Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

Rationnaliser le marché européen de l’électricité

L’envolée des prix de gros de l’électricité en 2022 est due à la conjonction de deux facteurs indépendants : 1) l’envolée du prix du gaz naturel 2) le manque de capacités de production électriques pilotables partout en Europe (avec une moindre disponibilité du nucléaire en France). Sur le marché de gros le prix d’équilibre est fixé par le prix de revient de la dernière centrale appelée (coût marginal de la centrale marginale), en général une centrale à gaz, ce qui explique la corrélation entre prix du gaz et prix de l’électricité. Les débats portent aujourd’hui sur la meilleure façon de réguler les prix de gros de l’électricité afin de maintenir le pouvoir d’achat des consommateurs tout en donnant aux producteurs un signal-prix capable d’encourager les investissements de long terme.

Les réponses probables.

Le système vers lequel on semble s’orienter en Europe devrait être celui d’un développement du système des contrats pour différences (CfDs) qui aurait le mérite aux yeux de ses défenseurs de concilier deux objectifs : le maintien ex ante d’un marché de gros avec des prix de marché horaires qui par nature seraient volatils, d’une part, la fixation d’un prix d’équilibre ex post calé sur le coût moyen pondéré du parc électrique national. Ces CfDs ne seraient pas obligatoires mais facultatifs et un arbitrage serait fait par les producteurs entre vente sur le marché spot et vente via des CfDs. Cela ne remettrait pas en cause les Directives européennes ni le développement souhaité des interconnexions électriques transfrontalières. Le principe est le même que celui adopté pour le développement des renouvelables qui bénéficient d’un contrat dit « en complément de rémunération ». Le producteur vend son électricité sur le marché de gros et si le prix ne permet pas de couvrir ses coûts il bénéficie d’un complément de rémunération. Si ce prix est supérieur au prix de référence négocié avec les pouvoirs publics sur longue période, il reverse la différence à l’Etat. Le complément de rémunération devient négatif.

Ce système de CfDs présente néanmoins un inconvénient majeur : si le prix de gros est durablement inférieur au prix-cible, le système conduit à pérenniser des subventions publiques, ce qui est contraire aux règles européennes de la concurrence. Si à l’inverse le prix de gros est durablement supérieur au prix-cible, les producteurs peuvent être incités à dénoncer le contrat pour bénéficier de prix plus rémunérateurs sur le marché de gros (c’est ce qui se passe avec certains contrats de complément marché pour les ENRs). Il faut donc prévoir des pénalités dissuasives en cas de sortie anticipée des contrats. Il faut également s’assurer que les producteurs français ne procèdent pas à de la rétention de capacité en France pour privilégier les exportations lorsque les prix sur le spot sont plus rémunérateurs à l’étranger ; seules les capacités non retenues lors des appels d’offre en France pourraient donner lieu à exportation.

Incitations à l’investissement

Certains s’interrogent néanmoins sur l’attrait des CfDs pour le financement d’investissements nouveaux dont la durée de vie est particulièrement longue, ce qui est le cas du nucléaire (60 ans au moins). Le constructeur fait l’avance des fonds et ne commence à récupérer sa mise qu’au moment du raccordement de la centrale au réseau. Il a en revanche l’assurance de bénéficier d’un prix de vente stable de son électricité durant une longue période et ce prix est indépendant du prix du marché alors en vigueur lors de l’exploitation. Le système peut être coûteux pour le contribuable, si ce prix de marché est durablement inférieur au prix négocié. Il est coûteux pour l’opérateur si le coût de construction se révèle supérieur au prix négocié et c’est probablement ce risque qui incite beaucoup d’investisseurs à la prudence. Beaucoup de facteurs, notamment exogènes, peuvent générer une dérive des coûts lors de la construction de la centrale

C’est pourquoi d’aucuns préfèrent le mécanisme prévu pour la construction de la centrale anglaise de Sizewell : celui de la BAR (base d’actifs régulée ou RAB pour regulated assets base). C’est le même système que celui utilisé pour financer les réseaux de transport ou de distribution d’électricité via des péages. Le coût de construction est répercuté au fil de l’eau dans le tarif de l’électricité selon la logique d’un cost-plus. L’opérateur est rémunéré dès le début de la construction et le risque de dérive des coûts est largement transféré sur le consommateur. C’est sans doute le système le plus confortable pour l’investisseur en matière de partage de risques. On peut aussi penser que certains gros consommateurs (électro-intensifs par exemple) ou certains producteurs concurrents sont disposés à participer au financement d’un réacteur en contrepartie de droits de tirage sur la production future d’électricité. C’est le mécanisme des P.P.A. (Power Purchase Agreement), populaire dans le domaine des renouvelables.

A terme le mécanisme des CfDs pourrait se muter en système d’Acheteur Unique

Le système vers lequel on pourrait s’orienter en France serait celui d’une généralisation (obligatoire ?) des CfDs pour les énergies à forte proportion de coûts fixes (nucléaire et renouvelables), et d’une vente sur le marché de gros de court terme pour les énergies à forte proportion de coûts variables (énergies fossiles). Cela garantirait aux centrales nucléaires et renouvelables de pouvoir récupérer leurs coûts fixes et aux centrales thermiques fossiles de récupérer le coût du combustible puisque le prix de gros est en général calé sur le coût variable de ces dernières. Comme en France le nucléaire et les renouvelables représentent plus de 90% de la production d’électricité cela permettrait de maintenir des prix stables pour le consommateur. A terme ces CfDs (qui constituent une régulation ex post des prix spot) pourraient se transformer en contrats de long terme OTC (Over the Counter), donc sans passer par le marché spot, ce qui aurait pour effet d’assécher ce marché spot. Car, si la quasi-totalité de la production d’électricité est vendue in fine à un prix fixe, quel est l’intérêt de passer par un marché de gros ? On pourrait négocier ce prix directement dans le cadre de contrats à long terme entre le gestionnaire de réseau et les producteurs…On retomberait alors sur un système proche de l’Acheteur Unique. ♦

*Professeur Emérite à l’Université de Montpellier/CREDEN

                                                        

Plus de publications

Professeur Emérite à l’Université de Montpellier

Articles liés

Réponses