Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Pour que l’Europe ne sorte pas de l’Histoire

Combien de conflits interpersonnels et collectifs ont leur source dans le fait que chacun veut « avoir raison » ! Il est temps de reconnaitre les failles de notre raison.

Face à la montée des violences, beaucoup d’Européens stigmatisent les étrangers. Les considérer comme des intrus a été une constante dans l’histoire de l’Europe. Elle en a fait des esclaves, ce que même Aristote et Thomas More entre autres ont justifié, et il faudra attendre le XIXe siècle pour que l’Eglise condamne clairement l’esclavage. Et aujourd’hui le rejet des migrants est devenu un antihumanisme qui concerne le monde entier.

Pourtant, plus on se rapproche des autres, plus on mélange et plus on s’humanise. Considérer l’étranger comme un frère, comme une richesse est une énorme marche à gravir. L’identité nationale ne vaut que si elle est ouverte, l’altérité que par l’accueil et l’inclusion des différenes. Certes, les différences provoquent des chocs et des violences, mais dans ce combat l’interrogation morale s’universalise.

Deux attitudes tranchées s’opposent et font problème : la haine de l’autre exacerbe les différences. Et la négation des différences est souvent perçue par autrui comme un manque de respect. Le dialogue entre Girard et Levinas présenté par Benoit Chantre à ce sujet est très intéressant. En grand anthropologue, Girard explore la formation des désirs, leurs mimétismes et leurs rivalités concurrentielles et violentes ; et il renouvelle la compréhension du combat de Jésus pour un amour non-violent. Pour Levinas, philosophe juif, la responsabilité précède l’existence de l’être et sa liberté, et c’est une question de survie. Aussi en appelle-t-il à la responsabilité d’autrui. Les références au Sacré, à Dieu, à la Nation, à la République ne suffisent plus. Le Messie c’est moi, c’est l’autre, qui ensemble devons réapprendre à faire société. « Le temps c’est l’autre » disait Levinas, il commence quand on sort de sa solitude pour partager des projets.

Socrate, Dante, Nietzsche disaient éduquer c’est apprendre à être un homme. Il faut en effet réapprendre à le devenir, et ceci fera appel à une éducation universelle. Il y a besoin de multiplier les apprentissages transfrontières du bien commun, de partager des images, des récits, des créations artistiques, et d’imaginer une Université mondiale.

Ne pas sortir de l’histoire, c’est y rentrer autrement. Les propos de Karl Jaspers énoncés dès 1946 ont été pour moi un guide inépuisable : Ce qui comment aujourd’hui c’est la fin de l’histoire universelle telle que l’Europe l’a conçue et le début de l’histoire de l’humanité. Revivre en Européen c’est considérer l’humanité comme un tout à découvrir. Tous les jours des hommes font preuve de transcendance, mais face aux événements, il faut maintenant acquérir une vision du monde qui redonne sens à l’engagement.

Extrait du livre de Philippe Herzog, “Pour que l’Europe ne sorte pas de l’Histoire. Conscience politique et ressources spirituelles” édité par l’ASCPE

Issu de la communication du séminaire éponyme de Passages-ADAPes du 20 février 2025

Disponible ici : https://www.entretiens-europeens.org/product/pour-que-leurope-ne-sorte-pas-de-lhistoire/

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Philippe Herzog est un économiste et homme politique français.
Ancien professeur des universités, ancien cadre dirigeant du Parti communiste français et ancien député européen, il est président d'honneur de l'association Confrontations Europe, et a occupé le poste de conseiller spécial du commissaire européen au marché intérieur et aux services, Michel Barnier.

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