Le Pont

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La planification écologique et territoriale

La planification écologique et territoriale doit être un nouveau contrat de confiance, celui d’une so-ciété qui se prend en main face aux défis environnementaux

Le Président de la République Emmanuel Macron, à l’aube de son second mandat, a ouvert un nouveau chapitre de la Ve République française, en appelant à faire de la planification écologique et territoriale le fil rouge du nouveau quinquennat, et en confiant la responsabilité de la concevoir et de la mettre en œuvre à sa Première ministre.

Il est en effet crucial d’orienter de manière cohérente et ambitieuse l’ensemble des stratégies économiques, des normes fiscales et sociales, et des projets territoriaux vers les deux priorités environnementales du XXIe siècle: la neutralité carbone (réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre pour ralentir le changement climatique et ses effets) et la sobriété (face aux conflits d’usage qui se multiplient en matière d’eau, d’air pur, de sols – agricoles, urbains, naturels… -, d’énergie, de matières premières, mais aussi pour  anticiper des évolutions de prix fragilisantes dans des marchés mondialisés).

La France dispose déjà de nombreux schémas sectoriels, stratégies nationales et outils de programmation, à l’image – pour n’en citer que quelques-uns – de la stratégie nationale bas-carbone, du plan national d’adaptation au changement climatique ou de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Le Président de la République a également initié un très ambitieux programme pour la relance de l’industrie dans les secteurs clés du modèle français, France 2030, il y a quelques semaines. Par ailleurs, l’ensemble du territoire français est couvert de documents de planification spatiale inscrits pour la plupart dans le code de l’urbanisme (schémas régionaux d’aménagement et de développement durable des territoires, schémas de cohérence territoriale, plan locaux d’urbanisme), et de documents de planification sectorielle (organisation territoriale de la santé…), qui ont d’ores et déjà vocation à décliner localement les orientations nationales.

Enfin, la mandature qui s’achève a adopté la création d’une agence nationale de la cohésion des territoires, dont le principal objet est de soutenir les initiatives des collectivités locales au service de programmes d’intérêt national, dont la logique d’action est celle de « secteurs d’intervention prioritaire » : la revitalisation des centres de 234 villes moyennes avec Action cœur de ville, la transformation des centralités rurales avec Petites villes de demain, la redynamisation des Territoires d’industrie, l’adaptation des zones de montagne, ou encore l’appui aux politiques sociales dans les quartiers populaires dits « de la politique de la ville ».

Que pouvons-nous dans ce contexte attendre d’une nouvelle planification écologique territoriale ?

Il nous apparaît qu’il y a 4 enjeux à ce nouvel âge de la planification en France :

  • Faire de la gestion des ressources (et de leur fragilité) le fil rouge de l’ensemble des stratégies nationales sectorielles (faire primer le diptyque neutralité-sobriété) ;
  • Reconnaître la contribution des acteurs non étatiques aux objectifs nationaux et leur rôle clé dans l’adaptation locale de ces objectifs, en particulier celui des collectivités territoriales, au cœur de leur « société locale», dont la géographie, l’histoire sociale ou industrielle, la morphologie, le climat, sont autant de figures de la différenciation des trajectoires de transition;
  • Créer des outils de gouvernance et de financement permettant d’articuler intelligemment la responsabilité de chacun (fiscalité incitative ou restrictive – type bonus malus – et participations financières contractualisées pour l’Etat, planification par objectifs concertés pour les territoires) ;
  • Développer massivement la formation et l’éducation aux nouveaux enjeux et métiers d’une économie décarbonée et sobre.

On l’a vu, de nombreux schémas s’imposent déjà réglementairement aux territoires, de manière descendante, en s’attachant aux moyens plutôt qu’aux résultats (adopter tel schéma local ou tel plan d’action est obligatoire, mais leurs effets locaux au regard des objectifs carbone et ressources ne sont pas mesurés).

Prenons un exemple concret dans le domaine de la sobriété : l’application de la loi climat résilience promulguée en août 2021 sur la gestion économe des sols, qui inscrit l’objectif de « zéro artificialisation nette des sols » à l’horizon 2050. Cet objectif est largement consensuel au niveau national, il vise à réduire l’empreinte de l’urbanisation sur les sols naturels, agricoles et forestiers et à préserver à la fois la production nourricière, les paysages naturels et la biodiversité.

