Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Élections 2022 : SOS Nucléaire !

Depuis plusieurs mois, le débat fait rage au niveau national et européen, entre les farouches détracteurs de l’énergie nucléaire et ses partisans.

Mandatée d’un commun accord par l’ensemble des Etats-Membres, la Commission Européenne a successivement sollicité, depuis 2018, plusieurs groupes de travail constitués d’experts internationalement reconnus, afin de trancher sur les vertus comparées des énergies renouvelables, du nucléaire et du gaz dans l’objectif d’atteindre les objectifs climatiques fixés par l’accord de Paris.

En dépit des conclusions unanimes de la quasi-totalité des rapports, favorables à l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie, ouvrant ainsi à cette technologie des conditions favorables à son financement, l’Europe a rapidement paru très embarrassée par ces résultats.

Faisant injure au travail des experts et à la confiance qui lui a été donnée par les Etats-Membres, elle continue, encore aujourd’hui, à solliciter de nouveaux groupes de travail[1], dans l’espoir que les conclusions de l’un d’entre eux au moins – qu’il s’agira alors de brandir comme les seules recevables – iront dans le sens qu’elle appelle de ses vœux.

Il apparaît désormais clairement que la Commission Européenne, soumise – au sens premier du terme – à l’influence d’intérêts idéologiques, géopolitiques et plus trivialement commerciaux, a perdu sa crédibilité dans le domaine de l’énergie.

À l’encontre de toute raison, la négociation paraît ainsi actuellement se diriger, pour des raisons affichées dont l’ineptie complète a été, à plusieurs reprises, démontrée par les travaux des experts, vers l’inclusion du gaz, très émetteur de gaz à effet de serre, dans la taxonomie, tandis que le nucléaire en serait exclu.

De fait, l’Europe n’est désormais plus qu’un instrument obligé de l’Allemagne et de quelques autres pays tels que l’Autriche et le Luxembourg, délibérément suiveurs de leur puissant voisin.

Au rebours de toutes ses déclarations d’intention pourtant sans cesse renouvelées mais sonnant creux, son objectif n’est plus, depuis longtemps, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais la domination idéologique, industrielle et économique du modèle allemand sur l’ensemble des autres pays européens.

Avec le soutien appuyé de l’Europe et de quelques nationaux acquis à sa cause, l’Allemagne a donc retrouvé des accents de domination. On pourrait ne pas s’en effaroucher – quoique – si le modèle qu’elle prône était viable. Il se trouve qu’il conduit dans le mur. Mieux (ou pire ?) : il se trouve qu’elle-même en a parfaitement conscience.

Cependant, liée pieds et poings par les résultats de ses élections fédérales de septembre 2021, et ne pouvant renoncer au choix fait par ses propres électeurs – ce qui paraît raisonnable pour un régime démocratique -, elle a désormais la ferme intention d’imposer, qu’ils le veuillent ou non, le choix des électeurs allemands à l’ensemble de ses voisins – ce qui révèle une conception assez différente de l’idée démocratique.

L’incohérence de la politique allemande peut difficilement être mieux illustrée que par le courrier qu’elle a fait parvenir le 21 janvier 2022 à la Commission Européenne. Prenant acte de l’impasse technique dans laquelle elle s’est engagée, et en totale contradiction avec elle-même, elle demande à la Commission Européenne de relâcher l’ensemble des contraintes conditionnant le respect des objectifs de l’accord de Paris[1] : 

  • elle confirme son exigence d’éliminer le nucléaire de la taxonomie
  • elle demande d’assouplir les restrictions sur les gaz fossiles
  • elle demande de supprimer les exigences et tous les objectifs intermédiaires visant à promouvoir le biométhane ou l’hydrogène
  • elle demande de reporter de manière flexible après 2036 les objectifs de changement de carburant, et de traiter ces objectifs comme des lignes directrices plutôt que comme des objectifs fermes

Dit autrement, l’Allemagne, s’étant rendu compte que le déploiement massif des énergies dites renouvelables va rapidement se cogner au mur de la réalité (ne serait-ce que, par exemple, du fait de questions relatives à l’emprise au sol de l’éolien), elle rend désormais son avenir climatique complètement dépendant de progrès plus qu’improbables des techniques de gaz fossile.

Simultanément, enferrée dans la position de clouage absolu dans laquelle elle s’est mise toute seule, elle apparaît simultanément désireuse d’oublier, un peu trop vite, que le gaz peut également constituer un instrument de géopolitique redoutable, notamment lorsqu’il est détenu par des mains ayant d’autres intérêts stratégiques que les siens.

