Le nucléaire en Europe
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Jacques Percebois
1. La situation actuelle.
L‘énergie nucléaire représente environ 10% de la production mondiale d’électricité mais 26% de cette production d’électricité dans l’Union européenne. Il y a 126 réacteurs répartis dans 13 pays sur 27 (c’était 14 pays quand l’Angleterre était dans l’Union) A elle seule la France représente près de la moitié de la production nucléaire de l’Union. Mais 14 pays de l’UE n’ont pas recours au nucléaire.
Les pays les plus pro-nucléaires se trouvent dans l’est de l’U.E. (République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Bulgarie). La part du nucléaire dans la production d’électricité est de l’ordre de 70% en France, 53% en Slovaquie, 48% en Hongrie, 40% en Bulgarie, 40% en Belgique, 30% en Suède….En Allemagne elle n’est plus que de 12% et les 3 derniers réacteurs devraient être fermés en 2022.
Certains pays ont prévu de sortir du nucléaire : l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique… la Suède (mais annonce différée). La crise actuelle qui met en question le recours au gaz pour produire de l’électricité incite ceux qui maintiennent l’option nucléaire à accentuer leurs efforts (la France) mais ne conduit pas l’Allemagne à modifier ses choix (l’Allemagne préfère prolonger ses centrales à charbon). La Belgique qui avait prévu de sortir du nucléaire en 2025 a décidé récemment de prolonger de 10 ans au moins 2 réacteurs au-delà de 2025. Certains pays (la Pologne) envisagent de construire des centrales nucléaires…
Les perspectives du nucléaire dans l’UE sont mitigées. Certes pour le Commissaire européen Thierry Breton l’Europe devrait investir près de 500 milliards d’euros d’ici 2050 (soit 20 milliards par an) pour se doter d’un parc de nouvelle génération mais la part du nucléaire de devrait pas dépasser 15% de la production d’électricité en 2050 au sein de l’U.E. En France il n’est plus question de fermer les12 réacteurs comme cela était prévu par la PPE et au contraire on prévoit d’en construire 14 (6 EPR2 à mettre en oeuvre rapidement et 8 supplémentaires). De ce fait a part du nucléaire devrait se situer aux alentours de 50% du mix électrique en 2050, certes dans un contexte où la consommation d’électricité se sera fortement accrue (l’électricité devrait atteindre 55% du mix énergétique en 2050 contre 25% aujourd’hui du fait du développement des usages électriques notamment la mobilité électrique selon RTE). On a fermé beaucoup de réacteurs en Europe et on en construit peu sauf en Finlande, France, et dans certains pays de l’est de l’Union (Hongrie, Bulgarie, Slovaquie). La tendance est à la prolongation des réacteurs en fonctionnement.
2. Le coût du nucléaire
Le coût du MWh du nucléaire historique est rentable et c’est cela qui permet à la France de bénéficier de prix de l’électricité plus faibles que la moyenne européenne. Le coût du nouveau nucléaire sera sensiblement plus élevé et dépendra fortement de la façon dont ce nucléaire sera financé donc des intérêts intercalaires. Cela va de 60 à 100 euros/MWh. Cela est souvent plus élevé que le coût sortie centrale des renouvelables mais il faut tenir compte des coûts dits « système » liés notamment à l’intermittence et au renforcement des réseaux pour les renouvelables. Le nucléaire présente l’avantage d’être à la fois décarboné et pilotable. Les renouvelables ne sont pas pilotables et il faut donc prévoir des capacités de stockage ou du « back-up » c’est-à-dire des centrales en réserve. C’est ce que montre la dernière étude de RTE.
L’U.E étudie de nouveaux mécanismes de financement comme ceux utilisés ou programmés en Angleterre : le CFD et le mécanisme de la BAR. Le CFD (Contract for Differences) permet de garantir un prix stable durant une longue période au constructeur de la centrale (prix qui couvre les coûts de construction et de fonctionnement). Le mécanisme de la Base d’Actifs Régulés (BAR) permet au constructeur de récupérer au fil de l’eau les investissements qu’il fait (logique dite du cost-plus, mécanisme identique à celui utilisé pour financer les réseaux d’électricité). Ainsi on récupère dans les tarifs d’électricité le coût de construction au fur et à mesure de l’investissement.
