Pour une planification différenciée et socialement acceptable des territoires*
Hélène Peskine
L’urgence climatique est avérée. Les événements météo extrêmes se multiplient et touchent désormais tous les territoires du monde occidental. En Allemagne et en Belgique à l’été 2021, dans les vallées alpines en octobre 2020, et tout l’été 2022, les inondations mortelles d’une part et une sécheresse exceptionnelle accompagnée d’incendies multiples, aux conséquences encore mal connues, d’autre part, ont frappé durement nos pays. Dans le même temps, l’érosion de la biodiversité, monde vivant dont dépend l’humanité, s’accélère.
L’heure est aux stratégies de neutralité carbone et à la sobriété en eau, énergie, sol, matières premières. Jamais le monde occidental n’avait été aussi ébranlé.
De plus, la crise sociale engendrée par la guerre en Ukraine et les effets du Covid en raison de la hausse spectaculaire des prix de l’énergie et de certains produits de première nécessité met à l’épreuve nos modèles de protection sociale.
Comment construire la résilience de nos territoires face à ces risques multiples et l’incertitude dans laquelle nous sommes plongés depuis quelques années ? Comment réussir la transition juste et partagée qui mettrait nos économies sur la bonne voie ?
Depuis l’Accord de Paris sur le climat de 2015 nous avons cru disposer des solutions et des outils de ce changement de trajectoire. Nous avons déployé le « green deal » européen, les stratégies de decarbonation de nos industries, l’efficacité énergétique et le recours à l’hydrogène. Nous avons construit des outils incitatifs et coercitifs pour réduire l’artificialisation des sols et favoriser les aménagements résilients. Mais la machine se grippe quand même.
Comment faire accepter la neutralité carbone aux ouvriers dont le métier est menacé par ces ruptures technologiques ?
Comment convaincre des personnes qui se privent parfois au quotidien qu’elles doivent accepter de consommer moins ?
Nous touchons du doigt les limites de la planification paternaliste. Celles de la fiscalité incitative ou punitive.
La co-construction
Le temps est venu d’adapter les trajectoires de transition aux territoires et aux filières. Pour cela il faut mettre en place les outils de la co-construction avec les acteurs territoriaux, sociaux et économiques, des chemins de transition.
En Allemagne la tradition social-démocrate et le fédéralisme facilitent la mise en œuvre de programmes d’action différenciés selon les contextes socio-économiques, géographiques et historiques.
L’accompagnement par exemple de la décroissance des villes d’Allemagne de l’Est a reconnu leur spécificité.
En France c’est plus difficile … malgré la décentralisation de nombreuses compétences vers les collectivités locales, c’est à nouveau la planification nationale qui est convoquée pour faire bifurquer le pays.
Littoral, montagne, petites villes, métropoles, corridors industriels, monde rural, tous les territoires ne se valent pas face aux enjeux de decarbonation. Tous ne seront pas non plus également concernés par les pénuries d’eau (ou de neige) et les pollutions. Et tous ne disposent pas des mêmes moyens d’agir pour revitaliser les zones urbaines plutôt que d’étaler les villes sur des espaces naturels ou encore pour remplacer les transports motorisés par des mobilités propres.
En revanche tous ont des ressources pour être plus habiles à surmonter les crises. Des ressources naturelles, agricoles, forestières, un patrimoine bâti, des équipements amorcés et de la richesse humaine. C’est ce que nous appelons « l’intelligence des territoires ». Face à un monde de plus en plus incertain, la capacité à surmonter les crises dans une solidarité locale va devenir une condition de la réussite.
Acteurs locaux, opérateurs de réseaux, fournisseurs d’énergie, ont un rôle à jouer dans cette capacité d’adaptation. S’inscrire dans une stratégie nationale et européenne permet de trouver les soutiens en R&D et en investissement. Mais pour faire atterrir les transitions, seul le dialogue local, ancré dans des réalités territoriales peut garantir la réalisation concrète de nos objectifs partagés.
Par ailleurs, ces crises portent en elles le germe de transformations majeures de nos sociétés. Elles ont montré leur capacité à mobiliser, à accélérer la prise de conscience des enjeux (notamment ceux liés à la mondialisation des échanges) et à éprouver des alternatives (plus sobres, moins polluantes, plus traçables). Nous l’avons vu sur la mobilité urbaine et l’alimentation après le covid, et commençons à l’éprouver sur l’accès à l’énergie. Le mouvement national et européen de réimplantation industrielle n’est pas étranger aux effets mesurés pendant le covid de la dépendance du continent en matière de médicaments ou d’autres produits de première nécessité. Les chaînes de valeur sont aujourd’hui bousculées par l’inflation.
La responsabilité sociale et environnementale des entreprises se renforce, y compris car elle devient une des conditions du recrutement de générations plus mobiles, et plus sensibles aux impacts sur le climat et l’environnement des activités économiques.
Enfin, la place du citoyen, informé et militant, même s’il est peu politisé, doit être repensée dans les décisions prises sur ces sujets pourtant hautement techniques et géopolitiques. Car le premier ennemi du progrès, et de la résilience, est la méfiance.
Entre une logique de souveraineté (réflexe en temps de crise et nécessité lorsque les frontières se ferment) et celle de nouvelles solidarités (Nord-Sud,
transatlantique, centre-périphérie, ville-campagne…), notamment en matière de réseaux (énergétiques ou de transport) et d’approvisionnement, un équilibre devra ainsi être trouvé, à l’échelle globale et européenne, dans le contexte transfrontalier, et au niveau territorial.
*Communication faite lors du 7ème Forum Franco-Allemand
Architecte urbaniste générale de l’État, secrétaire permanente du Puca
-
Hélène Peskinehttps://lepontdesidees.fr/author/hpeskineauteur/
-
Hélène Peskinehttps://lepontdesidees.fr/author/hpeskineauteur/
Responses