Ce qui explique aussi, peut-être, certaines réactions très récentes, qui paraissent témoigner d’un certain affolement plus que d’un pacifisme légitime :

  • L’Allemagne propose une coopération sur les énergies renouvelables pour désamorcer les tensions avec la Russie[2]
  • L’Allemagne empêche l’Estonie, alliée de l’OTAN, d’apporter un soutien militaire à l’Ukraine en refusant de délivrer des permis pour l’exportation d’armes d’origine allemande vers Kiev alors qu’elle se prépare à une éventuelle invasion russe[3]
  • L’Allemagne appelle à la prudence dans les sanctions potentielles contre la Russie au sujet de l’Ukraine[4]

En France même, le débat devient surréaliste, et n’oppose désormais plus entre elles qu’une vision scientifique et rationnelle de la situation, à celle de courants idéologiques motivés par une vision mystique et obscurantiste des sociétés humaines[5].

Comment sortir de cette situation par le haut ?

Le débat contradictoire a eu lieu. Toutes les voix se sont exprimées.

Sans doute est-il temps de prendre acte que toutes les propositions n’ont pas la même valeur. Que celles qui prétendent que la Terre est plate (qu’il est possible, un temps, d’écouter avec bienveillance), ne peuvent pas être mises sur le même plan que celles qui démontrent qu’elle est ronde.

Aujourd’hui, plus aucune place n’est désormais plus permise pour le doute, et il est temps de trancher.

Les résultats scientifiques démontrent pour la France, sans aucun doute possible :

  • Que les besoins en énergie électrique vont considérablement croître dans les années qui viennent, du fait de l’électrification massive des usages, pour atteindre et probablement dépasser 750 TWh à l’horizon 2050[6].
  • Que si la France a l’intention de conserver sa souveraineté énergétique à la même hauteur qu’aujourd’hui, le déploiement sur le sol national d’énergies renouvelables intermittentes (solaire photovoltaïque et éolien), doit, pour répondre au besoin, être de toute façon complété par le déploiement de capacités pilotables dont la puissance installée doit être au moins égale à celle disponible à l’heure actuelle[7].
  • Qu’à compter de l’instant où il est acté que ces capacités pilotables (nucléaire et hydraulique) doivent être déployées à hauteur au moins équivalente à ce qu’elles sont aujourd’hui, le déploiement, significativement au-delà de l’existant, d’un parc complémentaire d’énergies éolienne et photovoltaïque devient, lui, inutile, et coûteux de surcroît pour la collectivité.
  • Que si l’on exclut l’hydraulique, dont la France est déjà largement équipée ; aucune autre option n’est à ce jour disponible, pour ce qui concerne les capacités pilotables, que celle qui consiste à faire un choix entre le gaz fossile émetteur de GES et le nucléaire décarboné.
  • Que dans la continuité de celui en place aujourd’hui en France, un mix électrique à forte part de nucléaire complété par l’hydroélectricité est, dans tous les cas de figure, beaucoup plus efficacement décarboné et beaucoup moins coûteux pour la collectivité que toute autre forme de mix7
  • Qu’un tel mix place très avantageusement la France en position d’exportateur d’électricité plutôt que dans une situation de dépendance vis-à-vis de fournisseurs d’électricité possiblement produite à partir de combustibles fossiles.

La conclusion s’impose alors d’elle-même : si la France a réellement l’intention de respecter les objectifs de l’accord de Paris sur le Climat, elle doit impérativement, et dans les délais les plus réduits possibles, relancer massivement son programme électronucléaire.

Des mythes vides de sens

Sans évoquer les errements d’une partie du personnel politique en place à l’heure actuelle, dont il serait raisonnable qu’il paie le prix de ses erreurs stratégiques, sans doute ce constat explique-t-il en partie pourquoi la plupart des candidats issus de la gauche conventionnelle se soient rendus complètement inaudibles : ils ont espéré, à tort, s’attirer les voix d’électeurs verts en s’appropriant et en reprenant dans leurs discours, sans en comprendre les enjeux, les thèmes portés par des mythes vides de sens. Ils ont perdu sur tous les tableaux. S’il est un tant soit peu rationnel, un sincère électeur de gauche, aujourd’hui, en France, n’a malheureusement pas d’autre choix – il faut le regretter – que de ne pas voter pour son camp de cœur.

Parce qu’elle nuit au nécessaire débat démocratique contradictoire, cette situation, complètement imputable aux errements des leaders -hors sol- de la plupart des partis dits de gauche, à l’exception notable du Parti communiste, est dramatique. 