L’application de cet objectif national aux collectivités locales compétentes en matière de droit des sols s’avère en revanche beaucoup plus conflictuel… Il engage en effet un véritable changement de paradigme en matière d’aménagement, qui est loin d’être entièrement à la main des élus locaux: il oblige à recycler des terrains et bâtiments existants pour réaliser les programmes urbains prévus dans les mandats électoraux, alors que les modèles de rentabilité des opérations immobilières ne sont pas garantis par ce type de projets très coûteux et plus hasardeux. Il crée une nouvelle forme de négociation foncière avec de multiples propriétaires et sort l’aménagement urbain de sa gangue traditionnellement 100% publique (par la délégation à des sociétés d’économie mixte). Et, comme a pu le montrer le débat autour de la « densité heureuse », il demande une révolution des représentations, côté élus, comme côté investisseurs (habitants et entreprises) en matière de forme urbaine, pour favoriser une plus forte intensité d’usage de l’espace urbain et périurbain. Enfin, d’un territoire à l’autre, les besoins et les enjeux peuvent être radicalement différents, selon que la population augmente ou diminue, au regard du pouvoir d’achat des ménages, et de spécificités locales (secteurs sous pression d’inondations, dont le patrimoine est protégé, inscrit dans un terroir agricole valorisé, ou au contraire très paupérisé, avec une qualité de constrictions ne répondant pas aux besoins).

Si la sobriété foncière devient le fil rouge des stratégies de développement urbain, il faut orienter vers elle les outils fiscaux et financiers de l’Etat (bonus-malus à la sobriété – comme il existe des certificats d’économie d’énergie, qui valorisent la baisse de la consommation), et doter les collectivités du pouvoir d’agir (soutien en ingénierie, outils de mesure, pédagogie …). C’est le pari du programme « territoires pilotes de sobriété foncière » adossé à Action cœur de ville. La planification par le haut ne suffit pas, c’est la reconnaissance des ressources du territoire, ses forces et son identité, la confiance faite aux élus qui les connaissent, et aux acteurs de terrain, qui crée la capacité à répondre aux objectifs nationaux. En appui, l’Etat a su créer l’outil financier adapté à la concrétisation des opérations de recyclage urbain : le fonds friches, qui vient compenser les déficits d’opérations.

Aligner un objectif clair, un contrat de confiance aux acteurs locaux, les bons outils financiers pour réorienter les modèles d’affaires, et la pédagogie, voilà qui devrait faire basculer une vision encore trop centralisée de la réussite de nos engagements internationaux (accord de Paris) vers une co-construction de ce projet national, à l’échelle du territoire France.

Utiliser le couple neutralité-sobriété, pour tous les systèmes de décision, à toutes les échelles, et dans les schémas sectoriels en lien avec les acteurs économiques, comme dans les délégations de services publics (eau, énergie, transport…), c’est créer les conditions de la « bifurcation » réelle des économies locales.

Il nous faut collectivement inventer les « modèles économiques de la sobriété », et accepter que même si les objectifs globaux sont les mêmes pour tous, les trajectoires seront différentes. La reconversion économique et sociale des grands territoires industriels comme la vallée de la Seine, le port de Dunkerque, ou encore les stations de ski, ne prendra pas la même configuration que celle de régions agricoles et davantage ancrées sur l’économie résidentielle.

Considérer la neutralité carbone « par le bas » permet d’adapter les moyens aux objectifs et de prioriser les interventions, en mobilisant intelligemment les forces vives locales. Isoler les bâtiments et réduire les déplacements polluants, si l’on promeut par ailleurs un redéveloppement industriel dont les impacts ne sont pas maîtrisés, ne permet pas au territoire d’opérer cette grande transformation. Il faut regarder de concert l’appareil industriel et son potentiel d’évolution (captation du carbone, circularité des ressources, gestion l’eau et des déchets, sobriété matière et sol…) avec les enjeux de reconversion des procès, des emplois, et des formations qui lui sont attachés.  Qui mieux que les acteurs locaux (élus, employeurs, employés, citoyens) sont à même de décrire ce « chemin de transition » et les priorités d’intervention qu’il demande.

Dans notre schéma de la co-construction de la transition écologique et territoriale, l’Etat doit être au rendez-vous de ses ambitions, et offrir aux territoires les moyens d’agir. Les régions, compétentes en matière d’innovation, de formation, et d’enseignement supérieur, devront jouer leur rôle de régulateur dans la même perspective d’adaptation des solutions aux réalités locales, géographiques, historiques et socio-économiques.

La planification écologique et territoriale, c’est faire converger protection et innovation, progrès social et progrès environnemental, partout en France, avec tous ceux qui ont le pouvoir et la responsabilité d’agir, individuellement et collectivement.

Il est urgent d’agir. Si l’on veut que les paroles soient suivies d’actes, et les intentions suivies d’effets, l’enjeu n’est plus de créer un modèle, mais des modèles de conscience et de confiance. Une véritable contractualisation, mobilisatrice et dont on cherche collectivement à assurer la réussite.

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Architecte urbaniste générale de l’État, secrétaire permanente du Puca

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