Le Pont*, à partir d’horizons socio-culturels divers et sans exclusive politique (sinon l’exclusion des extrêmes), nous souhaitons redonner du sens à l’actualité, de la chair à la politique, du mouvement à la société. Les grandes analyses idéologiques peinent à élucider les nouveaux rapports de force au sein du concert des nations tout comme les conflits surgissent à l’intérieur des civilisations, avec pour conséquence une archipélisation des sociétés. Le Pont va à contre-courant de ce séparatisme sociétal, notre projet éditorial vise à établir des regards croisés entre démocratie et République, modernité et tradition, défense de l’intérêt national et solidarité universelle, racines culturelles et cosmopolitisme de la pensée.
La métaphore du philosophe allemand Georg Simmel, Pont et porte, vise à établir des liaisons entre des populations, des géographies, des cultures, des religions différentes et en même temps à créer une frontière entre l’intérieur et l’extérieur, l’intimité et l’extimité, le subjectif et la collectivité. Le pont fabrique de l’universel, la porte sert de seuil entre des univers distincts. En quelque sorte, se délimiter pour s’illimiter et comme l’exprime avec éloquence Georg Simmel :
« L’homme est l’être de liaison qui doit toujours séparer, l’être frontière qui n’a pas de frontière ». Le Pont, par son projet éditorial et ses membres fondateurs, s’inscrit dans cette filiation humaniste en vue de recréer du débat hors des sectarismes et du brouhaha ambiant.
*Jean-Claude Beaujour, Jean-François Braunstein, Bernard Cazeneuve, Sonya Ciesnik, Magali Croset-Calisto, Bertrand Delais, Xavier Emmanuelli, Louis Gallois, Christine Goubet-Milhaud, Jean-Pierre Hauet, Sylvain Hercberg, Jean de Kervasdoué, Armand Laferrère, Brice Lalonde, Hervé Le Bras, Abderrahmane Mebtoul, Christian Pierret, Christian Saint-Etienne, Frédéric Salat-Baroux, Didier Sicard, Alain Vallée, Catherine Vanier, Alain Vanier, Philippe Vesseron, Émile H. Malet
République versus démocratie ?
Hervé Le Bras
En 1995, Régis Debray a publié dans le Nouvel Obs un long article opposant démocratie et république qui reste un texte de référence. Il souligne « la confusion intellectuelle entre l’idée de république issue de la Révolution française, et l’idée de démocratie telle que la modèle l’histoire anglo-saxonne » ou encore « « La démocratie, c’est ce qui reste d’une république quand on éteint les lumières ». Il multiplie les contrastes : citoyenneté contre communautarisme, verticalité de l’Etat contre horizontalité du local, nation contre société, service du bien commun contre réussite privée, armée de conscription contre armée de professionnels, Assemblée nationale et Sorbonne contre temples et drugstore, institution contre communication, bibliothèques contre télévision, etc. On pourrait le résumer par : France contre Etats Unis.
A la fin du texte, Debray constate que « la démocratie a vaincu. Le républicain ne semble plus mener que des combats d’arrière-garde ». Effectivement, si l’on reprend les oppositions précédentes, avec les pantouflages de hauts fonctionnaires la réussite privée l’a emporté sur le service du bien commun, l’armée française est devenue une armée de professionnels, les amphis de la Sorbonne sont surtout louées pour des manifestations commerciales, les bibliothèques françaises font pâle figure à côté de leurs homologues américaines, la communication gangrène les institutions jusqu’en haut de l’Etat, etc.
La distinction entre république et démocratie, si elle ne sépare plus guère la France des Etats Unis, garde une vertu d’idéal-type. Elle permet de classer nombre de situations d’un côté ou de l’autre. Un seul exemple, celui des statistiques ethniques. Leurs défenseurs arguent du besoin de protéger des communautés en les connaissant mieux. Leurs adversaires redoutent que l’assignation à une catégorie ethnique ou raciale, en obligeant chacun à s’identifier à une communauté, soit intériorisée. Clairement les partisans des statistiques ethniques sont des démocrates et ceux qui s’y opposent des républicains.
Réponse de Didier Sicard
La démocratie découvre ses propres limites dans le concept électif, qui reste pourtant le pilier de la République.
L’émergence des radicalités extrêmes de droite et de gauche profitent de la déshérence parlementaire élective pour projeter non pas ses arguments mais ses imprécations avec des remises en cause de la République elle-même dans ses principes.. D’où l’importance de la République et de sa Constitution qui plus que jamais constitue le socle de la démocratie. C’est la République qui protège la démocratie et non pas la démocratie qui protège la République.