Le Pont

La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie. – Hannah Arendt

 La prochaine administration Trump : quel mandat, quelle influence ?

La victoire complète des Républicains aux élections du 5 novembre dernier – ils contrôleront, pendant au moins deux ans, à la fois la Maison Blanche et les deux chambres du Congrès – présente un paradoxe important.  Alors qu’elle est due à un effondrement politique des Démocrates plutôt qu’à un clair mandat pour la politique de Trump, elle a de fortes chances d’introduire l’une des périodes les plus transformatives de l’histoire américaine.

Dans le déferlement des analyses qui a suivi la victoire de Trump la semaine dernière, deux faits essentiels semblent trop peu soulignés.

Tout d’abord, la victoire de Trump est due à la rapide érosion du parti Démocrate et non à la constitution d’une nouvelle coalition électorale claire.

Le 5 novembre dernier, Donald Trump a obtenu 75 millions de voix contre 74 en 2020, alors que Kamala Harris obtenait 71 millions de voix contre 81 millions pour Biden il y a quatre ans.  Le taux de participation total a été de 64% contre 67% en 2020.  La mobilisation de l’électorat Républicain pour son canadidat était bonne, mais pas exceptionnelle (le Président élu reste d’ailleurs personnellement impopulaire, avec seulement 43% d’opinions favorables).  En revanche, 10 millions d’électeurs de Biden en 2020 ne se sont pas déplacés.

Cette élection n’a donc pas été un referendum pour Trump, ni le signe d’un réalignement de l’electorat dans lequel un groupe d’électeurs passe en masse d’un parti à l’autre (comme les Noirs passant des Républicains aux Démocrates dans les années 1930 ou les pauvres Blancs faisant le chemin inverse dans les années 1970).  Elle a été la sanction de l’incapacité des Démocrates sortants à convaincre les électeurs qu’ils avaient une réponse aux problèmes que électeurs considéraient comme les plus importants : l’inflation, la délinquance et l’immigration illégale.

Depuis au moins le début de l’ère Obama en 2008, l’équilibre interne du parti Démocrate s’est modifié au détriment des gestionnaires populistes traditionnels, pour faire toute la place à un courant d’extrémistes très diplômés qui donnent la priorité aux combats de la gauche culturelle : promotion de la société interculturelle, droits des personnes transgenres, rééquilibrage de la politique extérieure au détriment d’Israël et au profit de la République islamique d’Iran.

Ce programme n’a manifestement pas la capacité d’entraîner l’adhésion d’une masse critique d’électeurs.  Il en est résulté, non pas un réalignement, mais une érosion du vote Démocrate dans à peu près tous les Etats et toutes les démographies. 

49 Etats sur 50 ont vu leur pourcentage de voix Républicaines augmenter par rapport à 2020, la seule exception étant l’Etat de Washington.  Si l’on fait l’analyse par groupes démographiques, un seul a voté Harris un peu plus qu’il n’avait voté Biden : celui des femmes diplômées.  Tous les autres (y compris les femmes non diplômées et toutes les minorités ethniques) ont voté Trump plus largement en 2024 qu’en 2020 – mais, à chaque fois, à la suite d’une augmentation inférieure à 10%.   La coalition Démocrate de l’ère Obama a disparu.  Cependant, elle n’a pas été remplacée par une coalition Trump – plutôt par une majorité largement étendue, faite de faibles majorités dans certains groupes et de fortes minorités dans d’autres.

 

Les premières décisions du Président élu montrent sa détermination à utiliser cette majorité pour mettre en œuvre le programme législatif le plus transformatif depuis, au moins, le New Deal des années 1930.  Trump rencontrera peu d’obstacles pour cela, au moins dans les deux prochaines années. Les seules parties capables de ralentir son ambition seront les juges (mais la Cour Suprême a, elle aussi, une majorité Républicaine) et d’éventuels dissidents Républicains au Senat (ou l’esprit d’indépendance fait partie de la tradition) ou à la Chambre des Représentants dans laquelle les Républicains n’auront qu’une majorité de quelques voix.

Après deux jours d’annonce, les quatre dossiers prioritaires du nouveau Président pour la transformation de la société semblent être les suivants :

  1. Améliorer la gestion publique et réduction des dépenses, avec la création d’un ministère de l’efficacité administrative codirigé par Elon Musk et Vivek Ramaswamy ;
  2. Mettre fin au mouvement « woke ».  Trump a annoncé que les généraux qui avaient introduit ce mouvement dans les forces armées en seraient renvoyés.  Il va introduire une loi qui taxera les fonds en capital des universités pour créer de nouvelles institutions d’enseignement supérieures, gratuites pour les étudiants, qui se concentreront sur l’acquisition des connaissances et ou les mouvements politiques extrémistes seront interdits.  Il utilisera la procédure d’accréditation des universités (en remplaçant tous les accréditeurs) pour contraindre les universités existantes à lutter contre les débordements antisémites constatés depuis le 7 octobre ;
  3. Préparer une rapatriation forcée massive d’immigrants illégaux. La nomination de Tom Hogan, ancien directeur de la police de l’immigration et des douanes, pour gérer le dossier de la frontière Sud ne laisse aucune ambiguïté sur la volonté de Trump de ne pas s’en tenir à la rhetorique sur ce sujet et à passer rapidement aux actes ;
  4. Mettre fin à la politique d’équilibre entre Israël et l’Iran introduite par le Président Obama. Les premières nominations du Président élu – Marco Rubio a la tête du Département d’Etat, Mike Huckabee comme ambassadeur en Israël et Elise Stefanik comme ambassadrice à l’ONU – marquent sans aucune ambiguïté la fin de l’influence de la République islamique à Washington.  Il ne serait pas surprenant, à ce stade, de voir le régime de Téhéran tomber sous le deuxième mandat Trump.
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Normalien, énarque

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