Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Sexualité des jeunes et baisse de la libido

Pierre Buraglio, « L’Origine du monde de Courbet ». Photographie d’Alberto Ricci.

Dissociation entre sentiments et sexualité chez les AJA, problématique du consentement.

Une des tâches essentielles à l’adolescence est l’acquisition d’une sexualité génitale adulte. C’est une période essentielle d’apprentissage des interactions sociales et l’omniprésence des écrans pointée par de nombreuses études est un facteur déterminant pour expliquer cette baisse de la libido des AJA (adolescents jeunes adultes).

En février 2023, une étude Ifop montrait que 43 % des jeunes Français de 18 à 25 ans n’avaient connu aucun partenaire sexuel durant l’année écoulée. Il y a huit ans, « seulement » 25 % des jeunes interrogés ne déclaraient aucun rapport sexuel pour l’année écoulée.

L’« étude Ifop pour LELO réalisée en ligne du 29 décembre 2023 au 2 janvier 2024 auprès d’un échantillon de 1 911 personnes, représentatif de la population française, âgée de 18 ans et plus » et intitulée :  « La “sex recession” : les Français font-ils moins l’amour ? », confirme cette baisse. Il en découle les explications suivantes en 3 points ci-dessous :

A) L’activité sexuelle enregistre un recul sans précédent depuis une quinzaine d’années

 B) Cette contradiction de l’activité s’inscrit dans un contexte de dissociation croissante entre conjugalité et sexualité mais aussi par un désintérêt de plus en plus marqué par le sexe

Les Françaises acceptent beaucoup moins de se forcer à faire l’amour qu’il y a 40 ans. L’asexualité ou absence d’attirance sexuelle envers autrui, est une orientation sexuelle assumée par 12% des Français.

C) Si les causes de cette récession sexuelle sont multiples, elle tient notamment à la concurrence d’activités sexuelles numériques

Lorsqu’on interroge les jeunes de moins de 35 ans vivant en couple sous le même toit, la moitié des hommes (50%, contre 42% des femmes) reconnaissent avoir déjà évité un rapport sexuel pour regarder un série/films à la télévision (ex : Netflix, OCS…). Et on retrouve cette concurrence des écrans sur le sexe pour d’autres loisirs comme les jeux vidéo – préférés au sexe.

Mais mon expérience de gynécologue, recevant en consultation des jeunes femmes adolescentes et jeunes adultes m’amène à constater de façon de plus en plus nette ces dernières années une défiance et une peur de l’autre en particulier chez les filles qui se sentent vulnérables quand il s’agit de débuter une relation sexuelle. Grand nombre d’entre elles exprime avoir une première expérience sexuelle non consentie. Un récent rapport de Santé Publique France, intitulé : « Consentement chez les adolescents : savoir l’exprimer, savoir l’entendre », reflète cette difficulté.

« Le consentement est une question prioritaire pour les jeunes qui font leur entrée dans la vie sexuelle et affective. Elle est régulièrement évoquée dans les séances d’éducation à la sexualité en milieu scolaire. 10,7% des femmes auraient cédé aux attentes de leur partenaire lors de leur premier rapport. Dans le cadre de son programme de santé sexuelle, Santé publique France s’est fixé comme objectif de favoriser une entrée et une installation positives des jeunes dans la sexualité. Parce que la question du consentement se pose avec force, l’Agence lance le 23 octobre la campagne ” OK, pas OK ” ».

Je voudrais ici relater ce que rapporte Mme F., 16 ans, vue en consultation récemment, pour des dyspareunies, rendant impossible les rapports. A 14 ans elle a un premier rapport avec un garçon de 17 ans, lycéen dans le même établissement scolaire qu’elle. Elle ne parle jamais de son désir ou de son attirance mais plutôt de l’envie de faire comme ses copines, il faudra plusieurs tentatives de rapport pour qu’une pénétration soit possible, son partenaire lui explique qu’elle n’est pas normale, qu’avec les autres ça se passe facilement, que s’ils n’y arrivent pas, il la quittera. Ce premier rapport complet est très douloureux, elle n’a aucun plaisir et leur histoire s’arrête immédiatement. Depuis, tout rapport est impossible. Elle explique très clairement 2 ans après, qu’elle a été contrainte d’accepter par peur sans que soit prise en compte à aucun moment son hésitation, sa douleur physique etc. C’est un exemple mais c’est une histoire qui se répète hélas trop souvent… Comme si ce qui précédait l’acte sexuel de ces jeunes était dépossédé de tout sentiment amoureux… Ces jeunes ne disent pas j’étais amoureuse, j’avais du désir, j’avais envie… Les sentiments semblent inexistants, ou peu présents.

Curiosité, attirance physique, faire comme les autres semblent remplacer les sentiments. Souvent quand la relation dure, ces patientes me parlent d’avoir été contraintes de supporter de la violence de la part de leur partenaire…  Certains jeunes citent le fait de « se sentir obligés » comme l’un de ces motifs.

20% des jeunes de 16 ans déclarent qu’ils pourraient accepter une relation sexuelle sans en avoir réellement envie. La proportion de jeunes filles concernées a cependant augmenté.

Santé Publique France, dans son rapport, alerte sur le niveau des violences sexuelles, démontrant tout le chemin qu’il reste à parcourir pour qu’une éducation « complète » à la sexualité produise ses effets.

Sur le site onsexprime.fr : en matière de sexualité, ce qui compte, c’est son désir personnel et le respect de l’autre, par l’écoute de son désir ou non-désir. Attention, même si ces signes sont présents, cela ne veut pas forcément dire que l’autre veut avoir un rapport sexuel : tant que l’autre n’a pas explicitement dit oui, il faut respecter son choix. Chacun doit pouvoir ressentir quand c’est le bon moment et, surtout, quand le désir est partagé.

La sexualité fait partie intégrante du développement de tout individu. Elle est essentielle pour son épanouissement.
L’éducation à la sexualité est trop souvent abordée sous l’angle uniquement préventif de ses risques et de ses conséquences…

Le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a confirmé le rôle de l’éducation à la sexualité pour lutter contre les inégalités. Il recommande, entre autres, une meilleure reconnaissance de la sexualité des jeunes, le renforcement de la politique interministérielle d’éducation à la sexualité à l’école, mais aussi une attention accrue aux espaces de socialisation extrascolaires, afin de permettre aux jeunes d’acquérir des connaissances et des compétences tout le long de leur parcours de vie.

Comment aider les adolescents jeunes adultes, à retrouver le goût de l’autre ? La confiance et le développement d’un imaginaire fantasmé sont à développer, dans le respect du consentement.

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Gynécologue obstétricienne

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