Les Français ne se laissent pas berner par les vendeurs de vent et de mystères : depuis plus de trente ans, ils se rendent compte, chaque jour, que le mix électrique français, très majoritairement constitué de nucléaire et d’hydroélectricité, leur assure l’un des plus faibles coûts du kWh en Europe, ainsi qu’un très grand niveau de sûreté, en même temps qu’il garantit au pays de largement maîtriser son indépendance, tout en étant pratiquement complètement décarboné.  

Qui aurait pu se laisser berner de fausses promesses colportant, jusqu’à saturation, l’idée, évidemment absurde, qu’il est indispensable de s’acharner à vouloir décarboner au forceps et quoiqu’il en coûte une énergie qui l’est déjà ?

Afin d’attirer à eux le vote utile et défendre les intérêts vitaux de la France, la raison commande d’inviter les candidats à la prochaine élection présidentielle, de quelque bord politique qu’ils soient, à s’engager fermement sur un programme incluant :  

– La prolongation à 60 ans, sous l’autorité stricte de l’ASN, de la durée de vie du parc nucléaire historique

– La construction et mise en service, d’ici 2050, d’au moins une cinquantaine de réacteurs EPR, afin de remplacer intégralement le parc nucléaire historique et de répondre à la croissance du besoin en électricité

– La relance d’un programme ambitieux de développement d’une filière industrielle de surgénération, de manière à traiter également les questions à long terme de retraitement des déchets et d’indépendance énergétique.

Tout autre type de programme ferait prendre à la France le risque considérable :

  • de ne pas tenir ses engagements climatiques,
  • de ne pas répondre à l’augmentation des besoins en électricité
  • de la mettre dans une situation de dépendance mortifère vis-à-vis de pays qui auront d’autres priorités à gérer lorsque la France sera en situation de manquer d’énergie électrique pour assurer ses propres besoins de consommation
  • de ne pas assurer un approvisionnement sûr et à moindre coût à l’ensemble des citoyens

Beaucoup d’autres pays, en Europe, n’attendent qu’un signal de la France pour la suivre.

Compte tenu des engagements sur le temps long que représente toute politique énergétique, la France, fille des Lumières, se discréditera pour le siècle qui vient aux yeux de tous si elle lui préfère, cette fois-ci, l’obscurantisme.

Derrière Canopus, étoile brillante après le soleil, il y a la plume d’un brillant ingénieur, actuellement en activité dans le domaine de l’énergie.

 

Commentaire de Bernard Accoyer, Président de PNC France, ancien Président de l’Assemblée Nationale :

A ces réflexions j’ajouterai que si l’Allemagne, dont on sait le poids de l’antinucléarisme historique sur l’opinion publique, a su se mobiliser et mobiliser autour d’elle contre le nucléaire et pour le gaz, la France ne s’est jamais vraiment consacrée à la défense de notre avantage nucléaire. Notre réveil tardif sur l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie, si cette mobilisation aboutit à l’inclusion ce sera, au même titre que le gaz, comme une énergie de transition alors qu’il s’agit selon le GIEC et l’AIE d’une énergie d’avenir. Ce sera aussi avec des conditions qui restreindront les conditions d’accès à des financements favorables pour cette filière très capitalistique. Quand on mesure les conséquences de l’exclusion du nucléaire du champ des 700 milliards d’euros, des green bonds, et aussi son exclusion dans les dernières règles d’attribution des aides d’Etat, alors que l’un et l’autre incluent le gaz on mesure l’ampleur de notre échec européen.

 

[1] https://www-euractiv-com.translate.goog/section/energy-environment/news/germany-takes-firm-pro-gas-stance-in-green-taxonomy-feedback-to-eu/?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc

[2] Germany offers cooperation on renewables to defuse tensions with Russia | Reuters

[3] https://lnkd.in/eqDir235

[4] https://lnkd.in/eNVytPFu

[5] https://www.lepoint.fr/politique/nucleaire-histoire-d-un-sabotage-d-etat-25-01-2022-2461977_20.php

[6] Rapport RTE « Futurs énergétiques 2050 », 25 octobre 2021

[7] Dans le cas où, par exemple, la France se limiterait à disposer d’une puissance nucléaire de l’ordre de seulement 50 GW à l’horizon 2050, elle s’exposerait, en cas d’insuffisance de sa propre production, à devenir dépendante des autres pays européens à hauteur de 28 GW (scenario N037), contre 13 GW à ce jour. Ce qui correspond à une puissance équivalent à celle délivrée par 17 réacteurs EPR.

[1] https://www.lopinion.fr/international/taxonomie-verte-le-projet-de-la-commission-von-der-leyen-sous-le-feu-des-critiques

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Docteur en médecine, ancien Président de l'Assemblée nationale et Président de PNC France.

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