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Les propositions de Le Pont à Emmanuel Macron pour assurer l’avenir du nucléaire

Nucléaire
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« L’avenir du nucléaire français en 10 questions »

La lutte contre le réchauffement climatique est devenue le cœur des politiques énergétiques mondiales et fait l’objet d’un consensus international rarement atteint. L’objectif européen d’arriver à la neutralité carbone en 2050 est particulièrement ambitieux, car il impose de réduire dans l’Union européenne, les émissions de carbone trois fois plus rapidement que cela n’a été fait à ce jour, depuis les premiers engagements à la fin des années 90. La France s‘est résolument engagée dans cette voie en inscrivant cet objectif de neutralité carbone dans la loi en 2019.

Q1 – Pensez-vous que l’objectif d’arriver à la neutralité carbone en 2050 est essentiel pour la France et que tous les moyens énergétiques adaptés doivent être déployés pour l’atteindre ?

La décarbonisation profonde de notre société implique un appel accru à l’électricité qui devra se substituer aux combustibles fossiles, de manière directe, dans l’automobile ou l’habitat, ou indirecte, par la production d’hydrogène par électrolyse pour l’industrie et les transports lourds.

L’usage accru des technologies numériques va renforcer la croissance de la demande et l’électricité deviendra le vecteur énergétique majeur d’une société décarbonée.

Q2- Pensez-vous que les moyens de production et de distribution français devront être fortement renforcés pour faire face à une demande électrique accrue liée à de nouveaux besoins ?

Le bilan environnemental du secteur de l’énergie, pour les énergies fossiles, a été catastrophique, par les pollutions et les gaz à effet de serre produits ; il l’a été aussi par un tirage excessif sur des réserves dont on commence à voir les limites. Il est plus positif, mais reste mitigé, pour les autres sources d’énergie. Les énergies éolienne et solaire font appel à des quantités très importantes de matières premières et de terres rares, imposant des extractions minières et des traitements chimiques sur de grands volumes. Le nucléaire, qu’il soit de fission ou de fusion, n’est pas à proprement parler une énergie renouvelable ; il s’appuie simplement sur des stocks importants de réserves combustibles et produit des déchets, certes très concentrés, mais de vie très longue, quasiment inaliénables.

Q3 – Considérez-vous que le nucléaire, étant donné ses caractéristiques techniques et environnementales, est une solution acceptable pour contribuer significativement à la politique énergétique de la France sur le moyen – long terme ?

La France, avec seulement 47 % de son énergie consommée provenant de combustibles fossiles (à comparer à 71%, en moyenne, pour l’Europe et 81% pour le monde), apparait dans une position favorable pour réussir sa mutation énergétique.

Son mix électrique, basé essentiellement sur le nucléaire, à plus de 70%, complété par de l’hydraulique, autour de 12%, et les énergies intermittentes, éolien et solaire, en croissance, autour de 8%, sont à l’origine de cette situation favorable. Il est la preuve que, dans les conditions spécifiques de notre pays, une solution éprouvée existe permettant de garantir une production électrique quasiment totalement décarbonée.

S’appuyer uniquement sur les énergies éolienne et solaire est un pari extrêmement risqué, car leur développement sera nécessairement freiné par l’intermittence de leur production : il n’existe pas à ce jour de solution technologiquement assurée de stockage de l’électricité à grande échelle ; de plus, leur emprise en sol, considérable, conduit inéluctablement à des oppositions et des conflits sur l’usage de ce sol.

Q4 – Pensez-vous que le nucléaire sera un élément important du mix énergétique de la France en 2050, et qu’il est nécessaire de maintenir et renforcer l’industrie nucléaire française ?

Les positions des pays membres de l’Union Européenne vis-à-vis du nucléaire sont fortement tranchées, avec des opposants farouches, comme l’Allemagne ou l’Autriche, et des pays, comme la Hongrie, la Finlande, la Pologne ou la Tchéquie préparant des constructions de réacteurs. L’objectif des pays antinucléaires, clairement explicité, est de voir l’Union Européenne abandonner cette énergie. L’Allemagne préfère faire appel au gaz russe plutôt que maintenir ses réacteurs nucléaires pour assurer la base de sa production électrique dans les prochaines décennies. Un adoucissement de cette position est peu probable avec la participation éventuelle des Verts au pouvoir fédéral, conduisant à une amplification des guerres de tranchées juridiques à l’intérieur de l’Union.  

Q5 – Pensez-vous possible pour la France de continuer à développer l’énergie nucléaire par de nouveaux réacteurs alors que son partenaire et voisin principal, l’Allemagne, s’y oppose ? Est-il possible de continuer dans cette voie sans être obligé à des compromis qui affaibliraient la politique énergétique française ?

Le programme nucléaire français a été développé dans un souci d’indépendance énergétique, afin de mettre le pays à l’abri des incertitudes d’approvisionnement et des fluctuations des cours des combustibles fossiles ; il s’est avéré que cette indépendance fut aussi industrielle et humaine, par une maitrise de l’ensemble de la chaine de valeur et des technologies. Ce programme, par son ampleur et sa réussite, est devenu une référence internationale et a permis à l’industrie nationale d’exporter des objets de haute technologie.