Dans un contexte où la sécurité d’approvisionnement est une priorité le nucléaire présente l’avantage d’être une énergie « nationale » et peut dépendante des importations. Certes l’uranium est importé mais 1) les approvisionnements sont sécurisés car les principaux exportateurs sont des pays de l’OCDE, (comme le Canada ou l’Australie) 2) l’uranium se recycle (ce qui est le cas en France qui a choisi de recycler une partie de son combustible usé) 3) on dispose d’un volume de stockage de plusieurs années (5 ans ?) 4) le coût de l’uranium dans le prix de revient du MWh est faible (de l’ordre de 5% contre 60% pou le gaz dans une centrale à gaz).
Certes il faut tenir compte de certaines contraintes sociales liées notamment à la gestion des déchets et à la déconstruction des réacteurs. Mais des progrès existent et l’enfouissement des déchets les plus dangereux est aujourd’hui une technique prometteuse (cf l’exemple de la Finlande, de la Suède et même de la France).
La crise actuelle a montré une meilleure acceptabilité de l’option nucléaire au sein des populations occidentales qui prennent conscience des coûts et des risques liés à la dépendance face aux fossiles. A cela s’ajoute le fait que la lutte contre le réchauffement climatique passe par le maintien de l’option nucléaire. Mais l’opinion publique n’est pas toujours bien informée sur la réalité des contraintes en jeu (cf les jeunes qui pensent que le nucléaire est carboné)
3. Les perspectives
Il existe un potentiel important de progrès technique notamment dans 3 directions : 1) les SMR 2) les réacteurs de IVème génération 3) la fusion.
Les SMR sont une technologie proche de celle utilisée pour les sous-marins nucléaires mais leur puissance est faible par rapport aux EPR2. Le coût de production est encore élevé mais les perspectives d’exportation sont bonnes. Il existe déjà des prototypes en Russie (modules de 35 MW sur barges) et plusieurs pays ont des projets bien avancés (la Chine, le Canada l’Inde, la Japon et bien sûr les Etats Unis avec le projet Nuscale de 12 réacteurs de 50 MW chacun ou la France avec le projet Nuward développé par Naval Group avec 2 réacteurs de 170 MW chacun). Ces réacteurs ont vocation à remplacer les centrales à charbon polluantes un peu partout dans le monde. Le gros avantage des SMR est que ce sont des réacteurs à « sûreté passive » donc plus sûrs d’autant que leur puissance est plus faible. Mais une exportation massive conduirait à des risques de dissémination de combustible irradié.
La France a abandonné le projet Astrid (4ème génération) et c’est dommage car ces réacteurs ont beaucoup d’atouts (meilleure utilisation de l’uranium, recyclage de certains déchets voire transmutation). Les autres grands pays nucléaires poursuivent leurs efforts dans ce domaine (notamment la Russie et les Etats-Unis). A terme l’avantage des réacteurs de 4me génération tient au fait que l’accès à l’uranium ne sera plus un problème puisque ces réacteurs produisent plus de combustible qu’ils n’en consomment.
Notons qu’à l’exportation la Russie (avec Rosatom) est aujourd’hui le leader incontesté même si de plus en plus la Chine s’efforce de concurrencer la Russie. La raison en est que Rosatom construit, finance et exploite clefs en mains les réacteurs qu’elle propose (système du BOO). La France a des perspectives d’exportation en Inde et au Moyen-Orient principalement mais il lui faudra compter avec la concurrence des Chinois et des Russes (voire des Coréens).
Quant à la fusion ses perspectives sont encourageantes mais cette technologie est encore loin d’être opérationnelle.
Professeur Emérite à l’Université de Montpellier
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