Réindustrialiser, électrifier et décarbonner vont de pair si et seulement si les coûts de l’électricité sont maîtrisés
Les cheminements qui ont construit le système électrique français actuel permettent depuis 10 ans une production décarbonnée, fiable et peu onéreuse : cela peut constituer un atout pour réindustrialiser mais il y a bien des obstacles à surmonter, aussi rapidement que possible. Atout français exceptionnel mais pas forcément durable.
De quelles échelles de temps parle-t-on ? Les fondations héritées sur un siècle des périodes de la houille blanche puis de la construction d’EDF, des investissements réussis dans les barrages, les paliers successifs charbon, fuel, nucléaires UNGG puis REP sont des atouts majeurs dont les dimensions ne sont pas seulement techniques. On a construit un « service public » à l’échelle nationale, développé des technologies, formé et mobilisé des individus de profils divers… Les succès ont souvent dépassé les espérances : ainsi par exemple du réseau 400kV, dont la réalisation jalousée par plusieurs pays aura demandé un demi-siècle, surmontant les difficiles débats soulevés par les risques sanitaires et par les impacts sur le foncier et sur les paysages. Il y a eu des échecs (Plogoff, Creys, THT Pyrénées, …) mais moins qu’ailleurs ; nous avons eu aussi de 1989 à 2010 un rêve d’intégration nucléaire franco – allemande qui nous a empêché de comprendre que les intérêts de nos partenaires sont en 2012 (re)devenus durablement anti-nucléaires. Et ces cheminements ont doté EDF d’un capital de confiance qui sera un atout important.
Les changements essentiels se produisent vers 2005/2007 avec la crise des subprimes, l’échec d’Abu Dhabi, le pouvoir croissant concédé à Bruxelles… Le constat que la France est en surcapacité électrique va conduire à une erreur grave mais d’apparence si rationnelle : on pourrait arrêter sans conséquences économiques les barrages hydroélectriques en fin de concession ou les réacteurs de 40 ans puisque les investissements sont amortis et les dépenses de démantèlement provisionnées…
Il y a 20 ans, la priorité dans l’Union Européenne allait être exprimée dans un plan « 3X20 en 2020 » qui mettait l’accent sur la réduction de la consommation d’énergie primaire. D’où en France une confirmation de la volonté de mettre fin au chauffage électrique, avec le célèbre coefficient « 2,58 », la marginalisation des pompes à chaleur géothermiques, les réglementations thermiques, la victoire du gaz russe, …
D’où aussi un appui fort au développement de l’éolien et du solaire par des soutiens dont la croissance trop visible sur les factures d’électricité devait rapidement poser problème… La contribution au service public de l’électricité (CSPE) a été réformée en « contribution climat énergie », confortée par un prélèvement sur les produits pétroliers, puis impliquée en 2023 dans le « bouclier tarifaire » dont la sortie est une composante brûlante des débats sur le budget 2025. Quel sera demain le coût des soutiens aux ENR, sans négliger la prise en charge croissante par RTE du raccordement au réseau ? Quels seront les coûts et délais du nouveau nucléaire, EPR2, SMR, … ? Ne va-t-on pas vers une augmentation durable des coûts de l’électricité alors que jusqu’à présent un atout était la qualité et le faible coût du système électrique français ?
On voit l’importance des débats mondiaux sur les pistes pour 2050, les actions envisageables pour faire baisser les coûts des différentes filières, intégrer les conséquences des intermittences, quantifier les besoins de la voiture électrique, stabiliser les débats sur l’hydrogène, … Un point semble consensuel sur les différents continents : il faudra à cet horizon avoir électrifié beaucoup d’activités, même si ce consensus ne doit pas faire oublier que les options à prendre sont lourdes, que les enjeux économiques et sociaux sont importants, que des arguments de toute nature sont mis en avant, les choses étant souvent « dites de profil » pour reprendre l’expression de Saint John Perse.
En France, en 2025, les choix semblent plus simples mais plus urgents compte tenu de la ténacité avec laquelle le système électrique a été construit pendant 80 ans et des impacts de la stratégie de décroissance de la dernière décennie. Les grands débats pour 2050 ne doivent pas faire oublier l’urgence de la réindustrialisation et l’atout immédiat que représente l’acquis français sur l’hydroélectrique et le nucléaire. Certes devons-nous arrêter d’arrêter aucune usine existante (y compris les petits barrages : la France est en 2023 de loin en tête du palmarès européen de suppression des ouvrages !), réinvestir pour un fonctionnement durable (STEP, passes à poissons, turbines, contrôles commandes, diesels d’ultime secours, aéroréfrigérants, …), débattre d’un plan « 80 ans pour tout le nucléaire existant », apprendre à mieux gérer les conséquences de l’intermittence des ENR éoliennes et solaires, réinvestir dans la recherche et la formation, définir des carrières motivantes, renforcer les partenariats en Chine, en Corée, au Japon, … mais ces priorités françaises ne doivent pas méconnaître les obstacles hérités de la période précédente. Je pense d’abord au recul de l’idée de « service public », devenue contradictoire avec beaucoup des concepts européens de libéralisation et de retrait de l’État (même si nous avons nos propres complaisances et tendances suicidaires) ; je pense aussi à l’urgence d’accepter la nécessité de combats durables avec l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg qui ne cesseront d’alimenter mezzo voce, texte après texte, un discours antinucléaire européen.
Bref, il y a urgence à mobiliser l’atout que représente le système électrique français, après une stratégie de décroissance à laquelle il serait bon que le nouveau gouvernement mette clairement fin rapidement, quoi qu’on en pense à Bruxelles et à Berlin.
Ingénieur général des mines et ancien délégué aux risques majeurs
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Philippe Vesseronhttps://lepontdesidees.fr/author/pvesseronauteur/
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