La volonté d’indépendance de la France, dans de nombreux secteurs industriels, a été le tremplin à de grandes réussites industrielles qui se sont, plus tard, déclinées dans des intégrations européennes, Airbus en étant l’exemple le plus marquant, mais loin d’être le seul. L’industrie nucléaire française, déjà structurée, pourrait devenir un pôle de ralliement pour celle des pays européens voulant développer le nucléaire, et renforcer ainsi l’indépendance énergétique de l’Union.

Q6 – L’indépendance énergétique de la France doit-elle rester un axe majeur de sa politique de souveraineté ? Comment la conjuguer avec une intégration européenne plus poussée dans le secteur de l’énergie sans affaiblir son industrie nucléaire ? Seriez-vous favorable à des rapprochements industriels avec des pays européens soutenant l’énergie nucléaire ?

EDF, depuis l’éclatement d’AREVA (devenu Orano), est devenu le porteur de la politique nucléaire française, comme opérateur du plus grand parc mondial, comme maitre d’ouvrage et maitre d’œuvre de présentes et futures installations, comme vendeur de réacteurs sur les marchés internationaux. A côté de cela, la Commission Européenne impose une séparation nette entre ses activités de transports et de distribution, de nécessité publique, avec celles de nature commerciale et concurrentielle, comme la production et la vente d’électricité. Enfin, son endettement important réduit sa capacité à lever les importants fonds nécessaires pour accompagner la mutation profonde que subit le secteur de l’électricité.

Q7 – Comment voyez-vous le futur d’EDF, garant d’une production nucléaire sûre et efficace pour la France ? Quel rôle voulez-vous lui voir jouer dans le système électrique et nucléaire européen ? Quels moyens pensez-vous devoir lui affecter pour lui permettre de tenir ce rôle ?

De nombreux déboires ont affecté ces dernières années les réalisations nucléaires françaises, comme l’EPR ou le RJH. Ils ont des causes diverses, structurelles et organisationnelles. Un des plus avancés est la perte de compétences de l’industrie par un espacement trop grand entre les chantiers pour maintenir le savoir-faire. Le rythme des chantiers nucléaires a toujours été déterminé par la puissance publique qui, souvent, tergiverse et reporte les décisions dans un secteur politiquement sensible.

Q8 – Engagerez-vous le pays dans de nouvelles réalisations d’installations nucléaires, comme la construction de nouveaux réacteurs pour accompagner la croissance de la demande électrique ? Celle du centre de stockage définitif de stockage des déchets haute activité et à vie longue ? Lancerez-vous de nouveaux projets, petits réacteurs modulaires, réacteurs à neutrons rapides, dans une vision long-terme de développement du nucléaire ?

La France a arrêté les deux réacteurs de Fessenheim en 2020 après une quarantaine d’années d’exploitation, sans raison technique justifiant cette décision. Elle compte en fermer quatorze autres d’ici 2035 lorsqu’ils atteindront leur cinquantième année d’exploitation, là encore sans aucune considération ni technique ni de sûreté. Ces arrêts ont un coût économique important, car, comme démontré dans de nombreux pays, la prolongation de vie des réacteurs, quand elle est possible, fait appel à des investissements nettement inférieurs à ceux d’installations neuves, quelque que soient la technologie choisie, éolien, solaire ou nucléaire. Le bénéfice pour le pays d’une telle politique d’arrêts n’est pas évident, en terme humain, financier et environnemental, et ses inconvénients sont déjà apparus, fin 2020 et début 2021, avec une plus grande difficulté à passer les pics de demande.

Q9 – Envisagez-vous de revenir sur les lois qui imposent à l’arrêt de quatorze réacteurs d’ici 2035 et de laisser l’Autorité de Sûreté Nucléaire et l’acteur économique, EDF, définir l’arrêt des réacteurs en considérant les risques et les bénéfices afférant à une continuation de l’exploitation ?

La France a fait le choix du recyclage des matières nucléaires après leurs sorties des réacteurs. Cette stratégie a été structurante pour l’industrie nucléaire française, a conduit à la réalisation d’installations dédiées (La Hague, MELOX…) et a une adaptation des réacteurs pour un premier recyclage (plutonium, uranium de retraitement). Elle a aussi conduit à l’établissement d’un stockage stratégique de matières fissiles et a été déterminante pour le dimensionnement du centre de stockage CIGEO. Cette stratégie n’a de sens que si la France maintient sur le long terme le développement du nucléaire et en fait un pilier de sa politique énergétique.

Q10 – In fine, il s’agit de savoir si le nucléaire restera un acteur énergétique pérenne ou si sa disparition est programmée à terme. La stratégie de réutilisation des matières nucléaires fissiles issues des réacteurs nucléaires doit-elle, selon vous être maintenue ? Si oui, allez engager les actions qu’elle implique, comme la préparation du renouvellement du centre de traitement de La Hague et le maintien d’un programme de développement actif sur les réacteurs rapides ?

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